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Évolution d’un dispositif thérapeutique de famille d’accueil (Toulouse)

B. GOUX, G. SUHANI (praticien hospitalier & interne, CH Marchant - Toulouse) - La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale n°36, mars 2000 (extraits)

Il s’agit ici de témoigner de l’évolution des pratiques et conceptualisations d’un petit Service d’Accueil Familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). Thérapeutique (SAFT) pour patients psychotiques adultes. Cette évolution a été centrée par un questionnement de base : pourquoi et comment l’immersion de patients dans une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! produirait-elle en soi des effets thérapeutiques ?

En septembre 1988 s’ouvrait avec quelques infirmiers de secteur, en toute précipitation, au sein du secteur où j’étais jeune praticien hospitalier, un service de "placement familial surveillé" : un arrêté de 1963 balisait réglementairement cette pratique, les tutelles étant favorables à des pratiques innovantes susceptibles de vider les hôpitaux et préférant alors qu’un tel dispositif soit géré par un établissement hospitalier plutôt que par le milieu associatif. Munis des conseils pratiques d’autres équipes de départements environnants, nous nous sommes donc lancés, en toute candeur décidée.

Et... parce qu’une pratique n’a pas toujours besoin d’être éclairée pour être efficace, ce mode de prise en charge s’est mis à produire des effets : des améliorations cliniques, des conflits, des ruptures surprenantes, des enlisements, des questions de la part des patients, des familles d’accueil, etc.

Insidieusement donc, des questions émergèrent dans l’équipe : certes, ces patients avaient quitté l’hôpital, mais vers où les amenait-on ? Avec quels objectifs ? Comment ? Pourquoi ce type de soins semblait bénéfique pour certains patients et intolérable pour d’autres ? Pourquoi "l’immersion" de patients dans une famille d’accueil produirait-elle en soi des effets thérapeutiques ? etc. Je vais tenter de vous rendre compte brièvement du travail d’élaboration de cette équipe soignante.

1) Présentation du service d’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
tel qu’il fonctionne maintenant :

L’accueil familial thérapeutique est un véritable outil de soins et contribue au développement des alternatives à l’hospitalisation prolongée. L’accueil familial thérapeutique s’adresse à des patients psychotiques lourds mais stabilisés et présentant à priori des capacités évolutives, aspirant à une vie en milieu ordinaire, tout en n’ayant pas l’autonomie matérielle et/ou psychique suffisante pour vivre seul ou pour tolérer les contraintes d’une vie institutionnelle en petit collectifs et dont le milieu familial est trop fragilisé pour pouvoir les prendre en charge au domicile familial.

[...] L’organisation générale de notre SAFT est intégrée à l’activité du C.M.P. du Faubourg Bonnefoy. Participent à ce service les 6 infirmiers de secteur et leur cadre infirmier, un médecin psychiatre, un psychologue et une assistante sociale (chacun, bien sûr, à temps très partiel). L’équipe prend en charge l’Accueil Familial Thérapeutique à tous les niveaux : prospection, agrément des familles d’accueil, préparation des patients et de leur famille naturelle, consultations et gestion du traitement, prise de contact et journées d’essai, suivi des patients et soutien des familles d’accueil.

En dix ans, le service a pris en charge 25 patients, pour des durées de prise en charge comprises entre 2 mois et 9 ans. Parmi eux, 8 sont encore soignés dans ce dispositif ; l2 patients sont sortis en domicile privé ou familial ou institutionnel non sanitaire ; seulement 5 ont été réhospitalisés durablement (dont 3 qui n’avaient d’ailleurs été accueillis que sur des périodes de week-ends).

2) Quels effets thérapeutiques l’accueil familial thérapeutique produit-il ?

Notre constat clinique de base est que, face à des expériences de vie, sources d’angoisse majeure, certains patients psychotiques décompensent. Ces patients retirent tout investissement au monde extérieur et ne se préoccupent plus de leurs conditions d’existence propre, ou ils tentent de renouer des relations avec le monde extérieur, mais sur un mode délirant qui invalide leurs capacités relationnelles et provoque le rejet et parfois des passages à l’acte.

Notre hypothèse de travail est que l’accueil familial thérapeutique permet au patient psychotique de rejouer une situation familiale, en ayant l’occasion de s’y situer différemment : en étant suffisamment sécurisé pour ne pas être dans l’obligation de recourir au délire, le patient peut reprendre confiance en lui et en ses potentialités, multiplier ses centres d’intérêt et prendre le risque de s’engager à nouveau dans des relations et des acquisitions.

Notre objectif de travail, dans sa globalité, reste centré sur l’acquisition par le patient d’une plus grande habileté et/ ou d’un plus grand confort dans les gestes et les relations de la vie quotidienne ; nous avons a priori le souci de lui éviter une réhospitalisation prolongée, mais pas en privilégiant son autonomie à n’importe quel prix psychique.

L’accueil familial thérapeutique produit des effets thérapeutiques situés au-delà d’effets de déchronicisation hospitalière, auprès de patients psychotiques souvent hospitalisés intra-muros pendant de nombreuses années ; ce sont essentiellement des effets resocialisants.

Notre expérience de l’accueil nous montre que le patient peut, dans ce cadre, restaurer des liens stables, s’engager au fil du temps dans une relation interpersonnelle solide, avec son lot d’émotions, d’attentes et de déceptions. Cette restauration de liens s’établit d’abord dans l’unité d’accueil familial thérapeutique, puis progressivement dans un environnement de plus en plus large (voisins, amis de la famille d’accueil, les commerçants, un CATTP de proximité, etc.) Par ailleurs, cette immersion dans un cadre familial permet au patient de se réapproprier progressivement son histoire personnelle et familiale, parfois de renouer des liens de qualité avec sa famille naturelle et de se situer à nouveau dans une historicité.

Ce qui fait la spécificité de l’accueil familial thérapeutique par rapport à d’autres formules extrahospitalières avec hébergement, c’est que le soin ne se déroule pas dans un lieu institutionnel repéré. Si la famille d’accueil est un milieu ordinaire, ancré au plus profond de la structure sociale et de la vie quotidienne, ce n’est pas un lieu neutre : non seulement une dynamique traverse et anime cette famille, mais cette famille et l’accueilli sont inclus dans un dispositif propice à l’élaboration psychique.

[...] L’accueil familial thérapeutique, ce serait plutôt une question de lien, d’interactivité entre les uns et les autres. La formule de sa réussite pour un accueilli, une famille et une équipe pourrait s’énoncer ainsi : "il s’y passe toujours quelque chose" ; ce quelque chose qui passe ainsi des uns aux autres dans les visites aux accueillants et accueillis, dans les consultations, les entretiens, les réunions d’équipe, c’est la vérification chaque fois requise par tous, de la validité, de la viabilité, de la solidité du lien qu’implique ce dispositif, pour que l’alchimie de ce montage continue à produire des effets.

3) Qu’elle a été l’évolution de ce service d’accueil familial thérapeutique en 1988 ?

Au fil de l’évolution des textes réglementaires, de l’évolution de la constitution de l’équipe et surtout de l’expérience clinique, nos pratiques ont évolué. [...]

  • ce type de soins ne s’adresse plus à des patients névrosés. L’accueil familial thérapeutique nous paraît trop exposer les patients névrosés à un enlisement symptomatique et fantasmatique (où le patient peut facilement alimenter un fantasme de famille bonne, c’est-à-dire "meilleure que la famille naturelle, sans laquelle aucune des difficultés rencontrées dans l’enfance ou ensuite, ne seraient arrivées"...).
  • Nous avons appris à travailler avec les équipes nous adressant un patient pour un accueil familial thérapeutique ; pourquoi ? Parce que le travail de préparation du patient à l’accueil peut être long et lourd, à réaliser en synergie avec l’équipe envoyeuse, pour bien sûr préparer concrètement les problèmes matériels liés à ce changement et faire plus ample connaissance avec le patient et son histoire, mais aussi pour cerner dans quel désir d’équipe est pris le patient à qui cette modalité-là de soins a été proposée, et [...] pour faciliter en particulier la décision d’arrêt de prise en charge [...]
  • L’accueil familial thérapeutique est un soin de longue durée, pour des patients lourds. Nous avons choisi de doter le dispositif d’outils de scansion de ce temps écoulé, afin de remettre régulièrement en perspective pour chacun - patient, famille d accueil et équipe - le fait que l’accueil familial est un moyen thérapeutique et non une fin en soi. Au-delà bien sûr des synthèses d’évolution, ces outils consistent en l’élaboration régulière entre l’équipe, le patient et la famille d’accueil d’un contrat thérapeutique prenant acte du temps d’accueil écoulé, des derniers acquis ou reculs et refixant d’autres objectifs, parfois très modestes, à l’accueil ; d’autre part nous avons instauré structurellement des temps de séparation du patient d’avec les accueillants, afin que le patient puisse régulièrement évaluer la teneur des liens qu’il a tissés avec les accueillants, et ses acquis, et tester ou déclencher un éventuel désir de vivre ailleurs et autrement.
  • Nous n’orientons plus deux patients dans une même famille d’accueil, sauf de façon très ponctuelle et limitée dans le temps
  • Notre procédure d’agrément des familles d’accueil a changé, avec un engagement de plus en plus important des infirmiers dans cette procédure, alliée à une plus grande structuration de celle-ci. Nous sommes devenus attachés à ce que cet agrément puisse être réévalué régulièrement, car même si nous savons éviter d’agréer des familles indisponibles ou pathologiques, l’expérience nous a appris qu’au fil du temps de l’accueil un patient pouvait en devenir l’otage affectif ou financier de façon aliénante.
  • Nos modalités de collaboration avec les familles d’accueil ont évolué, passant d’un positionnement vis-à-vis d’accueillants à un positionnement vis-à-vis de co-thérapeutes. Nous avons également instauré des réunions de familles d’accueil, dont l’objectif n’est pas de leur inculquer un savoir scientifique sur la psychose ou un savoir-faire face aux patients, mais de leur permettre de faire lien entre elles, de partager leurs questionnements et leurs expériences dans l’accueil, leur " savoir y faire " avec leur accueilli.

4) Les enjeux concernant l’avenir de l’accueil familial thérapeutique :

J’ai choisi d’en privilégier trois.

  • Premier point, de nature réglementaire : le statut d’hospitalisé à temps plein avec hébergement des patients traités en accueil familial thérapeutique a pour eux des conséquences financières lourdes et leur interdit, en parallèle, toute prise en charge de journée dans d’autres structures sanitaires ou médico-sociales. Ces deux limitations ne favorisent pas la préparation de l’après - accueil familial thérapeutique et l’investissement progressif d’autres lieux d’échanges et d’activités en dehors de la famille d’accueil.
  • Deuxième point : la question, très à la mode, de la professionnalisation des familles d’accueil. Actuellement, si l’on s’en réfère au plancher réglementaire des rémunérations des familles d’accueil, celles-ci touchent plus une indemnisation qu’un salaire. Un courant médiatique, porté par certaines associations de formation à l’accueil familial, incite de plus en plus les familles d’accueil à revendiquer une professionnalisation avec un meilleur statut une meilleure rémunération et de meilleurs droits sociaux, notamment en termes de congés et de fondation professionnelle. Ce qui apparaît légitime, d’un strict point de vue sociologique.

Mais, de mon point de vue, il faut tarder à l’esprit que cette pente à la professionnalisation n’est pas sans risques. Actuellement, une famille d’accueil accueille chez elle un sujet, pas un patient psychotique. Les accueillants, au fil de l’accueil et dans le cadre du dispositif thérapeutique, deviennent de véritables cliniciens, débusquant chez l’accueilli ce qui indique que quelque chose ne va pas, aident l’accueilli, au fil du vécu quotidien, à reconstruire sa propre histoire, l’entraînant dans leur désir pour lui, dans leurs aspirations éducatives, dans leurs représentations de l’accueil.

Si la professionnalisation des familles d’accueil entraîne dans son sillage une formation théorique scientiste sur la psychose, avec standardisation des représentations et modalités de l’accueil, promotion de l’empathie et du self-contrôle, cet outil perdra toute sa spécificité et sa force thérapeutique.

De surcroît, l’idée de " caser " des patients psychotiques chroniques au domicile de particuliers rémunérés pour ça, me paraît pouvoir s’emparer à tout moment d’hommes politiques soucieux en priorité d’assainir les finances de la santé. Il faut être vigilant à ce que les familles d’accueil ne deviennent pas des infirmiers psychiatriques à moindre coût, car sans soutien ni guidance psychiatrique soutenus, ces familles d’accueil ne feraient plus de l’accueil familial thérapeutique.

  • Troisième et dernier point : un mot sur l’accueil familial social. Rappelons que cet accueil s’adresse à des personnes âgées ou handicapées (donc, théoriquement, sans pathologie évolutive) ; dans ce cadre, les frais d’hébergement et de dépendance sont à la charge des accueillis et l’encadrement médico-psychologique de ce type d accueil est minimal. L’accueil familial social a le vent en poupe. Souvenons nous que ce n’est qu’au décours de l’article 18 de la loi du 10 juillet 89 sur l’accueil familial social que l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux a été évoqué [...]

Nous avons intérêt à faire valoir la spécificité thérapeutique de l’accueil familial thérapeutique et à faire entendre qu’il est une modalité de soins et non d’hébergement, si nous voulons éviter l’amalgame entre accueil familial social et accueil familial thérapeutique.

Les patients psychotiques lourds mais évolutifs ont besoin, pour avancer, d’un accueil familial encadré de façon très serrée par des professionnels de la santé mentale. Si ces patients malades mentaux étaient pris en charge en accueil familial social, ils ne seraient plus pris dans une dynamique de soins : ce serait une autre façon de nier ou de camoufler la psychose (car la mortification, le repli autistique, la méconnaissance du délire avec parfois des passages à l’acte, peuvent exister aussi en famille), à l’instar de l’époque où des patients psychotiques étaient poussés à vivre seuls, sans filet et à tout prix, en appartement autonome. [...]