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Foyers, résidences, vieillesse et solitude

Auteur : Danou ZUINGHEDAU

Danou

"Les jeunes vont par bandes,
Les couples vont deux ensemble,
Les vieux avec la solitude"

(dicton suédois)

On les appelle des "Foyers". Ce mot évoque l’image d’une demeure où il fait bon rester, lieu de partage familier, d’hospitalité. Les résidences pour personnes âgées répondent-elles réellement à cette vocation ? S’affrontent-elles vraiment à la solitude des plus âgés ? Suffit-il de les regrouper pour leur offrir un foyer ? Comment leur permettre d’assumer des pertes inéluctables, mais aussi de vivre d’autres liens ?

Ces résidences qui se sont multipliées il y a une quinzaine d’années ont été prévues pour lutter contre l’isolement des anciens. Mais elles ne suppriment pas le stress de leurs locataires, souvent blessés dans leur vie : divorces, veuvages, départ des enfants, habitat devenu inadapté.. Les foyers peuvent-ils pallier ces difficultés ?

Ils ont cherché à répondre d’abord à un problème de logement. Ils le font bien, grâce à un confort matériel étudié.

A l’origine, ces foyers recevaient des retraités de 85 ans. Ils ont vieilli depuis et les nouveaux venus arrivent à un âge avancé (85, 90 ans), surtout les femmes. A cet âge, les handicaps d’audition, de vision, de mobilité sont inévitables : ils font obstacle à la communication interpersonnelle, ou collective surtout. Le poids de l’âge est lourd, entraînant une réduction d’activité, un manque d’esprit d’ouverture et d’attention au monde, des radotages.

"A leur âge"

Les difficultés d’animation sont grandes et les échecs engendrent rapidement une lassitude.

Dans le foyer Saint-Jean de Dreux, une chorale avait été créée. Elle rassemble toujours, chaque semaine, des habitants du quartier, mais elle ne compte plus que trois anciens à ses répétitions. De même, un groupe de "remise en forme" s’exerçait deux fois la semaine. Plus aucun locataire n’en fait partie. Les veillées de Noël ou du Nouvel An n’ont réuni que 10 à 20 personnes. Le buffet, pourtant, était généreusement pourvu. Tous les autres étaient-ils sortis en famille ? ?

Deux présentations de diapositives - une rétrospective de la vie de la maison, les photos d’un voyage en Roumanie - n’ont touché qu’un petit public.

Fréquemment, l’association communale des retraités propose des sorties, des tournées touristiques, repas, bals ou séances récréatives. Leur prix peut expliquer l’abstention de certains, mais les participants se comptent par unités : "moi, à mon âge, je ne sors plus, c’est bon pour les jeunes".

Il est d’autres signes, plus graves, d’ennui et d’angoisse. Deux suicides en deux ans dernièrement. Pour quelqu’un d’encore actif, une certaine solitude peut être acceptée : elle est un refuge, elle facilite le repos, le calme, la réflexion. Mais pour un ancien que les forces et les siens abandonnent, elle s’impose comme une fatalité. Elle conduit à l’inertie, à l’effacement de soi-même - annonciateur de l’ultime solitude de la mort -.

Certains (ils sont rares) se reçoivent, guère plus de deux ensemble, pour un goûter ou un repas du soir. Huit femmes se retrouvent chaque soir, entre 18 et 19 heures, dans le salon, discutant des faits du jour. Toujours les mêmes. L’échange est simple et joyeux. Il y a même des ententes, des rendez-vous pour une sortie, des gestes positifs, mais comme un secret qui ne se partage pas.

Pierre, Françoise et les autres

Il y a surtout des visages sympathiques, à l’aise dans cette maison. Laissez-moi-vous en présenter quelques-uns :

Pierre était comptable dans une entreprise. Veuf, il a un enfant qu’il ne reçoit que rarement. A la mort de son épouse, il s’est inscrit au foyer par souci de contacts et par besoin d’aide matérielle. Le matin, on le voit arpenter les couloirs, quêter des nouvelles, écouter les bavards, rendre à l’occasion des petits services, avertir des changements. Dans sa chambre, il lit encore des livres d’histoire, mais il "se fatigue vite".

Françoise a 76 ans. Elle s’était préparée pour l’enseignement, mais n’a pu exercer pour raison de santé. Elle a longtemps habité avec son père. Elle a débarqué dans ce foyer avec toute une bibliothèque. Elle fouille des livres de contes pour enfants et va les raconter à l’école maternelle d’a côté. Elle tient à se débrouiller seule. Que fera t’elle lorsque sa santé fléchira ?

Francis, 68 ans encore alerte, possède une voiture. Il la bricole et s’en sert souvent pour des promenades. Il s’évade de sa "cellule".

Amélie est d’origine paysanne. Célibataire, elle vivait chez sa mère. Aujourd’hui, elle est immobilisée par des rhumatismes. Son jardin d’avant ? D’autres le cultivent.

Il est encore d’autres visages heureux. Sylvie, une ancienne commerçante, d’un naturel liant, qui aime rendre service. Henri, métallo toute sa vie, il se faufile toujours avec le sourire, sans beaucoup s’exprimer.. Il écoute sans donner son avis - on l’appelle "l’œil de Moscou". Germaine se montre un modèle de régularité : elle se lève tôt, fait sa demi-heure de marche, expédie ses courses et se veut attentive aux autres. Elle travaille manuellement pour des "œuvres".

Les volets clos

Pourtant, si je prête l’oreille aux confidences, un autre son de cloche domine souvent : "on se trouve dans une maison d’ennui". La solitude est mal vécue par beaucoup, le jour et surtout la nuit.

Denis, 87 ans, était ajusteur. Il a longtemps soigné, chez lui, sa femme malade. Il tenait la maison et cultivait un jardin. A la mort de son épouse, il a vendu la maison. Il s’intéressait aux livres en allemand, à l’histoire. Mais depuis son glaucome, il ne voit plus, il ne trouve pas d’interlocuteur. Il fait les cent pas dans le foyer ou au jardin. "Je rentre souvent dans ma chambre et pleure sur ma femme, ça me fait du bien !"

De Mireille, on ignore tout le passé. Murée dans son silence, on la croise dans les corridors. Elle occupe parfois, seule, un fauteuil au salon, mais se lève quand on arrive. Elle est sourde.

Victor, un ancien artiste peintre, s’est retrouvé chassé de sa boutique par son grand fils. Il s’est inscrit ici pour le vivre et le couvert, mais il ne supporte pas sa situation. Il ne comprend pas l’attitude de ses enfants. Deux fois déjà, il a cherché une famille "d’adoption", comme il dit. "L’Église interdit le suicide, sans cela il n’y a que cette solution qui me reste".

Maria, 89 ans, d’origine polonaise, a dû laisser son époux aux soins de l’hôpital depuis trois ans. Elle va le voir tous les deux jours. "Une heure de transport, deux près de lui, puis le retour ; mon après-midi y passe. Il ne parle pas. Me reconnaît-il ? Je me fatigue pour rien. Mais ma présence est sentie. Moi-même, je souffre d’une arthrite aiguë ; j’ai de la peine à marcher, j’avance lentement et personne ne m’accompagne, c’est trop long".

La solitude, la nuit, est toujours redoutée.

On ferme les portes extérieures, mais aussi intérieures, dès 20h30...

Odette, une vieille fille de 72 ans, souffre très fort du dos, elle doit s’appuyer aux murs. Elle interpelle tout le monde et bouge sans cesse : "Ca me fait oublier mes douleurs". Mais elle obtient peu d’audience dans le foyer et se renferme de plus en plus.

Voici, trop rapidement brossées, quelques figures de ce foyer. Mais il y a toutes les autres, "lot méconnu", que l’on n’aperçoit que de loin à table, toujours à la même place, sans bruit, ou à la levée du courrier du matin. "Ca va ? - Comme des vieux... C’est la vie !"

Je ne sais pas grand chose d’elles. Elles n’ont plus grand chose à raconter. Parfois, l’une d’entre elles passe à l’hôpital. Si l’une ou l’autre décède, on en parle peu : "C’était son tour", et tout semble l’oublier. Qu’est-ce qu’on fuit ici ?

Les visiteur

Pour compléter ce "défilé", quelques flashes sur leur vie quotidienne.

Dès le matin, sept médecins se succèdent pour des visites, le plus souvent appelés pour des petits malaises. Leurs ordonnances ne sont pas toujours exécutées ! Il y suffit d’un petit coup d’œil malicieux ! Ils les demandent autant pour avoir un confident, étaler leurs misères et leurs craintes, peupler une solitude accrue dans la nuit trop longue.

Tous, même les plus actifs, attachent une importance régulière au courrier ! C’est le rendez-vous des obstinés, dès avant l’heure du passage du facteur. Vient-il à tarder, l’impatience monte. On ne lui laisse même pas le temps de charger les boîtes aux lettres. N’apporte-t-il pas un répit dans leur isolement ?

Il y a des lieux préférés, stratégiques, pour stationner en attendant le repas, avant la sieste, ou le soir avant la nuit. Des espaces en lien avec l’extérieur (baies vitrées, entrée) : comme s’ils étaient les seuls observatoires de la vie.

Les visites individuelles que je réussis à assurer sont des moments de conficences. Il m’est arrivé d’écouter, sans avoir à rien dire, pendant près de deux heures de paroles avant de me retirer. Le besoin de rencontre, d’expression était trop longtemps comprimé.

Les passages des aides-soignantes représentent une étape plus importante que celle d’une assurance de soins matériels et de services. Ils échangent, discutent avec elles, parlotent. Elles font le lien entre les vieux.

Lorsqu’il fait beau, le plus grand nombre descend dans le jardin. Sur les bancs, toutes les places sont occupées. Des heures durant, ils restent sans dire mot.

QU’ATTENDENT-ILS ? QUE FUIENT-ILS ICI ?

Manger prend une place toute particulière. Les repas durent plus d’une heure. Le premier geste, le matin, est de consulter le menu du jour. Beaucoup sont capables d’ingurgiter avidement, et en quantité, les plats qui leur plaisent : choucroute, pommes frites, pâtes. Comme une compensation à l’absence de satisfaction, à un VIDE

"Il n’est pas bon que l’homme soit seul"

Est-il vraiment nécessaire de conclure ?

Il paraît évident que tout ce qui facilitera un dialogue, une ouverture des locataires du Foyer, ou toute autre forme d’expression personnelle, même matérielle, changera les réactions intérieures de chacun.

Mais, bien sûr, ce sont ceux qui ont pu bénéficier d’une formation, quelle qu’elle soit, durant leur vie, qui ont des chances de pouvoir s’occuper intelligemment - au moins quelque temps - durant leur passage dans le foyer.

Une nécessité s’impose surtout : assurer un personnel qualifié d’éducateurs en gériatrie. C’est un effort onéreux, difficile, mais indispensable pour que l’homme vive ses vieux jours avec dignité.

A l’époque où le vieillard "doit assumer, de pertes en pertes, le quotidien et découvrir le primat de l’être sur l’avoir" (Docteur THIEL), pour accueillir un avenir incertain, l’abandonnera t’on à ses seules ressources ?

Les infirmités et les handicaps sont souvent proportionnels à l’épanouissement de la personne. Sans soutien, tout se passe pour le vieillard comme si son isolement l’enfermait dans un cercle vicieux ; la claustration amenant des effets psychosomatiques qui, à leur tour, aggraveront la sénilité.

Le grand âge favorise l’appréhension. Tout changement devient présage d’inaptitudes nouvelles, de souffrances, de douleurs. Les mesures favorisant le maintien à domicile, avec un accompagnement et des services adaptés, sont préférables à des grandes structures.

Les familles sont trop contentes de "caser" leurs vieux. Ici, comme ailleurs, 7 % ne reçoivent aucune visite régulière, abandonnés à l’absence et à la déréliction.*

"L’homme naît pour vivre avec les autres, mais il meurt toujours seul"

* Déréliction : état d’abandon et de solitude morale complète