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49 - Suppléance - substitution

Un changement de terminologie : de la substitution à la suppléance -
Les zones de partage de la parentalité -
Les formes originales de suppléance

Jamais la famille n’a été aussi sollicitée, son rôle autant mis en évidence, sa responsabilité dans l’éducation des enfants autant engagée comme en témoignent notamment les récentes propositions de loi sur la pénalisation des parents d’enfants délinquants.

Qu’en est-il pour les parents défaillants ? Lorsqu’une séparation intervient, sont-ils considérés comme des acteurs réels dans la vie de l’enfant ? Qu’en est-il de leur place dans les discours actuels et dans les pratiques ?

Un changement de terminologie : de la substitution à la suppléance
Pendant des siècles, le placement des enfants en institution ou en famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! a fonctionné sur le mode de la substitution. Substituer, c’est "mettre en lieu et place de quelqu’un, de quelque chose", c’est remplacer de façon globale « pour faire jouer le même rôle ». La plus flagrante illustration de ce concept est sans doute l’adoption plénière qui remplace la filiation biologique par une filiation adoptive, faisant disparaître la première y compris sur les fiches individuelles d’état civil. L’enfant est déclaré né de ses parents "adoptifs", sans que la mention « adoption » apparaisse.

Sans aller jusqu’à cette extrémité, on peut noter que les pratiques de placement ont longtemps favorisé la substitution d’une famille par une autre. L’éloignement géographique entre le domicile familial et le lieu de résidence de l’enfant, l’absence d’organisation des visites et des rencontres, le discrédit jeté sur les parents... sont autant d’éléments qui contribuaient à exclure les parents des enfants placés.

Un retournement spectaculaire s’opère en 1982, avec le rapport Bianco-Lamy qui réintroduit légalement les parents et met l’accent sur la conservation de leurs droits. Dès lors, le discours officiel et les pratiques, ne pouvant plus poser la substitution comme règle, tentent de redéfinir les rapports entre les parents et les familles d’accueil.

Paul Durning, spécialiste en sciences de l’éducation, a contribué à l’introduction, ou tout du moins à l’usage généralisé, du terme de suppléance pour qualifier cette nouvelle approche. Il propose d’appeler suppléance familiale les "dispositifs sociaux qui suppléent, pour une raison ou une autre, le groupe familial... Le terme suppléance réfère simultanément à une absence, au moins partielle, de la famille et à un supplément apporté par l’organisation éducative qui ne vient pas recouvrir strictement le manque".

Reconnaître les difficultés parentales, identifier les zones de défaillance mais aussi les zones actives de parentalité (les parentalités partielles) est aujourd’hui l’enjeu. Il s’agirait moins d’une substitution de la parentalité par une autre que d’inventer les conditions d’une "parentalité partagée".

Les zones de partage de la parentalité

Si suppléer c’est "ajouter ce qui manque", "compléter", "remplacer dans ses fonctions", encore faut-il définir les fonctions parentales, et préciser les manques auxquels il faudra remédier pour chaque parent et pour chaque enfant. Trop souvent, l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). se traduit par une disqualification globale du parent défaillant, sans valorisation de ses zones de compétence. Lisible dans les pratiques et dans les représentations des intervenants et des familles d’accueil, cette mise à mal de la place des parents n’est pas étrangère au renforcement de la toute-puissance et au malaise de l’enfant.

Les fonctions parentales sont multiples et trouvent à s’exprimer dans des tâches plus ou moins partagées au sein du couple (Le Camus). Parmi les plus importantes, on peut relever :

  • les tâches d’élevage ou de nursing : le nursing ménager (laver, cuisiner...), le nursing infirmier (soigner, consoler...), le nursing nourricier, avec des variations entre les pères et les mères selon un axe de différenciation entre nursing-tendresse et nursing-régulation (rappel de la loi, maintien de l’ordre)
  • les tâches éducatives qui concernent les apprentissages multiples, l’acquisition de comportements sociaux adaptés, la transmission de valeurs...
  • les tâches liées à la responsabilité parentale dans le rapport avec l’extérieur, les institutions, la société en général : le suivi de la scolarité, le choix de la formation, les décisions sur les sorties, les relations amicales...

En règle générale, ces tâches sont assumées par le couple parental, au-delà même du couple conjugal et de sa pérennité, comme le montrent les travaux d’Irène Théry sur le divorce. Mais, pour les parents des enfants placés, la dispersion de ces tâches devient le plus souvent la règle.

Les tâches domestiques, de nursing, d’éducation, sont attribuées au quotidien à la famille d’accueil, sauf lors des retours de l’enfant au domicile parental. De même, les tâches de responsabilité, en principe dévolues aux parents par la loi, se trouvent minorées par l’intervention du service (c’est souvent l’éducateur qui fait le lien avec l’école, non les parents) ou du juge.

On assiste donc à un éclatement des tâches parentales entre plusieurs protagonistes de l’accueil familial, et on peut, par là même, s’interroger sur la part d’actions et de décisions laissée aux parents dans l’éducation de leur enfant. La suppléance renvoie à un certain nombre d’exigences fondamentales dont la première serait une juste évaluation et le respect des domaines de compétences des parents, et la seconde une potentialisation des capacités non effectives au moment du placement, pour qu’une réelle perspective de retour de l’enfant puisse être pensée.

Les formes originales de suppléance

Certaines expériences vont en ce sens, en tentant de maintenir les interactions mère-enfant par un accueil groupé de la dyade. Ainsi, les tâches de nursing et d’éducation de l’enfant restent assumées par la mère ; l’assistante maternelle ne la suppléant qu’en cas de difficulté ou d’incapacité, et servant en quelque sorte de modèle d’identification et d’adulte-ressource.

D’autres structures déjà anciennes ont fait la preuve de leur utilité, telles certaines crèches accueillant les enfants lors des dysfonctionnements parentaux, selon des horaires très souples et contractualisés, tout en proposant une aide psychologique aux parents. De même, des expériences "d’accueil de voisinage" pour des petits groupes d’enfants en difficulté prônent le « faire avec les parents », dans un souci d’éducation familiale et de valorisation narcissique de ce qu’ils sont capables d’exécuter. Les pratiques se posent bien là comme supplétives, et non comme substitutives.

Plus rares, et semble-t-il plus difficile à mettre en œuvre, des institutions tentent d’accueillir ensemble parents et enfants alors qu’une décision de séparation a été prise par la justice ou proposée par l’aide sociale à l’enfance. Ces expériences s’appuient sur cette notion d’une parentalité partagée entre parents et éducateurs, ici simultanément, ainsi que sur l’apprentissage de l’exercice de la parentalité.

L’idée de suppléance n’est donc pas un vain mot ou une utopie naissante, et c’est surtout le seul concept susceptible à la fois de clarifier les prises en charge et d’appliquer les principes élémentaires en matière de droit des parents et de droit des enfants. Cependant, pour qu’elle prenne sa véritable dimension, il faudra non seulement modifier les structures et les organisations, mais aussi les pratiques.
Les structures, notamment les institutions d’accueil, devront s’ouvrir davantage à la présence des parents, voire innover en proposant des formules intégrant également les pères. En effet, aujourd’hui, si l’accueil mère-enfant existe, le père reste le plus souvent à la porte des établissements.

Quant aux pratiques professionnelles, elles devront être repensées si l’on veut dépasser le simple discours incantatoire, en construisant les cadres de travail, mais également en élaborant les décisions concernant tous les événements du quotidien de l’enfant.

La suppléance demande une attention de chaque instant face au réflexe consistant à « faire sans les parents », en court-circuitant leur avis, au nom de l’urgence ou de l’intérêt supposé de l’enfant. Elle suppose, d’autre part, que chacun accepte de n’être pas "tout" pour l’enfant, mais seulement une pierre à l’édifice dans la construction de son identité. La suppléance s’oppose aux mécanismes d’appropriation, un paradoxe parfois difficilement tenable pour les assistantes maternelles quand il s’agit pour elle de suppléer des "carences affectives".

A partir d’une ré-évaluation des besoins fondamentaux de l’enfant, d’une ré-introduction des parents et du respect de leur autorité trop malmenée, la suppléance vient confirmer la nécessité de travailler sur les liens que tout dispositif de prise en charge en accueil familial doit prendre en compte.

L’accueil familial peut être une implacable mécanique d’attaque, de rejet et de destruction des liens parents-enfants, autant qu’un appareil efficace pour construire des liens idéalisés, imaginaires et enfermants. Ce constat oblige à exercer une grande vigilance dans la construction des projets, dans leur évaluation et dans leur accompagnement.

bibliographie

Corbillon M., Colton M.J., Hellinckx W. "Suppléance familiale en Europe", Matrice, 1993

Durning P. "L’éducation familiale", PUF, 1995

Le Camus J. « Les relations et les interactions du jeune enfant », ESF, 1985

Le Camus J. « Pères et bébés, L’Harmattan, 1995

Théry I. « Le démariage », Odile Jacob, 1996

P.-S.

Avertissement : ce qui précède n’est qu’un des nombreux chapitres du Guide de l’accueil familial, publié en 2000 aux Éditions Dunod, Les textes réglementaires ayant évolué, certaines références aux contrats, rémunérations, lois... ne peuvent servir que de traces ou de repères « historiques ».