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La supervision des familles d’accueil

Chantal RADIGUET, psychothérapeute - Paris (Extraits)

Pages 29 à 34 (...) : commander la revue à : IPI - 50 rue Samson - 75013 PARIS - Tél. 01.45.89.17.17

> Extraits :

Il y a cinq ans, le département d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). m’a demandé, en tant qu’intervenante extérieure au centre hospitalier Paul Guiraud de Villejuif, d’effectuer la supervision des accueillantes familiales. Jusqu’alors, des réunions organisées autour d’un thème étaient animées par des psychologues appartenant à certaines équipes médicales de l’hôpital. Ce positionnement extérieur fut énoncé comme la clé de voûte du fonctionnement du groupe et impliquait qu’aucun lien ne devait exister entre les équipes médicales, le département d’accueil familial et moi-même.

En mettant en place ce dispositif, à savoir un groupe totalement autonome et en même temps complémentaire du travail réalisé par les structures hospitalières, le département d’accueil familial proposait aux familles un lieu où une parole pourrait librement s’énoncer. Très rapidement, cette règle fondamentale d’indépendance fut vécue comme bénéfique, protectrice et fort rassurante par les familles.

Au fil du temps, la parole des familles d’accueil a évolué ; leurs demandes et leurs attentes se sont modifiées. Si elles venaient essentiellement pour parler de leur patient et pour obtenir des « recettes » (le patient occupant alors le devant de la scène), progressivement elles se risquèrent à exprimer les différentes facettes de leur vécu face au patient et à l’équipe médicale. Le groupe de supervision ne fut plus simplement « un outil nécessaire pour rester professionnel et être moins seul » mais un espace indispensable à leur bien-être psychologique, un temps de respiration et de plaisir : « c’est un moment qui nous donne le droit de souffler, de nous détendre, de nous absenter de nos patients, tout en réfléchissant à notre métier pour mieux l’exercer ».

La création de ce groupe fut vécue par les familles comme une marque de reconnaissance. Elles eurent alors le sentiment d’exister, d’être prises en considération, d’avoir de l’importance puisque « l’hôpital payait quelqu’un » pour elles. Cet acte les valorisa et modifia la perception que certaines familles avaient d’elles-mêmes.

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RÔLES ET EFFETS DU GROUPE

Le groupe est un outil que les familles vont s’approprier au fur et à mesure que la confiance et l’empathie s’installent et que le questionnement se déploie. De morcelé au départ, il devient une entité jouant différents rôles selon les besoins, les demandes et les attentes : par exemple, celui d’initiateur, de réceptacle, de modérateur, de miroir, de conseil et d’aide, d’appui, de référence, de protection et de sécurisation…

Les échanges et interrogations s’orientent essentiellement autour de trois axes : le patient, ses comportements, sa symptomatologie d’une part ; la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! , son rôle, sa place, sa relation avec le patient, les diverses facettes de son vécu d’autre part ; et enfin les relations avec l’hôpital et plus particulièrement avec les équipes médicales.

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1. Dans l’accompagnement du patient

Les familles relatent les évènements du quotidien vécus avec leur patient, les difficultés auxquelles elles se heurtent (problèmes d’hygiène et d’alimentation, troubles corporels, troubles spatiaux et mnésiques, voix et hallucinations, passivité ou refus du patient, absence d’autonomie, agressivité, vides relationnels, argent, cigarettes, alcool…) et, bien sûr, les interactions et les situations conflictuelles. Elles abordent également leurs incapacités ou leur ambivalence à poser des limites, à énoncer un « non » : « il est malade » ou « même dans la vie, je ne sais pas dire non » car, pour elles, cela est synonyme de contrainte, d’empêchement et non pas un élément qui structure et sécurise.

La question fondamentale de la différence entre « accompagner » et « éduquer » se pose souvent. Pour certaines familles, prendre en charge un patient, c’est le normaliser, le rendre conforme, le faire à leur image. Pour d’autres, il s’agit davantage d’inscrire le patient, reconnu souffrant et différent, dans une dynamique d’évolution ; ainsi, le respect de certaines règles pour vivre au sein de la famille sera-t-il appréhendé avec plus de souplesse.

Progressivement, elles verbalisent ce qu’elles ont perçu et compris, ou pas, du comportement du patient, de ses angoisses, de ses régressions, de ses symptômes ; comment elles ont réagi dans la relation avec lui, quelles solutions elles ont tenté d’apporter…

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2. Sur le vécu des familles d’accueil

Au fur et à mesure que la parole s’approfondit, les familles disent combien ce métier les met à l’épreuve, combien les fluctuations émotionnelles et affectives qu’elles vivent dans la relation avec le patient les font souffrir et souvent même les entament ; des expressions comme « je n’en peux plus », « je craque », « je suis complètement déprimée », ne sont pas rares.

Ces fluctuations sont étroitement liées à certaines phases de l’accompagnement et à ce qui s’y joue. Par exemple : la phase de la lune de miel suivie de déceptions amères ; le plaisir et la joie dus à la satisfaction d’un mieux-être du patient ou d’acquisitions diverses, transformés en tristesse et désillusion face aux limites imposées par la maladie ; les attentes et les espoirs de la famille envers le patient, barrés par la perpétuelle et lassante répétition ; les moments tranquilles « sans histoire » interrompus par un raptus suicidaire ou par des moments de crises où la peur et l’angoisse surgissent face à la violence psychique et/ou physique du patient lorsque la famille éprouve de l’effroi face au « regard fou » du patient qui fait naître des fantasmes de meurtre dont elle a honte et se sent coupable ; un climat relationnel paisible suivi d’extrêmes tensions qui font dire à la famille qu’elle se sent « otage du patient et de sa maladie », que la relation qui existe entre eux est une relation de « chat et de souris ».

Bien sûr, il y a des phases d’harmonie et de sérénité  : « tout va bien, j’ai de la chance d’avoir cette patiente ; je ne voudrais pas en changer » ; « ça fait plaisir de le voir évoluer et sourire, je me sens récompensée » ; « c’est dur, je me suis vraiment donné du mal mais je suis contente, et même un peu fière de ce que j’ai fait avec cette patiente, on a réalisé le projet thérapeutique »... Ces temps de calme et de satisfaction apaisent la famille, la valorisent, la restaurent psychiquement car elle « y croit de nouveau » et elle se sent utile. Un autre aspect à considérer est la somatisation : des troubles du sommeil (les familles dorment moins bien, et moins profondément), une certaine fatigue, des douleurs dorsales, des problèmes de tension, une nervosité associée au fait « d’être sans cesse sur le qui-vive ».

À l’occasion de l’arrêt d’une prise en charge ou de vacances, elles réalisent le climat de tension dans lequel elles vivent en permanence, sans s’en rendre vraiment compte. Un tel constat les amène à s’interroger : « Pourquoi faire un tel métier ? Pourquoi s’obliger à faire des choses si pénibles, si éprouvantes ? Sommes-nous si masochiques ? » Un contre-point s’énonce par le biais de l’enrichissement humain et de leur mode relationnel, de leur plaisir et de leur curiosité à apprendre et à découvrir les facettes du fonctionnement psy- chique, de leur joie à apporter un peu de bonheur au patient et de le faire évoluer même à minima, et aussi, pour certaines d’entre elles, d’avoir un salaire.

LE GROUPE, LIEU D’ÉLABORATION

Au regard de ces vécus et des effets relationnels patient-famille, le groupe se révèle indispensable. Les familles formulent leur besoin d’un tel lieu perçu comme « soupape de sécurité pour ne pas disjoncter » à leur tour ; où elles peuvent « se décharger d’un poids », « déverser » leurs griefs, dire leurs blessures, leurs frustrations, leur sentiment d’impuissance, clamer l’insupportable qu’elles vivent parfois, exprimer ce dont elles ont honte et que longtemps elles ont tu.

Dans un moment de crise ou d’extrême tension, les familles vont, en questionnant la famille en souffrance, tenter de mettre à jour les malentendus ou les effets en chaîne qui circulent entre patient et famille, de désenkyster les éléments conflictuels, en considérant d’une part la souffrance et les réactions de la famille, et d’autre part, l’angoisse et le comportement du patient.

Par la reconnaissance des effets que chacun fait à l’autre, et par l’élaboration des interactions, la famille va se dégager d’un certain regard sur le patient, prendre conscience de ce qu’elle a pu induire, et retrouver son rôle en quittant des attitudes défensives ou offensives qui figeaient le travail et alimentaient le processus de crise ; elle sort d’un vécu souvent persécutif.

Grâce à cet accueil de la souffrance de la famille et à la réflexion qui se développe dans le groupe, une dédramatisation et une déculpabilisation s’opèrent ; la famille reprend confiance et peut appréhender la situation avec plus de légèreté. Autres aspects essentiels et bénéfiques du travail en groupe : les effets de la parole sur les familles entre elles, les transferts horizontaux, des identifications qui favorisent des évolutions.

Ainsi les familles qui fonctionnent sur un mode rigide, qui veulent généralement « éduquer le patient pour son bien », découvrent progressivement d’autres façons de le percevoir, d’être en relation avec lui, de se comporter face à lui, et de vivre sa symptomatologie. Elles vont peu à peu apprendre à faire vivre les différences, à composer avec et non plus à chercher à les annuler, voire à les nier. Le partage des expériences agréables et désagréables permet de relativiser plus facilement la dimension pénible d’une situation : « finalement quand j’entends les autres, je trouve que mon patient est plutôt facile, ce que je ne pensais pas jusqu’alors ».

Enfin, la dimension du plaisir inscrit le groupe dans une dynamique de vie ; les familles aiment à se retrouver pour parler ensemble, suivent l’évolution de chaque patient et de chaque famille, partagent leur désir de découvrir et de se découvrir entre elles.

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CONCLUSION

Il est évident que le métier de famille d’accueil se révèle difficile et fort complexe, qu’il fragilise et remet profondément en question les familles et leur entourage ; il les touche émotionnellement et affectivement. Pour que ces familles puissent rester à leur place et dans leur rôle de professionnels, pour éviter ou atténuer des dérapages surtout d’ordre affectif, pour qu’elles vivent leur travail avec plus de sérénité et de légèreté, un lieu de paroles et de réflexion tel que le groupe de supervision est indispensable. Davantage qu’un outil d’élaboration, complémentaire au travail réalisé par les équipes médicales, le groupe est un lieu qui les valorise, les renarcissise, et leur donne la reconnaissance qu’elles recherchent et dont elles ont besoin.

De plus, ce positionnement d’un groupe indépendant et d’un thérapeute extérieur à l’hôpital permet non seulement une parole plus vraie, une analyse plus précise et plus profonde des situations, mais aussi renforce le rôle structurant du tiers, et dans la construction subjective de chacun et dans la relation à l’autre. Ce tiers extérieur s’avère d’autant plus nécessaire qu’apparaît, à travers les propos des familles, une tendance à l’évincer, à ne pas en saisir profondément le sens, d’où la présence d’une certaine aliénation et emprise en toile de fond dans l’accompagnement et dans la relation avec le patient.

Ce constat amène les questions suivantes : d’où vient cette répétition de l’aliénation et de l’emprise ? Est-ce le patient qui, par son fonctionnement, induit cela, petit à petit, chez la famille d’accueil ? Ou le patient n’est-il que le révélateur d’un mode de fonctionnement latent chez la famille d’accueil ? Pour l’instant, il n’est pas possible de répondre.