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Maltraitance : "on achève bien nos vieux"

Dans un ouvrage paru le 5 mars 2007 - On achève bien nos vieux (Oh ! Edition) - Jean-Charles Escribano, infirmier depuis 25 ans auprès de personnes dépendantes, affirme qu’en établissements « l’omerta règne sur la médiocrité des soins apportés aux personnes âgées, une médiocrité mère de leur maltraitance quotidienne ».

Extraits...

Courant d’air

« Je viens de mettre les pieds dans ce que l’on appelle communément une maison de retraite. (...) J’entre dans une chambre. Je n’ai pas besoin de frapper à la porte, elle est grande ouverte. Il est 7 heures du matin, la fenêtre aussi est ouverte, le lit est vide, barrières relevées, et le locataire des lieux assis dans un fauteuil en plein courant d’air.

Il attend, demi-nu, que je procède à sa toilette et aux soins que nécessite son état. Il est sans robe de chambre, sans chaussons et mouillé de la nuit. J’interpelle l’agent de service, une femme qui s’active.

  • Il est dans le courant d’air.
  • Oui, mais il faut bien ventiler, ça pue ! Il faut aérer !
  • Mais il a froid, cet homme !

Aérer une chambre en ouvrant une fenêtre, c’est une chose, ventiler en est une autre. Il faut pour cela sortir le résidant de sa chambre et le mettre à l’abri du froid. Je commence par couvrir le pauvre homme après avoir fermé la ­fenêtre. »

Bon débarras

« Peut-on installer un résidant dans une pièce de débarras dotée d’un évier où le personnel a l’habitude de venir changer l’eau des frottoirs de sol ?... Peut-on considérer qu’en y mettant une armoire et un lit, en lieu et place des seaux et des balais, cette pièce devient une chambre ?

En tout cas, c’est dans ce local que je dois prendre soin d’une vieille dame, l’aider à sa toilette et la regarder nettoyer son dentier au-dessus d’un frottoir qu’une fille a oublié dans l’évier. Ce spectacle me révolte.

L’établissement, en surcharge, a promis à la famille que la vieille dame ne resterait pas très longtemps dans ce cagibi. Qu’un lit allait se libérer. Mais quand ? C’est le problème.

On est en dépassement de lits. Il y a un autre cagibi à un autre étage, il servira un jour ou l’autre de chambre de transit. »

Ils tombent tous, c’est facile...

« La cohabitation des résidants dans les mêmes pièces est parfois dangereuse. Cette malheureuse, atteinte par la ma­ladie de façon précoce - à peine 55 ans -, déambulait sans arrêt, criait, hurlait même. Un jour, quelqu’un s’est levé brusquement pour la repousser avec violence contre un angle saillant.

Résultat, la pauvre femme se retrouve littéralement scalpée. Une trentaine de points de suture, la moitié du crâne. Et lorsque la famille de­mande ce qui s’est passé, on lui répond : "Elle est ­tombée".

Ils tombent tous. C’est facile. Quand on sait de façon évidente qu’ils peuvent être dangereux et agressifs entre eux, voire pour eux-mêmes, il faut se montrer plus vi­gilant. »

Ca coûte du personnel.

« C’est vrai que ça coûte du personnel. Moi, mon problème n’est pas là. Je ne suis pas en train de chercher des responsables ou des coupables. Mon but est de mettre en évidence que des personnes sont en danger. Que les problèmes soient d’ordre social ou local, le fait de la terre entière ou d’un seul individu, ça n’est pas à moi de juger. Ça ne marche pas, danger, il faut le dire.

Pas d’encadrement suffisant, pas de budget. Le "secteur protégé" fait ce qu’il peut avec les grands dé­ments... j’entends ça depuis trop longtemps et cela vaut pour ­d’au­tres maisons de retraite. »

Vive les stages

« Céline avait 17 ans et a vu le pire en un mois de stage. Ce qui l’a choquée le plus, c’est qu’il lui ait été reproché d’être trop douce avec les pensionnaires. Principalement pour les faire manger, on lui répétait toujours : "Plus vite, faut que ça aille plus vite".

Un jour, pour lui montrer comment aller plus vite, l’aide-soignante lui a pris la cuillère des mains, l’a remplie d’un peu de hors-d’oeuvre, d’un peu du plat principal et d’un peu de dessert en même temps. Elle a enfourné le tout dans la bouche de la résidante et lui a laissé à peine le temps d’avaler pour en enfourner une deuxième. Le repas devait durer entre cinq et dix mi­nutes. Ça dégoulinait de partout, la pauvre femme n’avait pas le temps d’avaler convenablement.

Céline a vite ressenti que ce personnel ne s’intéressait pas aux vieillards, la for­mule récurrente étant : "De toute façon, ils n’ont plus toute leur tête".

Il fallait les faire manger à toute vitesse, les gaver, pour mettre tout ce monde devant la télé­vision à regarder Les Feux de l’amour . »

Bonjour l’hygiène

« Pas d’animation ou très peu, pas d’activité manuelle, pas de communication, pas d’échange, pas le temps de discuter avec eux.

Pour l’hygiène, l’odeur nauséabonde des résidus d’excréments était partout. Sur les murs, les rampes de l’escalier, les roues des fauteuils. Apparemment, un seul pensionnaire était coupable de ce balayage à mains nues. Il aurait sans doute été facile d’y remédier en le surveillant davantage. »


On achève bien nos vieux, Oh ! Éditions, mars 2007.


On tue les vieux

Cinq mois auparavant (en octobre 2006), Jacques Soubeyrand, chef d’un service de gériatrie à Marseille, racontait dans un livre au titre proche - On tue les vieux - (Fayard), « la toilette trop vite faite, l’ambulance qui arrive en retard, le repas servi froid » comme le quotidien de nombreuses personnes âgées.

« Je tiens à souligner que les personnels font généralement leur métier avec cœur, et c’est une raison supplémentaire pour être intraitable quand il s’agit de maltraitance », a tempéré le ministre délégué aux personnes âgées Philippe Bas... qui présentera, le 14 mars, un « plan contre la maltraitance », dont le point fort est la création, le 21 mars, d’une « Agence nationale d’évaluation des établissements médico-sociaux ».

Une instruction générale va être prochainement adressée aux services départementaux de l’action sanitaire et sociale (DDASS) pour qu’ils multiplient les contrôles au sein des maisons de retraite. « Il y aura une évaluation obligatoire et régulière », en interne et « en externe sous le contrôle de l’Agence », a indiqué M. Bas.

Un numéro d’appel « Allô maltraitance personnes âgées » (08.92.68.01.18) sera aussi prochainement lancé.

Un procès

Au même moment s’ouvre, à Bordeaux le procès d’une directrice dee maison de retraite. Jeanne Salacroux Philibert devra répondre devant le tribunal correctionnel de pas moins de six chefs d’inculpation. Mais les soupçons qui pèsent sur elle sont bien pires que l’exercice illégal de la médecine qu’on lui reproche notamment.

« Les témoignages des salariés concordent. Cette femme torturait ses pensionnaires », raconte Anselme Moizan, partie civile dans cette affaire et soeur d’une résidente. Gavage, gifles, coups, punitions des récalcitrants... « Si cela était arrivé dans une famille, c’était la cour d’assises. Pourtant, il y a tous ces professionnels qualifiés et ces organismes ayant pignon sur rue qui ont laissé faire et qui se taisent sur l’existence de ces mouroirs », s’emporte Christine Maze, l’avocate de la famille. Elle n’est pas la seule à enrager devant les conditions de vie qu’on inflige à nos anciens.

Commentaire de JEAN-MARC PHILIBERT (Le Figaro, 05 mars 2007)

" (...) Combien sont-ils ces vieillards qui chaque jour souffrent sans même pouvoir le dire ? On ne le sait pas vraiment. « Les familles ont peur de témoigner, explique Christophe Fernandez, le président de l’Association française de protection et d’as­sistance aux personnes âgées (Afpap). Si elles se plaignent, la sanction est immédiate : on leur dit d’aller voir ailleurs. Croyez-moi, personne n’a envie d’avoir à charge un malade d’Alzheimer ou un grabataire. »

De fait, les maisons de retraite indélicates sont en position de force pour exercer un chantage de ce type. Alors que 644.000 personnes sont aujourd’hui en institution, on estime à 280.000 le nombre de places manquantes.

Dans ces conditions, les familles préfèrent parfois fermer les yeux ­plutôt que de se retrouver avec un parent malade ou dément à la maison.

Un embarras que partagent les autorités. Conseils généraux et services de la Ddass, responsables de la prise en charge des personnes âgées ne peuvent pas se permettre de fermer un nombre trop important d’établissements. « Les besoins sont tellement importants ! Où voulez-vous mettre les résidents si vous ­fermez une maison de retraite ? », râle Jean-Charles Escribano. (...)"

Ne serait-il pas grand temps que tout ce beau monde découvre l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois).  ???

P.-S.

Février 2008

La ligne téléphonique du 3977, numéro national d’aide aux personnes âgées et aux personnes handicapées victimes de maltraitance, est ouverte depuis le 5 février.

Cette plateforme téléphonique nationale est accessible du lundi au vendredi de 9 heures à 19 heures au coût d’une communication locale depuis un téléphone fixe. Elle centralise l’ensemble des appels et assure une première écoute. L’écoutant prend les renseignements administratifs relatifs à la situation de la personne qui appelle et détermine le ou les motifs principaux de l’appel. Elle oriente et transmet ensuite aux centres locaux tout appel nécessitant une analyse, des conseils ou des informations.

La maltraitance dont les personnes âgées et les personnes handicapées sont les victimes renvoie à des situations allant de la négligence à la violence (infantilisation, humiliation, abus de confiance, défaut de soins, privation de droits, brutalité, sévices...).