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Accueillir tout le monde ? Oui... Mais

Marie-Josèphe GODARD, accueillante familiale - Aubigny (79)

L’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). pourrait paraître accessible à toutes les personnes dépendantes quel que soit leur degré de handicap, de déficience ou de sénilité. Le cadre législatif qui est supposé encadrer nos pratiques ne pose aucune limite aux différentes pathologies qui nous sont proposées.

MAIS... nous pouvons faire également de l’hôtellerie plus spécialement destinée à des adultes ayant besoin d’aide ou refusant l’isolement dans le cas de personnes âgées notamment.

MAIS... c’est faire fi de la nature humaine et des étranges méandres qu’emprunte souvent l’accueil familial. Tout est dans ce terme « accueil », et de ce fait dans l’attachement qui s’installe au fil des années qui passent malgré les problèmes dûs à des périodes de crise ou à la dégradation de l’état général. Ce qui nous amène souvent à poursuivre des accueils qui présentent de multiples difficultés. Souvenez-vous, dans le numéro 9 de juin 2000, je vous ai parlé de Pauline, accueillie d’abord de façon temporaire, puis en accueil permanent accueil permanent Terme inapproprié désignant en fait un contrat d’accueil à durée indéterminée, avec une date de début mais sans date de fin, prévoyant une prise en charge à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (de jour ou de nuit), en continu (sans interruption) ou séquentielle (exemple : un weekend tous les mois). . Je relatais alors l’évolution positive de Pauline qui nous apparaissait « s’avancer jours après jours vers plus de joie et de bonheur ».

MAIS... l’état de santé de Pauline s’est dégradé très vite au cours du mois de mars de cette année 2002. Lors d’une hospitalisation, elle a refusé de s’alimenter, et est revenue parmi nous grabataire. MAIS... surtout toujours malade et demandant des soins constants. MAIS... sans que l’hôpital nous ait préalablement avertis... Pendant dix jours, nous nous sommes occupés intensivement d’une gisante, sans un geste de sa part, sans un mot, sans un mouvement, sans une expression sur son visage. Le retour de son sourire s’est accompagné d’une nouvelle hospitalisation due tant à l’aggravation de son état qu’à notre épuisement après un épisode de grippe.

MAIS... n’écoutant que notre bonne volonté, et par souci du rétablissement de Pauline, nous nous sommes rendus à son chevet deux fois par jour pour la faire manger et lui laisser le temps de s’adapter à un environnement aux multiples facettes. Et, le relais transmis aux médecins, aux infirmières et à tout le personnel soignant, après avoir mis en place des visites quotidiennes par des visiteuses de malades, avec l’idée de maintenir le lien par l’envoi assidu de cartes postales, nous sommes partis en vacances.

MAIS... à notre retour trois semaines plus tard, d’inquiétants messages se succédaient sur notre répondeur. Nous sommes accourus au chevet de Pauline pour apprendre que “devant l’aggravation de l’état général, l’état nutritionnel déjà très mauvais, l’état précaire, infectieux et le problème d’alimentation majeure » (ce sont les termes du compte-rendu d’hospitalisation), une sonde de gastrotomie avait été posée trois jours avant notre retour.

MAIS... là non plus, l’hôpital ne nous a pas annoncé la date du retour de Pauline. C’est le fournisseur du matériel spécialisé qui s’en est chargé et cela vingt-quatre heures seulement après que nous ayons rencontré le médecin qui suivait Pauline. Nous savions pouvoir compter sur la présence solide et ponctuelle du médecin traitant et de l’infirmière. Nous les avions déjà sollicités dans d’autres périodes difficiles et ils avaient toujours répondu présents.

MAIS... pour le kinésithérapeute, nous habitons la « France profonde ». Les kinésithérapeutes y sont aussi rares que surchargés de travail, et celui de notre secteur m’a déclaré qu’il était hors de question de prendre une personne en charge à six kilomètres de son cabinet car il perdrait de ce fait trop de clients. En quelque sorte le message était : « débrouillez-vous, ce n’est pas mon problème ».

MAIS... il en fallait davantage pour abattre notre ténacité, et nous avons continué notre chasse au kiné disponible. Notre persévérance fut partiellement récompensée : un autre kinésithérapeute a accepté la prise en charge de Pauline. MAIS... il était dit que nous devions prendre le temps, car la période des vacances a interrompu tout aussi vite l’intervention de ce professionnel pourtant indispensable dans le rétablissement d’une mobilité fort compromise.

MAIS... nous allions découvrir, à l’arrivée de Pauline, un état de santé toujours précaire, avec des problèmes pulmonaires toujours existants et non pris en charge par l’hôpital pour cause de « ré-alimentation très incertaine » (sic). Et tous les intervenants qui ont rendu visite à Pauline au cours de la première semaine de son retour nous ont dit la même chose : « Préparez-vous à une séparation définitive ». Personne, du psychiatre au service mobile de soins palliatifs, en passant par le médecin, l’infirmière, le kiné ou le service de soins à domicile n’a osé prononcer les mots : « Pauline va mourir ». Dans notre candeur, nous refusions même de l’imaginer.

MAIS... en y consacrant nos soins attentifs et la presque totalité de notre énergie, à peine quinze jours après son retour, Pauline, comme la Belle au Bois Dormant, a commencé à bouger, à parler, à vivre. Elle a accepté à nouveau de manger, de rire, de communiquer.

MAIS... nous sortons épuisés de quarante-cinq jours d’alimentation artificielle qui nous a mobilisés neuf heures par jour, sans compter les changes et les toilettes. À tout cela se sont ajoutés l’accueil des deux autres personnes, le quotidien dans une famille où vivent cinq personnes, et des problèmes familiaux liés à la santé vacillante de parents vieillissants.

Les lignes qui précèdent sont notre témoignage. Elles ne traduisent que les limites de l’accueil familial lorsque nous sommes amenés à gérer de graves problèmes de santé. MAIS... ce n’est pas surtout cela qui nous est pénible. Notre amertume est grande quant à l’ignorance des médecins hospitaliers vis-à-vis de nos compétences, capacités et qualités pour assurer la prise en charge de « patients médicalement lourds ». MAIS... cette description met également en évidence l’illogisme des situations.

N’étant pas responsables juridiquement des personnes accueillies, nous ne pouvons participer à aucune prise de décisions. Nous n’avons pas à en être avertis par l’hôpital, et surtout nous n’avons pas accès au dossier médical. Dans le cas de Pauline, des différences existent entre ce que le médecin hospitalier nous a écrit quant aux instructions à suivre, et ce qu’il a écrit dans le compte-rendu d’hospitalisation adressé au tuteur et au médecin traitant. La narration de l’ignorance dans laquelle nous fûmes tenus apparaîtrait comme une longue plainte, et ce n’est pas ici le propos.

MAIS... ce que nous voulons mettre en évidence, c’est notre solitude au quotidien, comme au long cours. Et pourtant, nous ne désespérons pas : moins de deux mois après sa sortie de l’hôpital, Pauline effectue seule ses transferts entre le fauteuil et le lit, ce seulement une quinzaine de séances de rééducation...

MAIS... cet épisode « malheureux » nous permet aussi de tirer un enseignement : les relations qui s’installent entre accueilli et accueillant finissent par devenir si étroites, la symbiose si grande, que la ou les personnes accueillies perdent la notion d’une vie « extérieure » faite de multiples acteurs.

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut éviter à tout prix que la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! devienne un cocon dans lequel il fait bon vivre, mais qu’il est difficile, voire impossible de quitter. Préparer les séparations, de quel qu’ordre qu’elles soient, devrait faire partie de notre formation et des échanges qui se créent ici ou là. Pour nous, il ne s’agirait pas là d’un « accompagnement à la mort », mais d’accompagner l’accueilli et sa famille d’accueil vers un futur où les uns et les autres se seront éloignés.

MAIS... il reste tant de choses à faire pour que l’aventure de l’accueil familial reste « magique »... que seuls nos témoignages de familles d’accueil pourront amener le monde extérieur à réfléchir aux immenses possibilités que ce vivier représente, cela grâce à toute la générosité, la patience, la tendresse infinie, et un humour infatigable qui sont les clés d’un travail de bonne qualité.