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Alimentation du sujet âgé

Autant nous avons du plaisir à partager un repas, autant nous ressentons une certaine gêne à manger devant quelqu’un qui ne mange pas... Docteur Michel Cavey.

C’est que manger est une activité à la fois sociale et intime : le repas est un temps où on se retrouve pour faire une activité personnelle. C’est un point très important à connaître pour l’aidant, car il se trouve précisément dans cette situation de partager le moment du repas dans cette relation anormale. Il faudrait pouvoir manger avec la personne (et il faudrait peut-être se poser sérieusement la question, au moins dans certains cas : c’est trop facilement peut-être qu’on répond que ce n’est pas possible).

OBSERVER LE SUJET ÂGÉ

Chacun mange à son idée, et depuis longtemps. La manière dont on mange relève de décisions personnelles anciennes et fortes. On ne va pas les modifier aisément, et il faudrait avant toute chose se demander pourquoi on veut les modifier. Il faut donc commencer par regarder le comportement du sujet âgé à table.

  • Comment il mange : vite ou lentement, proprement ou avec ses doigts, en silence ou en parlant, seul ou en groupe... Il faut aussi essayer de savoir pour quelles raisons les choses se passent ainsi, et quelles en sont les conséquences. On sait par exemple que le fait de manger trop vite augmente le risque de troubles intestinaux ; mais on sait aussi que ces troubles sont sans danger ; il faut donc savoir pourquoi le sujet mange trop vite : gourmandise, vieilles habitudes de la vie active, problèmes dentaires..., mais aussi il faut se demander si le sujet s’en plaint.
  • Quand il mange : à quelle heure ? N’importe quand ou à horaires stricts ? Avant quelle émission de télévision ? Ces habitudes sont très profondément ancrées, et il est très difficile de revenir dessus (c’est rarement utile d’ailleurs).
  • Ce qu’il mange : il est illusoire de chercher à modifier les goûts d’une personne âgée ; il faut s’y adapter. On remarquera par exemple que le meilleur repas est souvent le petit déjeuner, ou le goûter. Mais on remarquera aussi que la personne âgée est vieille ; cela signifie que ses habitues alimentaires ne l’ont pas empêchée d’arriver à son âge.

Il faut également tenir compte des difficultés techniques ; pour pouvoir manger il faut :

  • Des mains : des rhumatismes, une paralysie, une amputation, sont autant d’obstacles à l’alimentation. Les personnes âgées ont très souvent des lésions au niveau des épaules, qui les empêchent de porter la main à leur bouche. On s’en aperçoit souvent en regardant la personne boire : quand son épaule est bloquée la compensation se fait par glissement de l’omoplate, ce qui donne un mouvement très caractéristique. Il faut penser à explorer les épaules de manière systématique : la personne peut-elle boire ? manger ? se coiffer ? se gratter la nuque ? Ces notions sont importantes, car il y a des solutions : pour l’arthrose des mains on peut utiliser des couverts adaptés ; lorsqu’il y a une lésion des épaules on peut améliorer la situation en disposant les plats autrement.
  • Des yeux : un trouble visuel empêche de voir les couverts, les aliments. Il faut penser à l’éclairage ; il faut savoir que les hémiplégiques, mais aussi les déments ont souvent des troubles du champ visuel qui font qu’ils ne voient plus la moitié droite ou gauche de l’assiette : il faut penser à la tourner.
  • Une bouche : la bouche peut être le siège d’infections (champignons) malodorantes et douloureuses, qui peuvent diminuer le goût et le plaisir de manger. Des caries multiples, une édentation, un dentier mal adapté peuvent interdire une bonne alimentation. Il y a un énorme travail à faire pour améliorer l’état dentaire de la population âgée.
  • Un système nerveux : il va de soi que les maladies neurologiques (hémiplégie, Parkinson, neuropathies diabétiques) vont poser des problèmes : parce qu’ils ne sentent plus le contact des couverts sur leurs doigts, parce qu’ils n’ont plus les automatismes qui leur font repérer où est leur bouche, parce qu’ils ont des paralysies. Tout cela doit être analysé pour comprendre si et comment on peut compenser le trouble.
  • Un cerveau : la démence pose des problèmes spécifiques qui ne seront pas repris ici.

LES BESOINS : MYTHES ET RÉALITÉS

La diététique est une discipline médicale importante. Des livres entiers ont été écrits sur la meilleure manière de manger.

Mais chacun sait que les esquimaux et les nomades du Sahara ne mangent pas de légumes, ce qui n’empêche pas leurs enfants de grandir. Chacun sait que les enfants occidentaux ont une alimentation déséquilibrée. L’homme est un omnivore, ce qui veut dire qu’il est capable de satisfaire ses besoins alimentaires à partir de n’importe quoi. La diététique a deux objectifs.

Le premier objectif est de nourrir ceux qui sont malades. Il y a des comportements alimentaires qui sont dangereux chez certains malades, et il faut donc leur donner une nourriture adaptée. Mais il faut se souvenir de deux choses :

  • Même fragile, la personne âgée est le plus souvent en bonne santé. La plupart du temps les régimes qu’on lui impose sont abusifs.
  • Le premier facteur de fragilité chez la personne âgée est la dénutrition : la quasi-totalité des personnes âgées ne mange pas assez. Les régimes ne doivent pas aboutir à une diminution des apports.

On comprend mieux le problème du régime sans sel : les malades cardiaques ne supportent pas très bien le sel ; rarement il faut les en priver totalement. Mais le régime sans sel entraîne une perte d’appétit, et la dénutrition tue autant que les maladies cardiaques. Cela conduit à dire :

1) Que le cardiaque ne doit pas, sauf rares exceptions, suivre un régime sans sel.

2) Que cependant l’alimentation courante en France apporte trop de sel (notamment toutes les conserves contiennent du sel).

3) Que le cardiaque est très sensible aux apports brutaux de sel.
Il faut donc lui interdire les conserves, supprimer la salière à table, et surveiller son poids (en général un cardiaque qui grossit est en train d’accumuler de l’eau) ; et on lui rappellera simplement qu’il se met en danger s’il abuse des plats notoirement salés, comme la morue...

De même ce n’est pas le sucre qui donne du diabète. Le régime diabétique est un régime normocalorique et équilibré ; cela veut dire que le diabétique doit manger comme nous devrions tous le faire, et si le diabétique a une alimentation particulière c’est parce que le reste de la population mange trop mal.

Le second objectif de la diététique est de nourrir ceux qui sont bien portants. On sait que la population occidentale mange mal, et que le nombre d’obèses augmente beaucoup. On sait que certaines habitudes alimentaires provoquent l’élévation du taux de cholestérol, etc. Mais la diététique sert là à donner des consignes générales à une population en bonne santé pour lui permettre d’éviter les maladies. Cela ne concerne absolument pas la personne âgée, dont les habitudes alimentaires n’étaient pas si mauvaises puisqu’elles ne l’ont pas empêchée de vieillir.

Il résulte de tout cela que la place de la diététique doit être raisonnée chez le sujet âgé.

Mais alors, quels sont les besoins de la personne âgée ? on va se contenter de l’essentiel.

  • Les besoins en calories : On admet que les personnes âgées ont en moyenne besoin de 1800 calories. Le problème est que c’est là une moyenne qui ne permet absolument pas de dire ce qui convient à un sujet donné. En fait les besoins vont de... 600 à 3000 calories. Il existe un bon moyen de trancher : un sujet qui mange trop grossit, un sujet qui ne mange pas assez maigrit. Le reste est à oublier, encore faut-il ne mesurer que des amaigrissements importants : il n’y a pas d’urgence tant que le sujet n’a pas perdu 10 % de son poids. Il faut donc peser les gens (sans oublier que les variations rapides de poids sont liées à l’eau et non aux calories. Une variation rapide de poids (2 à 3 kg en une semaine) impose une vérification du poids et un appel au médecin.
  • Les besoins en eau : Il est important de boire. Les besoins en eau sont de l’ordre de 1,5 l par jour, 2 l en été ou en cas de fièvre. Attention, c’est l’eau bue au verre : on ne compte pas les soupes ou les laitages. Le sujet âgé se met en danger parce qu’il perd la sensation de soif et que son rein perd l’eau. Il faut donc lui proposer à boire. Cela dit rares sont les personnes âgées qui boivent ce qu’il faudrait : on est souvent plus près de 0,5 l que de 2 ; et cependant toutes ne meurent pas, ce qui montre que les choses ne sont pas aussi claires qu’on le dit.
  • Les vitamines : Il n’y a guère de carences en vitamines en France. Les seuls problèmes sont :

la vitamine D - c’est une carence assez fréquente pour laquelle le médecin prescrit un supplément, mais qu’il faut accompagner en veillant aux apports de produits lactés et aux promenades (car le soleil est indispensable à la bonne utilisation de la vitamine D.

Les carences en folates qui se voient chez les personnes qui ne mangent que des conserves, ou qui gardent trop longtemps leurs légumes au réfrigérateur.

La carence en vitamine B12, plus rare.

  • Le fer : la carence en fer est assez fréquente. Le problème est qu’elle est le plus souvent ancienne et liée à un saignement dont la cause est une maladie, éventuellement grave. La principale source de fer est le comprimé de fer.
  • Les besoins en fibres : Il est important de faire fonctionner l’intestin en lui donnant des aliments qui contiennent des déchets. On en trouve dans le commerce : pain complet, biscuits au son. Mais on ne peut guère les utiliser : ils ne sont pas bon marché et la personne âgée tient au goût de son pain. Mieux vaut employer les légumes : poireaux, carottes, choux, salades. Le problème est que souvent l’intestin de la personne âgée les supporte mal, surtout quand elle avait auparavant de mauvaises habitudes alimentaires. Il faut donc être souple et se souvenir que beaucoup de gens ne mangent pas de fibres et s’en portent très bien. Quant à la constipation, il faut se dire que deux selles par semaine suffisent, et que cela dépend plus de l’eau que des fibres [1].
  • Les besoins en calcium : La personne âgée a besoin de calcium, et le calcium se trouve dans le lait et ses dérivés. Mais une personne qui mange du fromage et boit son bol de lait tous les jours n’a sans doute pas de carence. D’autre part il y a aussi du calcium dans les comprimés de calcium...
  • Les oligo-éléments sont sans doute très importants, mais nous manquons encore de données pour en parler.
  • La viande rouge n’a aucun intérêt particulier. Les protéines de la volaille, du poisson, des œufs, ont au moins autant de valeur. Mais en outre il existe une source méconnue de protéines : les légumes secs (haricots, lentilles), dont la valeur biologique est aussi bonne que celle des protéines animales. Le soja est dans le même cas. Au-delà des conseils de la diététique officielle, on gardera à l’esprit qu’un mélange d’œufs, de lait et de sucre, autrement dit une crème anglaise, suffit à apporter tout ce qui est essentiel.
  • Le problème de l’alcool est un peu plus délicat : il ne faut pas perdre de vue qu’il existe un alcoolisme du sujet âgé. Cependant il ne faut pas pour autant être trop sévère : la personne âgée peut boire du vin, et les quantités ne sont pas forcément très différentes de celles d’un sujet plus jeune (on doit même admettre qu’elle aura moins le temps de se dégrader) ; quant aux médicaments il y en a peu qui soient incompatibles avec l’alcool ; ce sont essentiellement les sédatifs, mais le problème principal de ce point de vue est que la personne âgée en prend trop.

LA FONCTION SOCIALE

Manger est une activité sociale qui suppose un ensemble de démarches préalables :

1) Faire les courses : il ne faudrait pas négliger le plaisir d’aller chez le boucher, l’épicier, ou au marché. Ce point est extrêmement important et trop négligé : on ne peut rien espérer en matière de nutrition de la personne âgée si on continue de considérer l’alimentation comme un traitement qu’on administre. Le problème n’est absolument pas là, et il s’agit de rééduquer une personne dans son ensemble. Aller faire les courses produit trois résultats :

  • Cela lui permet de retrouver le plaisir d’une vie sociale.
  • Cela lui procure des sensations oubliées (odeurs, consistances) qui peuvent lui rouvrir l’appétit.
  • C’est un exercice physique qui peut la réentraîner à l’effort.

2) Cuisiner : les femmes surtout sont sensibles à leur réputation de cordon bleu. Il y a un plaisir, que nous avons beaucoup perdu, à faire la cuisine, et il est important d’associer la personne âgée à ce travail, ou au minimum à lui parler recettes, lui demander des conseils... cela lui redonne une place, un rôle central, cela lui permet de reparler du passé. Souvent la personne âgée critique le goût de ce qui lui est servi ; il ne faut pas s’en formaliser, car cela est dû à trois facteurs au moins :

  • Souvent les repas servis par les collectivités ne sont pas très satisfaisants.
  • Le fait de critiquer redonne une fonction à la personne.
  • Mais l’essentiel est que l’âge modifie le goût : si les plats sont moins bons c’est parce que le palais n’est plus ce qu’il était.

3) Mettre la table : il est important de le faire soigneusement ; une belle table, une serviette pliée, quelques fleurs peuvent redonner envie de manger.

Il n’y a aucun rapport entre un repas pris seul parce qu’il faut bien se nourrir et le même repas pris en groupe. Surtout à la campagne le groupe a une fonction très importante, car il s’agit du partage (que l’on pense au repas du cochon). La table n’est pas seulement un lieu où l’on mange, c’est aussi un lieu où l’on parle : la bouche sert aux deux choses, et les deux se font en même temps. Il serait passionnant d’essayer de s’organiser pour faire des repas à plusieurs, par exemple en invitant une voisine de sorte que les deux aides ménagères travaillent ensemble.

LA CULTURE ET LES HABITUDES

L’alimentation entretient avec la maladie et l’âge des rapports singuliers. On a vu une partie des phénomènes, surtout physiques, qui font que la nutrition du sujet âgé pose souvent problème.

Mais il y en a d’autres, qui viennent nuancer et enrichir ce schéma.

1) Symboliquement il y a une alimentation pour chaque âge de la vie, et quand leur enfant est malade toutes les mères font des bouillons de légumes et des jambons-purée. De la même façon il y a une alimentation symbolique de la personne âgée, qui ne repose sur aucune donnée objective mais qui est décidée de manière automatique, souvent avec l’accord de la personne âgée elle-même, les uns et les autres étant persuadés qu’il y a là une nécessité alors qu’il n’y a en fait qu’un préjugé ou une habitude.

Quelques exemples suffiront à éclairer le propos.

On remarque qu’en institution le petit déjeuner fait largement appel aux biscottes. Ceci ne repose sur aucune base diététique, la biscotte n’ayant aucun avantage sur les autres formes de pain. Quand on essaie de proposer du pain, souvent on s’aperçoit que la personne âgée le préfère. Cette anomalie repose sur plusieurs facteurs qu’il est intéressant de noter :

  • Le pain n’a plus le même goût qu’autrefois, alors que le goût des biscottes a peu varié.
  • Le soignant croit que la personne âgée préfère les biscottes.
  • La personne âgée croit que le soignant préfère lui en donner.
  • Il y a un modèle culturel qui fait que la personne âgée marque son âge en changeant ses habitudes alimentaires ; d’ailleurs spontanément elle demande des biscottes ; les choses changent souvent quand on lui laisse du pain à disposition.
  • Le soignant a besoin de marquer qu’il existe une différence entre la personne âgée et le reste du monde ; les marques de cette différence sont multiples : fauteuil roulant, eau de Cologne, porte de la chambre laissée ouverte et biscottes au petit déjeuner.
  • On argumente souvent en disant notamment que l’état dentaire de la personne âgée lui interdit de manger du pain ; cela serait vrai si elle n’en mangeait pas le midi et le soir.

Le problème des textures est un des plus lancinants qui soient en institution. On pourrait pourtant dire qu’un faible pourcentage de personnes qui mangent haché ou mixé est pour une institution un critère important de qualité. Il est rare que cette question fasse l’objet d’une réflexion systématique, et le plus souvent les décisions sont prises au hasard. Essayons donc de résumer ce qu’on est en droit de dire sur ce sujet.

A) On peut proposer de mettre en alimentation hachée les personnes qui n’ont plus de dents ; mais il vaudrait mieux leur mettre des prothèses adaptées. D’autre part on connaît beaucoup de personnes âgées qui mastiquent de la viande avec leurs gencives.

B) Souvent l’alimentation hachée est décidée parce que la personne a fait une fausse route. Mais il n’est sans doute pas très légitime de changer l’alimentation d’un patient parce qu’il a fait une fausse route. Par ailleurs la mécanique de la déglutition est très compliquée (et très mal connue), et il n’est donc pas du tout certain que les aliments hachés offrent plus de sécurité que les aliments entiers : sans doute les blocages respiratoires par corps étranger dans la trachée seront un peu moins nombreux, mais il est à craindre que les fausses routes, avec leurs complications infectieuses volontiers mortelles, seront plus fréquentes.

C) Par contre tout doit être fait pour améliorer la digestion ; mastiquer constitue une activité physique ; le temps de contact des aliments avec la salive doit être le plus prolongé possible ; le plaisir de manger suppose que les aliments restent dans la bouche pour y développer leurs arômes ; les fonctions naturelles doivent être entretenues, et des glandes salivaires qu’on n’incite pas à travailler se mettent au repos, la bouche sèche et se fragilise.

2) La personne âgée, plus encore que l’adulte, fait de l’alimentation un enjeu culturel. L’acte de manger renvoie au passé, à la jeunesse, aux bons et aux mauvais moments. C’est ainsi que de nombreuses personnes âgées vivent sur le souvenir de « l’époque des privations » : la vie à la campagne était rude, et les souvenirs de la guerre (surtout il est vrai au Nord de la Loire) restent vivaces. Il faut garder à l’esprit que les années 45-65 ont été celles de l’explosion du bien-être, et que pour de nombreuses personnes de 60-70 ans les excès de table sont justifiés par le souvenir des temps de privation (et la peur irraisonnée de leur retour). Ce phénomène culturel vient s’ajouter au fait que le sujet âgé a en général perdu toute sexualité, et qu’il ne lui reste que peu de sources de plaisir. Cela conduit à un paradoxe : d’une part la personne âgée a tendance à réduire ses apports alimentaires de l’autre elle a peur de manquer. Souvent les deux coexistent dans son esprit, ce qui aboutit à d’étranges comportements de stockage (plus ou moins dangereux car les produits stockés sont volontiers cachés, et entreposés au mépris des règles de sécurité) alors que la personne inquiète par la faiblesse de son appétit. Ainsi on observe autour de l’alimentation un jeu assez compliqué :

  • L’arrivée du plateau-repas est attendue avec une grande impatience, parfois à la minute près : c’est un moment très important.
  • Le contenu du plateau fait l’objet d’une critique, souvent justifiée, mais toujours rituelle.
  • Le plateau n’est pas consommé en entier, en gros « parce qu’il faut en garder pour demain ».

3) La vie moderne a conduit à une certaine uniformisation des goûts. On ne fait plus certaines cuisines, on n’utilise plus certains procédés, certains condiments. C’est par exemple le cas de l’ail, dont les paysans gascons, mais aussi les immigrés espagnols, faisaient un usage très important. Il faut trouver le moyen de préparer les plats comme autrefois ; il faut songer à proposer des formules très inhabituelles : les catalans iraient au bout du monde pour une tartine frottée d’ail avec de l’huile d’olive et une tomate... D’où l’importance de l’interrogatoire, et de l’absence de préjugés. Ces pratiques culinaires n’ont en général pas d’inconvénient particulier du point de vue de la diététique, et elles étaient le plus souvent choisies en raison de leur faible coût. Par ailleurs elles fournissent une occasion de parler du passé et de valoriser les connaissances de la personne.

4) La gourmandise est toujours, plus ou moins consciemment, considérée comme un défaut. Mais il faut être logique : ce que l’intervenant veut, c’est que la personne âgée soit bien nourrie ; on ne peut à la fois vouloir qu’elle mange et lui interdire de manger ce qu’elle veut. D’ailleurs on aurait du mal à dire quels dangers elle court : on ne peut guère lui parler de cholestérol ou de diabète... Le seul point à surveiller serait le poids, même si, sur ce point comme sur d’autres, l’expérience montre que bien souvent les « situations anormales » sont bien mieux supportées qu’on n’aurait pu le craindre. Ajoutons que lorsque la personne âgée a une anomalie de son poids elle a toute chance d’être fixée, voire constitutionnelle : rien ne fera maigrir une vieille obèse, rien ne fera grossir une vieille maigre. Et elles n’en vivront pas tellement plus mal.

La présentation des aliments est essentielle. L’appétit est fortement stimulé par le plaisir de l’œil : les couleurs, les formes sont autant de points fondamentaux. D’autre part l’effort consenti, le temps passé pour cette présentation constituent la preuve de l’intérêt porté par l’intervenant à la personne âgée.

Avec l’âge le goût s’émousse. Il faut donc recourir aux aromates. Mais si le régime sans sel est presque toujours abusif, il n’en reste pas moins que les apports en sel doivent être limités. On doit donc utiliser les herbes, le poivre, les autres condiments. D’autre part la personne âgée a souvent un goût prononcé pour le sucre. Il n’y a pas de raison particulière pour l’en priver : même si on doit faire un effort pour lui donner une alimentation équilibrée et variée, il ne faut jamais oublier que l’urgence est à l’apport calorique, et qui si la personne veut se nourrir de desserts, c’est beaucoup mieux que rien.

5) Dans le même esprit, il faut admettre que la personne âgée mange quand elle veut : tous les moyens sont bons pour arriver à un apport calorique suffisant. On a déjà vu que le petit déjeuner peut permettre d’apporter jusqu’à 40% de la ration calorique quotidienne. Un goûter, des gâteaux secs proposés régulièrement, peuvent également constituer un apport calorique impressionnant. Si la personne âgée souhaite se nourrir ainsi, il ne reste plus, pratiquement, qu’à se préoccuper de l’apport protéique, qu’un ou deux œufs suffisent à assurer. C’est le moment de rappeler ce qui a été dit plus haut : les principes diététiques qu’il faut avoir à l’esprit sont très peu nombreux, et tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Par exemple il est fréquent que le dément se montre incapable de manger un repas complet mais sache encore se débrouiller de son petit déjeuner ; il est donc parfaitement possible de lui en servir plusieurs par jour.

6) Il existe des compléments alimentaires. Leur place doit être raisonnée, et on s’apercevra vite que leur intérêt est très limité.

Ce qu’on cherche, c’est à éviter la dénutrition quand elle n’est pas là et à la corriger quand elle est présente. Cela implique une stratégie très réaliste :
- En moyenne, une personne âgée qui mange moins de 2 000 calories par jour se dénutrit.

  • Il ne sert à rien de la faire passer de 500 à 1 000 calories par jour : elle continue à se dénutrir.
  • Si elle mange trop peu et qu’on ajoute des compléments alimentaires, le plus probable est qu’elle va remplacer ses repas par le complément, et que le bénéfice nutritionnel sera nul.
  • Les compléments alimentaires ne sont donc indiqués que chez la personne qui a encore des apports caloriques importants, mais qui a besoin de passer un cap, soit parce que provisoirement elle mange moins soit parce que ses besoins sont accrus (par la maladie notamment).
  • Les compléments alimentaires sont coûteux et le plus souvent non remboursés. Il faut donc vérifier qu’ils sont bien utilisés, et surtout nécessaires : on peut souvent obtenir la même chose avec de simples entremets du commerce ou des préparations maison.

Une autre question importante à considérer est celle des enrichissements. La personne âgée a souvent tendance à restreindre le volume de ses repas, il est donc nécessaire de lui fournir le maximum de calories sous la forme la plus concentrée possible.

Par exemple le soir elle ne mange que son potage : on peut augmenter de manière importante sa valeur calorique avec du beurre, de la crème, du pain, un œuf, du fromage... Il existe également des préparations en poudre de protéine qui peuvent enrichir la sauce d’un plat de viande (mais elles n’ont pas toujours un goût, et surtout une odeur très agréables). Enfin on peut utiliser certains compléments liquides pour remplacer le lait d’un petit déjeuner... Il y a là toute une gamme d’actions qui peuvent être imaginées, pourvu qu’on garde à l’esprit l’objectif essentiel : que les apports caloriques totaux augmentent dans des proportions convaincantes.

CONSÉQUENCES PRATIQUES

On va se contenter d’en tirer trois :

  • Le petit déjeuner est un repas capital : c’est même souvent lui qui constitue l’apport calorique essentiel.
  • Il n’y a aucune obligation à faire des repas. Il y a le fait de se nourrir, et si le sujet âgé ne veut pas faire de repas complets, si se mettre à table le dérange, s’il a trop mal au dos pour rester assis, s’il a perdu l’appétit et que la nourriture l’écœure, etc., on peut parfaitement le nourrir de petites collations répétées. La principale fonction du repas est sociale.
  • L’intervenant doit donc en permanence s’adapter et réfléchir à ce sur quoi il faut qu’il insiste. Il verra souvent que cela se réduit à bien peu de chose...

Docteur Michel Cavey

P.-S.

Voir également, sur notre forum, le sujet "L’alimentation de la personne âgée"

Notes

[1Cela ne doit pas conduire à être négligent sur les problèmes de transit intestinal ; mais chez le sujet âgé qui ne se plaint de rien, on a lieu d’être tolérant