NDLR : au 1er janvier 2006, soit 12 ans après sa publication, ce rapport est (malheureusement) toujours d’actualité...
Rapport sur l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique
Gérard SARAZIN
Henri-Jean LEBEAU
Membres de l’Inspection Générale des Affaires Sociales
Code mission SO/HO/EQ/P36
Introduction : Les couleurs de la déraison
L’accueil familial s’adresse à des mineurs ou des adultes momentanément ou définitivement séparées de leur famille naturelle. Il leur procure une famille de substitution qui apporte, en contrepartie d’une rémunération, les prestations alimentaires dont ils ont besoin. C’est une pratique sociale ancienne, bien connue et relativement développée.
Chacun connaît l’accueil du jeune enfant en crèche familiale par une assistante maternelle agréée. C’est dans notre pays un mode de garde très répandu. Ce n’est pas cette forme banale qui nous intéresse ici mais une autre, plus complexe, qui consiste à accueillir dans une famille un mineur ou un adulte qui, pour des raisons de santé, de handicap ou d’isolement ne peut plus vivre dans sa famille naturelle. Dans ce cas, la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! fait plus que se substituer à la famille naturelle. Il lui est demandé, de surcroît, de jouer un rôle psychologique, affectif ou éducatif voire thérapeutique.
Dès lors, bien des questions se posent : comment cela est-il possible ? Comment une famille "normale" peut-elle être thérapeutique ? Dans quelles conditions ? Quels en sont les risques voire les dangers ? Quelle place occupent ces familles dans les institutions sanitaires et sociales ?
La réponse à ces questions n’est pas évidente. Mais lorsqu’il s’agit de malades mentaux, elle l’est d’autant moins que, dans le dispositif de lutte contre les maladies mentales, l’accueil familial thérapeutique
AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
est un lieu de paradoxes. Son organisation est aujourd’hui, pour l’essentiel, confiée à l’institution hospitalière dont il constitue cependant une sorte de négation in petto. Instrument privilégié d’ouverture sur l’extra-hospitalier, il est quasiment ignoré par les textes organisant la sectorisation qui ne lui font aucune place. Les praticiens eux-mêmes expriment à son égard des positions opposées : certains qui le pratiquent en proclament les avantages, mais d’autres le combattent ou le rejettent avec la même apparente sincérité, d’autres enfin l’ignorent. Résistance au changement, embarras pudique, adhésion enthousiaste ou rejet prudent : un champ ouvert à tous les vents de l’ambiguïté !
Dans une remarquable thèse consacrée aux "colonies familiales", Madame Denise JODELET écrit : " La transformation des politiques psychiatriques ouvre les portes de l’asile, situation sociale qui bouleverse des habitudes mentales forgées de longue date. Le fou, jusqu’alors relégué aux franges de la collectivité, réinvestit son coeur. Mais qu’advient-il des préventions qui trouvaient leur compte à son enfermement ? Ne se produit-il pas des phénomènes qui déplacent la rigueur du rapport social à la folie du niveau institutionnel à un autre : celui du contact direct et des représentations qu’il mobilise. Le décret du politique va -t-il avoir aussi facilement raison des barrières symboliques qu’il en a des barrières matérielles ? Il se pourrait que, comme cela se voit dans bien des cas, les mesures de la libéralité et du droit, bénéfiques dans leur principe, ne soient pas appliquées impunément, car la sensibilité sociale n’obéit pas à la même logique et risque de donner au rapport vécu à l’altérité les couleurs de la déraison." ("Folies et représentations sociales", Denise JODELET, P.U.F., 1989)
Faut-il alors s’étonner des résistances auxquelles se sont heurtés et se heurtent encore les partisans de l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux ? N’est-ce pas inévitable dès lors qu’il s’agit d’affronter des situations où se rencontrent normalité et différence au sein d’une famille d’accueil qui nous semble soudain bien fragile. Faut-il s’étonner de la place marginale qui est réservée à cette pratique dans l’institution psychiatrique dont elle constitue comme "la face cachée du miroir" ?
L’accueil familial thérapeutique peut se replacer dans la mouvance de la psychothérapie institutionnelle née dans les années cinquante en réaction contre le modèle hospitalier de l’époque. Dans un petit ouvrage faisant le point sur les politiques de santé mentale, François CLOUTIER ("La santé mentale", François CLOUTIER, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 1966) rappelle qu’il proposait "des méthodes qui favorisent la désaliénation et la resocialisation du malade.
Le milieu hospitalier constitue une société particulière qui reconnaît ses lois propres. L’ambiance, les diverses activités : distraction ou travail, les contacts avec l’extérieur, les interactions des malades avec le personnel traitant peuvent être utilisées à des fins psychothérapiques, qui ajoutent aux effets des traitements habituels. La tendance est de favoriser la création de structures auxquelles les malades participent et par-delà même ont une valeur réadaptative : commission, organisme de gestion, club, par exemple". L’hospitalisation par elle-même devient donc traitement : elle a vocation à guérir, à réadapter et même à réinsérer ; l’hospitalisation ou son substitut : l’hôpital de jour, de nuit, le dispensaire, le centre de santé mentale, le service d’urgence...et tout autre formule "dont l’ambiance thérapeutique favorise la resocialisation". Dans cette perspective, précisait -il, "l’un des problèmes les plus difficiles qui se posent à l’hygiéniste est celui des malades chroniques ajoutant qu’en tout état de cause le mot chronique ne doit pas évoquer un pronostic forcément défavorable. "Le fait qu’un sujet ait résisté à une thérapeutique intensive ne doit pas amener l’interruption des placements".
"Diverses formules ont été expérimentées en ce sens. Certaines ne sont pas vraiment nouvelles, comme, par exemple le placement familial. Le malade est accueilli dans un foyer, le plus souvent rural, et une surveillance médico-sociale est assurée par un centre hospitalier. En France, les colonies de Dun-sur-Auron (femmes) et d’Ainay-le-Chateau (hommes) existent depuis 1891".
A cette époque de précurseurs, le placement familial était censé répondre aux besoins de certaines catégories de malades chroniques, des schizophrènes par exemple ou de tous malades mentaux stabilisés nécessitant une surveillance médico-sociale. C’était un des services psychiatriques spécialisés susceptibles de répondre "à la nature des processus psycho-pathologiques et des différents groupes d’âge". Cette présentation, conforme au contexte de l’époque qui ne connaissait que l’exemple des "colonies familiales", limite l’accueil familial à la prise en charge de la chronicité hors de l’hôpital, ce qui est pour le moins réducteur du point de vue thérapeutique. Le placement familial était considéré comme le trop-plein de l’hôpital, une voie de garage pour des chroniques fossilisés, une solution de dégagement pour réduire les concentrations asilaires, un déplacement et un rejet de l’échec d’une certaine façon.
Les tenants de la psychothérapie institutionnelle ne pouvaient pas accepter cette vue réductrice et leur position se fondait sur le résultat de leur pratique. Dans un ouvrage collectif publié sous la direction du docteur Pierre SANS ("Les placements familiaux thérapeutiques", Éditions Fleurus, 1987), le docteur Alain VALLEE rappelle le chemin parcouru :
"Au cours de la dernière décennie prononcer le mot de placements familiaux avait une odeur de souffre. Les praticiens voulaient bien entendre parler de désinstitutionnalisation, de dépsychiatrisation, de mort des asiles, de communautés thérapeutiques, de lieux de vie ; ils voulaient bien maudire ce qu’ils avaient connu, encenser ce qu’ils pensaient avoir été, porter aux nues toute structure nouvelle qui aurait eu les avantages de l’hôpital sans en avoir les inconvénients, rêver enfin d’un lieu possible pour une vraie psychothérapie institutionnelle sans très bien savoir si la fin dernière d’un tel lieu était d’y vivre ou d’y renaître quand sonna soudain le tocsin de la crise". La maîtrise des dépenses hospitalières devenant impérative, la création de structures légères constituant des alternatives à l’hospitalisation et parmi elles le placement familial pouvait permettre de concrétiser le rêve des praticiens et de libérer dans le même temps des postes et des lits. "Voici comment les roses sirènes de la rigueur nous ont fait voir d’un autre oeil certaines innovations peu répandues dans la psychiatrie de secteur, en particulier le placement familial." commente le même auteur.
Il s’agissait d’une prise de position courageuse alors que le seul "modèle" existant était celui des "colonies familiales" qui présentaient, comme l’écrit Alain VALLEE, "le gros défaut de n’être pas très esthétiques et de réveiller certaines culpabilités par leur trop grande ressemblance avec l’image de nos échecs : celle du malade chronique quotidiennement rencontrée".
D’autres formes d’accueil familial à visée plus ou moins thérapeutique existaient alors. Un système de placement familial surveillé avait été créé par arrêté du 14 août 1963 dans le cadre du règlement intérieur type des hôpitaux psychiatriques. Le bilan de ce système n’a jamais été fait à notre connaissance et il est impossible de dire quelle portée il a eu. Mais ce texte était intéressant par son côté pragmatique et ouvert. D’autres formules existaient pour les mineurs déficients intellectuels ou inadaptés,dans le cadre du décret n° 56-841 du 18 août 1956 portant règlement d’administration publique relatif aux maisons d’enfants à caractère sanitaire et son Annexe XXIV.
En Loire-Atlantique, la création à titre expérimental, en octobre 1980, d’une association privée de placement familial (Contadour) constituait une nouvelle expérience intéressante. Ses objectifs n’étaient pas d’abord uniquement thérapeutiques mais visaient "à faire tolérer un patient, pour lequel nous n’avions plus d’ambitions depuis fort longtemps, par un milieu nouveau". Les résultats furent souvent positifs et le docteur Vallée de commenter ironiquement : "II faut avouer que ce genre de constatation porte un rude coup aux efforts faits depuis tant d’années pour améliorer la qualité de notre hospitalisation."
Depuis cette époque des pionniers, les techniques de placement familial se sont développées sous deux formes :
- le placement familial à caractère social dont les objectifs sont éducatifs et sociaux. Il vise les mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance ou présentant des handicaps ou des inadaptations. Les personnes âgées ou handicapées et les toxicomanes relèvent également de ce type de placement avec cependant des objectifs d’insertion sociale et de réadaptation plus marqués ;
- le placement familial thérapeutique qui se définit principalement, par rapport à un projet de soins élaboré par une équipe médicale et s’adressant à des malades mentaux mineurs ou adultes. Les objectifs thérapeutiques du placement peuvent être plus ou moins ambitieux et aller du simple recouvrement d’une relative autonomie personnelle jusqu’à la réinsertion sociale et professionnelle. La "famille d’accueil" peut, dans certains cas et dans une certaine mesure, être considérée comme un véritable collaborateur de l’équipe soignante.
Dans la réalité quotidienne, le caractère formel d’une telle distinction est évident car ces diverses formes de placement peuvent concerner, en pratique, les mêmes personnes considérées à des moments différents de leur histoire personnelle et de leur évolution et, selon les époques, susceptibles de relever alternativement ou simultanément d’une prise en charge sociale et/ou médicale, il est parfois bien difficile de faire la distinction entre un malade mental et un handicapé mental, par exemple, ou chez un jeune sourd entre ce qui relève de son handicap sensoriel ou de troubles psychologiques associés ? Ou, chez un handicapé, entre des troubles de la personnalité et les conséquences invalidantes du handicap ? Comment faire la part, chez un enfant de l’ASE, des difficultés d’adaptation liées à son histoire personnelle et des déséquilibres psychologiques plus profonds qui en constituent la cause ou la conséquence ? La frontière entre des catégories abstraites selon des critères exclusivement sociaux ou thérapeutiques n’est pas toujours aisée à établir mais elle conditionne souvent le type de placement et le mode de prise en charge.
Les objectifs du placement ne sont pas non plus les mêmes selon qu’il s’agit de remplacer la famille naturelle pour compenser des carences affectives ou éducatives ou de rompre avec l’univers asilaire et la chronicité ou d’opérer une transition avant l’éventuelle réinsertion sociale d’un malade mental ou d’un toxicomane ou encore de briser la solitude du grand âge ou du handicap. En revanche, les tâches quotidiennes liées à l’accueil sont souvent identiques et les difficultés concrètes que vivent les accueillants sont de même nature : menaces pour l’équilibre familial, difficultés des relations avec la famille naturelle, anxiétés face à la maladie, aux dysfonctionnements sociaux, au handicap ou à la vieillesse, dépendance économique à l’égard des services organisateurs.
Il n’est donc pas simple de distinguer la place du social et celle du thérapeutique dans la réalité concrète d’un placement familial. Mineurs isolés ou inadaptés, adultes handicapés adultes handicapés Pour avoir la qualité de personne handicapée au sens de la loi, celle-ci doit avoir soit un taux d’Incapacité permanente partielle (I.P.P.) égal ou supérieur à 80%, soit un taux d’I.P.P. compris entre 50 et 80 % ET une reconnaissance d’inaptitude au travail. , personnes âgées dépendantes, toxicomanes, malades mentaux chroniques : autant de situations individuelles différentes et proches (et l’on pourrait en imaginer d’autres) susceptibles de bénéficier d’un accueil familial social accompagné, à un moment ou à un autre ou de façon permanente, de soins et d’un suivi notamment psychiatriques. Mais autant de situations aussi nécessitant, à l’occasion d’épisodes aigus, un accueil familial s’insérant totalement dans le projet thérapeutique d’une équipe médicale. Dès lors, la frontière entre les deux types de placement se révèle, en pratique, étonnamment fragile.
La technique réglementaire ne souffre pas de cette fragilité. Elle fait appel à un cadre général qui vise en outre à donner à l’autorité organisatrice les garanties nécessaires sur la qualité de l’accueil. Ce cadre général comporte des dispositions concernant :
- la finalité de l’accueil ;
- l’agrément des accueillants ;
- la décision de placement ;
- le statut professionnel de l’accueillant ;
- le contrat ou la convention d’accueil ;
- le contrôle technique de l’accueil ;
- les modalités de financement et de prise en charge.
Selon les types de placement considérés, les textes ont retenu des solutions diverses, plus ou moins démarquées les unes des autres et dont certaines constituent une sorte de référence. Ainsi, pour ce qui concerne l’accueil familial des mineurs, toutes les réglementations renvoient au statut social et professionnel des assistantes maternelles institué par la loi de 1977 modifiée en 1992 lesquelles se trouvent donc placées sous un régime unique pour leur agrément, la nature du contrat de travail, les rémunérations, la responsabilité, le suivi des placements et la formation professionnelle.
Pour les adultes, au contraire, les différences sont sensibles. Les différents systèmes d’accueil familial, apparus à des époques diverses et dans le cadre de politiques catégorielles distinctes visant les personnes âgées, les handicapées, les malades mentaux, les toxicomanes...ont dû en outre s’adapter aux évolutions intervenues depuis 1983 dans la répartition des compétences sanitaires et sociales entre l’Etat et les départements. Ces évolutions ont créé des cloisonnements entre les politiques et entraîné des blocages financiers pour certaines formes d’interventions car le malade mental et le handicapé adulte relèvent de l’action sociale de l’Etat tandis que la personne âgée dépend de celle des départements. Le passage d’un domaine de compétence à l’autre n’est pas toujours aisé car il risque d’entraîner des transferts de charges. Le développement de l’accueil familial, positionné par son principe même aux frontières du social et du sanitaire, n’en a pas été facilité. Le décret du politique, pour paraphraser l’expression de Madame Denise JODELET qui se réfère à des réalités plus profondes, n’a pas eu raison des barrières matérielles.
En dépit de ces difficultés, la place de l’accueil familial au sein de l’arsenal thérapeutique s’est affirmée progressivement. Évoquant cette évolution, le docteur SANS écrit dans un article (à paraître) faisant le point sur la psychothérapie institutionnelle :
"Le placement (ou l’accueil) familial thérapeutique (ou spécialisé, parfois) a sa place au sein des pratiques de soin. A ce titre, tous les préceptes du mouvement de psychothérapie institutionnelle s’y appliquent. Pour faire comme tout le monde et vider les hôpitaux psychiatriques de leurs malades, refusons ce clivage indigne entre chroniques et non chroniques ("vrais malades") et la déportation des patients, notamment des psychotiques, en "colonie" dite familiale, en placement dit social, en hébergement dit thérapeutique ou foyer dit occupationnel aimablement proposés par nos gestionnaires distingués. Ne reconstituons pas les asiles, entendus dans leur sens péjoratif, au sein de la population".
Mais les hésitations demeurent : pour certains, l’accueil familial est un outil permettant de diversifier et de prolonger l’action thérapeutique de l’équipe hospitalière, pour les autres, il doit figurer parmi les alternatives à l’hospitalisation et peut constituer un bon instrument de réadaptation et de réinsertion sociale à condition de mieux s’insérer dans le dispositif médico-social départemental. Pour d’autres enfin, il reste l’un des derniers refuges humainement convenable et financièrement supportable pour accompagner la chronicité.
Les textes qui organisent le dispositif de lutte contre les maladies mentales n’ont jamais levé ces incertitudes. On peut même dire qu’ils ignorent le placement familial et le traitent par prétention ; il ne sera véritablement abordé que dans la loi de 1989 et un arrêté de 1990 qui ne concerneront que les placements organisés par les hôpitaux. Ce champ d’application limité bloquera l’ouverture vers le médico-social et le développement des initiative publiques ou privées désireuses de créer des structures d’accueil familial aux frontières du social et du thérapeutique. Aujourd’hui encore, l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux n’a pas complètement trouvé sa place dans le dispositif de lutte contre les maladies mentales.
Souhaitant faire le point de la situation, la direction des hôpitaux a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales de dresser un bilan de l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux et de faire des propositions d’adaptation de la réglementation. Une mission a été constituée à cet effet. Elle a procédé à une série d’enquêtes dans le but d’évaluer sa place actuelle, d’analyser le cadre institutionnel et juridique, de faire le point des problèmes particuliers qui se posent notamment aux "colonies familiales", système à la fois très ancien et très critiqué dont l’avenir et l’évolution sont actuellement en discussion.
La mission a consulté les représentants des directions du ministère de la santé : direction de l’action sociale, direction de la sécurité sociale, direction générale de la santé ainsi que divers spécialistes ayant créé des services d’accueil familial thérapeutique, visité plusieurs établissements et services et notamment les colonies familiales de Dun-sur-Auron et Ainay-le-Chateau.
A l’issue de cette première phase d’investigations, elle a complété ses informations à l’aide d’un questionnaire diffusé à l’ensemble des directions départementales des affaires sanitaires et sociales et permettant de dénombrer le nombre de places d’accueil familial thérapeutique existantes au 31 décembre 1992, le nombre et les caractéristiques des familles d’accueil et celui des malades placés à la même date, les caractéristiques démographiques de la population placée : âge, sexe, origine socio-professionnelle, les ressources des malades placés, la localisation des logements...
Un protocole de recherche plus détaillé a été remis à une vingtaine d’établissements hospitaliers disposant de services d’accueil familial thérapeutique dans le but d’approfondir les aspects touchant aux services, aux malades, aux familles d’accueil, à l’activité, aux relations entre les établissements et les familles d’accueil, au coût de l’accueil. Enfin, la mission a examiné la situation des ex-colonies familiales. On connaît leur importance et leur antériorité dans les pratiques de placement familial thérapeutique, (elles fonctionnent depuis près d’un siècle et représentent aujourd’hui près de la moitié des effectifs de malades concernés). Elles sont en pleine évolution, ce qui ne manque pas de soulever des problèmes économiques et sociaux difficiles pour les régions concernées.
Constatant que les catégories de personnes susceptibles d’être orientées vers un accueil familial sont souvent très proches du point de vue de leur état de santé ou de leur autonomie personnelle sans pour autant relever nécessairement d’un accueil familial thérapeutique stricto sensu, il nous a semblé utile de rappeler les dispositions relatives à l’accueil familial social dont les procédures et les modalités de mise en œuvre constituent souvent des références pour d’autres formes d’accueil familial. Ensuite, nous examinerons l’accueil familial thérapeutique proprement dit soit dans le cadre hospitalier, soit dans le cadre très restreint d’une association pionnière en ce domaine. Nous ferons ensuite un point rapide de la situation des "ex-colonies familiales" à un moment critique de leur histoire. Enfin, nous présenterons des propositions visant à conforter l’accueil familial social, à préciser l’organisation de l’accueil familial thérapeutique, à créer un accueil familial médicalisé et à valoriser la fonction d’accueil.
Chapitre 4 - L’accueil familial thérapeutique dans le cadre associatif :
Tout se passe comme si la mise en place et le développement de l’accueil familial thérapeutique à l’hôpital s’était effectué sous la pesante présence historique des "colonies familiales". Et c’est à la fois en réaction contre leur exemple mais aussi contre une certaine image de la psychiatrie hospitalière qu’une initiative a vu le jour en 1980 dans un cadre privé : l’Association CONTADOUR, créée à l’initiative du docteur Pierre SANS ("De l’expérimentation à l’outil de travail : le placement familial psychothérapique de Loire-Atlantique", Bilan d’activité de l’association CONTADOUR de 1980 à 1990.). Fort de son expérience et, il faut le dire, armé d’une grande volonté de convaincre, ce praticien est aujourd’hui l’un de ceux qui a le plus contribué à faire connaître l’accueil familial thérapeutique et à développer la recherche.
Il est difficile de dénombrer les placements familiaux du secteur privé recevant des malades mentaux. Dans une enquête nationale effectuée en 1989, Jean-Claude CEBULA fait état de 229 établissements ou services susceptibles d’entrer dans cette catégorie. Mais, comme il le précise lui-même, il s’agit de placements présentant "une extraordinaire diversité quant à leurs objectifs et aux caractéristiques psycho-sociales des usagers qu’ils prennent en charge. Certains de ces services se sont présentés comme des services d’accueil familial thérapeutique parce que, dans leur pratique, ils utilisent des personnels se définissant comme famille d’accueil, seul véritable point commun des institutions de placement familial". En fait, les réponses recueillies ne retiennent que rarement le seul critère thérapeutique. La plupart font état d’objectifs multiples : thérapeutiques, éducatifs, réinsertion sociale, hébergement à long terme ou temporaire, séjour de rupture, hébergement de vacances ou à long terme (?) outre-mer, placement volontaire médicalisé.
Une telle diversité s’explique par le fait que les établissements ou services recensés sont pour la plupart destinés à accueillir des mineurs (64% des réponses) qui relèvent soit de l’ASE soit de l’Annexe XXTV au décret de 1956, ce qui fait dire à Jean-Claude CEBULA que "l’usager du placement familial du secteur privé est un mineur cas social et / ou souffrant de carences parentales et / ou pouvant présenter des troubles du caractère ou des troubles affectifs". Nous retrouvons la difficulté de classer les usagers de l’accueil familial surtout lorsqu’il s’agit de mineurs et la fragilité des frontières entre le social et le médical. D’ailleurs la même enquête révèle que plus de 2% des personnes placées ont le statut de malades hospitalisés et qu’un grand nombre d’entre eux cumulent des carences parentales avec des troubles du caractère ou des troubles affectifs, des déficiences mentales, des maladies psychotiques ou névrotiques. Sur le plan juridique, ces établissements ou services relèvent d’agréments très divers : aide sociale, assurance maladie ou les deux ensemble. On ne peut donc les inscrire au compte de l’accueil thérapeutique.
41 - L’expérience : CONTADOUR.
L’association CONTADOUR constitue un véritable service d’accueil familial thérapeutique des malades mentaux. Créé et dirigé par le docteur Pierre SANS, il fonctionne dans le cadre d’une convention passée, à titre expérimental, avec la Caisse régionale d’assurance maladie des Pays de Loire. Cette convention a été étendue aux ressortissants de la Mutualité sociale agricole, à ceux de la caisse maladie des travailleurs indépendants, des professions libérales et des travailleurs non salariés de la batellerie. Elle fixe le cadre de l’activité, les conditions de prise en charge des malades qui lui sont confiés et les modalités du contrôle de la caisse.
La finalité des placements est résolument thérapeutique et repose sur des projets individuels adaptés à chaque malade. L’article 4 de la convention précise que "le projet thérapeutique et pédagogique doit comporter au moins les éléments suivants : les objectifs médicaux précisant la population susceptible d’être prise en charge, la nature des pathologies, l’origine géographique des malades et les établissements de recrutement, les formes d’intervention médicale, paramédicale et pédagogique, les voies de sortie des malades vers une vie normale ou normalisée, les conditions de la coordination avec les autres acteurs et structures sanitaires et médico-sociales de la sectorisation psychiatrique du département".
Les familles sont agréées par l’association qui s’assure qu’elles sont aptes à accueillir un ou deux malades psychiatrique ou psychotique. Les accueillants bénéficient d’un contrat de travail assorti des avantages sociaux correspondants. Le contrôle technique des placements est assuré par l’équipe de soins. Le financement de la caisse régionale couvre :
- les frais de personnel de l’effectif autorisé,
- la rémunération des familles d’accueil,
- les dépenses de fonctionnement administratif et les charges d’amortissement,
- les déplacements du personnel médical et soignant auprès des malades placés et de ces derniers aux consultations organisées au siège de l’association.
Les malades acquittent le forfait journalier hospitalier et participent ainsi à leur entretien hôtelier. Le contrôle de l’exécution budgétaire est assuré par les services de la caisse régionale.
"Dix ans ont passé, écrivait le docteur SANS en 1990 en faisant le bilan de son expérience. En dix ans, le placement familial thérapeutique est passé du stade expérimental au stade où il constitue un outil de travail en voie de se généraliser. Peu nombreux sont les hôpitaux psychiatriques ou les structures lourdes pour enfants qui n’ont pas ce projet de mise en place d’une telle structure. L’accueil familial social des personnes âgées, des handicapés physiques, des traumatisés crâniens, des sidéens sont des formules en cours de déploiement. Parallèlement à cette extension, la politique défendue par CONTADOUR, de professionnalisation des familles d’accueil (Famille d’accueil, un métier", Pierre SANS, Éditions Centurion, 1991) et de reconnaissance de leur statut de salarié vient de l’emporter. Après deux années de flottement dues à l’incohérence et au flou de la loi du 10 juillet 1989, des textes récents viennent de conforter l’orientation préconisée par CONTADOUR. Le placement et l’accueil familial thérapeutique existent bel et bien".
Depuis sa création, l’association a enregistré 414 demandes d’entrées sérieuses. Au 31 décembre 1990, 232 patients avaient été admis ce qui implique un nombre d’entrées largement supérieur. Le nombre annuel moyen de demandes d’entrée varie d’une soixantaine à quarante au 31 décembre 1990, année pendant laquelle le service a enregistré 16 entrées pour 16 sorties. Un certain nombre d’établissements hospitaliers de Loire-Atlantique sont habitués à confier des malades à l’Association CONTADOUR même lorsqu’ils disposent de leur propre service de placement familial. En 1993, CONTADOUR gérait le placement familial thérapeutique de 75 patients dans des conditions satisfaisantes pour le service médical régional qui signale cependant l’existence, auprès de placements dits à temps plein, de placements dits à temps partiel concernant des pensionnaires séjournant dans un autre établissement et ne rejoignant leur famille d’accueil qu’en fin de journée ou pendant les jours de fermeture de ces établissements (IME, CMPP, CAT, lieu de vie).
42 - Un vide juridique :
Cette association qui a acquis aujourd’hui une réputation certaine fonctionne en fait depuis sa création dans un vide juridique. Le 28 mai 1993, la DRASS des Pays de Loire répondait à une déclaration d’activités alternatives à l’hospitalisation présentée par CONTADOUR pour son service de placements familiaux thérapeutiques : "J’ai l’honneur de vous faire savoir que la procédure fixée par l’arrêté ministériel du 12 novembre 1992, visant à la reconnaissance des structures alternatives à l’hospitalisation mentionnées à l’article L. 712-2 du code de la santé publique, ne s’applique pas à votre établissement". En effet, les structures définies par le décret n° 92-1101 du 2 octobre 1992 comprennent les structures d’hospitalisation à temps partiel de jour ou de nuit, les structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire et les structures d’hospitalisation à domicile : "Aucune des définitions données de ces différentes structures ne correspond à l’activité de votre service de placements familiaux thérapeutiques", non plus que l’arrêté du 1er octobre 1990 lequel, nous l’avons vu, ne concerne que les placements familiaux thérapeutiques mis en oeuvre par les établissements assurant le service public hospitalier.
L’Association CONTADOUR continue donc de fonctionner dans un cadre conventionnel expérimental s’appuyant sur le décret n° 86-602 du 14 mars 1986 portant organisation du dispositif de lutte contre les maladies mentales. La CRAM des Pays de Loire a posé, à plusieurs reprises, le problème juridique à l’administration centrale. Le montage conventionnel assorti d’une tarification spécifique pose en effet problème dans la mesure où le fonctionnement autonome de CONTADOUR rend difficile la cohérence départementale des interventions dans le domaine du placement familial thérapeutique des malades mentaux. Et ceci est particulièrement sensible en Loire Atlantique où précisément ce type de pratique est particulièrement développé.
Or il faut bien reconnaître que les textes de 1989 et 1990, trop manifestement hospitalo-centristes, ont laissé de côté le placement familial privé à caractère associatif l’empêchant d’être intégré pleinement dans le dispositif général de lutte contre, les maladies mentales.
La publication d’une annexe XXIII bis au décret de 1956 fixant les conditions techniques d’organisation et de fonctionnement des services d’accueil familial thérapeutique privé associatifs serait de nature à combler ce vide juridique en définissant les conditions d’autorisation des associations, le statut professionnel des accueillants, les procédures d’agrément des familles d’accueil, le statut des malades, les modalités de contrôle et de suivi des placements, les procédures de tutelle et de contrôle par les services de l’Etat ou du département selon les catégories de malades concernés, les conditions de financement de ces placements.
"L’on pourrait partir de la base suivante, écrit le docteur SANS dans un courrier adressé à la direction des hôpitaux, le 3 avril 1992. Tel malade : psychotique, traumatisé crânien, sidéen... peut bénéficier d’une formule d’accueil familial. Déterminons une période probatoire pendant laquelle toute la prise en charge devrait être assurée par l’assurance maladie puis, reconnaissant qu’une dimension sociale (au sens réglementaire et budgétaire) est impliquée dans la prise en charge, l’accueil familial se partagerait budgétairement à parts égales entre l’assurance maladie et le budget départemental. Tout, en tout lieu et pour tous les individus, ne peut être qualifié de thérapeutique. Une contribution départementale mais aussi, le cas échéant et, si cela est possible, une contribution personnelle doit être envisagée". Sans préjuger des solutions qui pourraient être retenues dans l’avenir, il est certain que les problèmes de prise en charge financière des placements familiaux devront tenir compte des blocs de compétence définis par les lois de décentralisation. Mais il est également vrai, à la lumière de l’expérience de CONTADOUR, qu’elles ne pourront pas longtemps fonctionner en-dehors de contributions des collectivités locales si l’on souhaite une harmonisation et une ouverture de l’accueil familial vers d’autres catégories sociales et d’autres pratiques.
Bilan, propositions, conclusion : vers un renforcement de l’accueil familial
1 - Le bilan : une évolution positive mais une place modeste.
Au terme de ce rapport, plusieurs constatations peuvent être faites. Les partisans de la psychothérapie institutionnelle ont fait avancer le combat engagé il y a plusieurs dizaines d’années : l’accueil familial est de plus en plus considéré comme un outil thérapeutique qui peut, à certaines conditions, répondre aux besoins des malades mentaux et contribuer à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale. Il n’est plus seulement le dernier refuge des incurables stabilisés.
Mais, malgré tous les efforts de ses défenseurs, beaucoup reste à faire. En effet, son image continue à souffrir de celle des ex-colonies familiales qui alimente un très ancien fonds de méfiance de la part de nombreux praticiens et gestionnaires. Il occupe encore dans le paysage psychiatrique une place marginale. Le nombre des malades mentaux placés dans des familles, sur l’ensemble du territoire national, s’élève à 3700 environ, soit un pourcentage très faible de la file active. Cet effectif se répartit pour 40% dans les ex-colonies familiales et 60% dans les autres établissements hospitaliers. Une majorité de centres hospitaliers spécialisés ou généraux ayant un service psychiatrique n’ont pas créé à ce jour de service d’accueil familial thérapeutique. Lorsqu’un tel service existe, il concerne des malades placés depuis très longtemps, parfois plusieurs dizaines d’années. Il s’agit fréquemment de malades chroniques dont l’état est peu susceptible d’être amélioré. Les familles d’accueil souvent de milieux ruraux modestes ne sont pas formées et acquièrent leur expérience avec le temps.
L’accueil familial thérapeutique continue donc à être l’une des voies de dégagement pour des malades mentaux stabilisés. Il constitue en outre une activité économique d’appoint pour une main d’œuvre la plupart du temps féminine et non qualifiée, dans des régions peu urbanisées et peu industrialisées. Il vient ainsi s’inscrire dans la liste des emplois sociaux de proximité consacrés à l’accueil, à l’accompagnement ou aux services à domicile.
Faute peut-être d’une réflexion suffisante sur ses indications médicales, l’accueil familial, n’a pas reçu la place qu’il mérite dans la sectorisation psychiatrique. Les textes réglementaires et les instructions ministérielles l’ont largement ignoré et ne lui ont pas vraiment fait une place dans le dispositif de lutte contre les maladies mentales. Le rapport Massé consacré à la place de la psychiatrie dans les hôpitaux généraux a mis l’accent, à juste titre, sur la nécessité de développer des passerelles du psychiatrique vers le médico-social. Mais la décentralisation, en définissant strictement des blocs de compétence, a rendu les départements, d’ailleurs confrontés à une explosion de leurs dépenses sociales, peu enclins à prendre en charge des malades mentaux relevant de l’assurance maladie et méfiants à l’égard des transferts de charge provenant de l’État.
Pour ce qui concerne les mineurs, l’accueil familial, qu’il soit thérapeutique ou social, est aujourd’hui largement unifié sous les dispositions relatives aux assistantes maternelles : modalités d’agrément uniques sous l’autorité du président du conseil général, statut professionnel complet, garanties sociales et modalités de formation, structure départementale de représentation et de concertation. Par contraste, les différentes formes d’accueil familial offertes aux adultes restent morcelées, inégalitaires, incomplètes : un effort d’harmonisation des modalités d’agrément, des contrats d’accueil, des conditions de rémunérations, des modalités de protection sociale est nécessaire. Les différences entre statuts d’accueillants de mineurs et d’adultes soulèvent d’ailleurs des difficultés. Lorsqu’une famille a accueilli un mineur pendant une longue période et souhaite continuer à l’accueillir au-delà de 18 ans, elle se trouve confrontée à une dégradation de sa situation matérielle difficile à admettre puisque le "travail" qu’elle effectue est identique. Mais surtout, ces différences ne facilitent pas le passage des personnes concernées d’une forme d’accueil à une autre lorsque leur état le permet ou le nécessite.
L’arrêté du 14 mars 1986, en plaçant l’accueil familial thérapeutique dans les équipements et services comportant hébergement, l’a enfermé dans le cadre hospitalier. La loi du 10 juillet 1989 a renforcé cette orientation en confiant au directeur de l’hôpital les attributions qui sont celles du président du conseil général pour les personnes âgées ou handicapées : agrément des unités d’accueil, organisation, contrôle médical et financement des placements sans prévoir de passerelles entre l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux (article 18) et social des personnes âgées ou handicapées (articles 1 à 5 de la loi). Une proposition d’Annexé XXIII bis au décret du 9 mars 1956 fixant les conditions techniques d’agrément des placements familiaux thérapeutiques a été défendue par l’association CONTADOUR mais elle n’a pas débouché à ce jour : elle permettrait de créer des passerelles entre l’hôpital et des structures médicales ou médico-sociales alternatives.
Enfin, les textes de 1989 et 1990 sont mal appliqués par les établissements hospitaliers malgré les précisions apportées par la direction des hôpitaux en 1991 dans une note d’orientation, il en résulte des inégalités de traitement entre unités d’accueil et entre malades d’un établissement à l’autre, inégalités aggravées par les différences de statut entre les familles. Cette situation crée les conditions d’une concurrence malsaine qui ne joue en faveur d’aucune des catégories sociales concernées : la motivation financière ayant aussi son importance, autant accueillir les catégories sociales les plus intéressantes de ce point de vue.
En face de ce bilan contrasté, nos propositions visent à remettre de l’ordre dans les pratiques actuelles, à conforter les dispositifs existants, à étendre le champ d’application de l’accueil familial et à revaloriser la fonction d’accueil.
2 - Propositions :
- 2.1. - Conforter l’accueil familial social :
Les problèmes que rencontre aujourd’hui l’accueil familial social concernent moins les mineurs pour lesquels les procédures sont unifiées autour du Code de la famille et de l’aide sociale, des textes relatifs à l’aide sociale à l’enfance et du statut des assistantes maternelles. En revanche, la loi du 10 juillet 1989 qui concerne les adultes n’a pas donné tous les résultats escomptés pour l’instant.
La lente montée en puissance de ce texte résulte notamment du fait que les dispositions d’application de la loi n’ont pas toutes été publiées, que la formation des familles d’accueil n’est pas assurée, que les départements redoutent des transferts de charges financières. Sur tous ces points, il appartient aux pouvoirs publics, comme l’a demandé la Cour des comptes dans un rapport récent, de lever les préalables nécessaires, notamment juridiques, au fonctionnement effectif de l’accueil familial social.
Il importe notamment de publier rapidement le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article 5 de la loi pour ouvrir l’accueil familial social aux personnes handicapées adultes visées à l’article 46 de la loi du 30 juin 1975, c’est-à-dire "n’ayant pu acquérir un minimum d’autonomie et dont l’état nécessite une surveillance médicale et des soins constants ".
Ce décret doit en effet permettre l’organisation de l’accueil par un établissement médico -social ou un service ou une association agréés à cet effet conjointement par le président du conseil général et le représentant de l’Etat dans le département.
NDLR : au 1er janvier 2006, soit 12 ans après la publication de ce rapport, force est de constater que la Loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002, article 51 et ses décrets d’application n’apportent toujours aucune réponse précise à ces attentes...
- 2.2. - Préciser l’organisation de l’accueil familial thérapeutique :
Il appartient au ministre de la santé chargé des hôpitaux, dans un premier temps, de veiller à la stricte application des textes relatifs à l’accueil familial thérapeutique. Une instruction destinée aux préfets doit rappeler les établissements au respect des textes de 1989 et de 1990 afin de mettre un terme aux désordres constatés.
Il est également proposé de modifier l’arrêté du 14 mars 1986 en complétant son article 1er énumérant les équipements et services de lutte contre les maladies mentales ne comportant pas hébergement. Un alinéa supplémentaire pourrait viser "les services de placement familial qui accueillent des personnes souffrant de troubles psychiques et leur procurent des prestations d’entretien nécessitées par leur état associées à un suivi médical".
Toutefois, il est proposé de conserver en l’état le dernier alinéa de l’article 2 du même arrêté concernant des malades mentaux de tous âges, placés dans des familles d’accueil, pour lesquels le maintien ou le retour à leur domicile ou dans leur famille naturelle ne paraît ni souhaitable ni possible. Il est en effet indispensable que les hôpitaux continuent à proposer des structures d’accueil familial thérapeutique à des malades qu’il s’agisse d’ailleurs de malades mentaux ou, le cas échéant, d’autres catégories de malades dépendants. Outre que cette pratique se révèle souvent adaptée au cas de certains malades, elle constitue, pour l’hôpital, un espace privilégié de recherche et d’expérimentation.
Pour que le dispositif soit complet, il est indispensable de sortir du vide juridique dans lequel se trouvent des associations privées comme CONTADOUR. La publication d’une Annexe XXIII bis au décret de 1956 précisant les conditions techniques dans lesquelles des associations privées pourraient organiser des services d’accueil familial thérapeutique peut constituer l’un des moyens d’y parvenir.
Pour ces associations, l’autorisation de pratiquer l’accueil familial thérapeutique devrait résulter d’une décision préfectorale prise dans le cadre du Schéma Départemental d’Organisation Sanitaire. Elle suppose par ailleurs la mise au point d’une procédure spécifique de prise en charge. Dans la mesure où les malades concernés ne seraient plus considérés comme hospitalisés, ils pourraient percevoir les prestations attachées à leur état sans subir d’abattement notamment l’allocation aux handicapés adultes. Ils pourraient également bénéficier de l’allocation de logement. En contrepartie, ils acquitteraient les dépenses non médicales résultant du placement : loyer, nourriture entretien, loisirs dans des conditions fixées par arrêté ministériel. Les dépenses médicales seraient couvertes par un forfait de type section de cure à la charge du régime d’affiliation.
Les associations concernées seraient soumises à la tutelle administrative et financière des D.D.A.S.S. et au contrôle médical de l’assurance maladie.
Enfin, il convient de préciser la position des ex - colonies familiales par rapport à la loi du 10 juillet 1989 et à la réglementation relative à l’accueil familial thérapeutique. La publication d’une note d’orientation particulière aux deux établissements concernés : Dun - sur - Auron et Ainay - le - Château, devrait venir préciser les conditions de mise en conformité avec la loi. Mais il importe aussi de régler leur situation juridique et de mettre un terme au statut interdépartemental pour intégrer les deux établissements dans un statut départemental de droit commun. Cela rendrait au conseil d’administration la cohérence dont il a besoin, simplifierait les problèmes de représentation au sein du conseil et clarifierait les compétences. Un projet de décret en ce sens devrait être rapidement soumis à l’examen du Conseil d’Etat.
- 2.3. - Créer l’accueil familial médicalisé :
Les personnes visées par la loi du 10 juillet 1989 : personnes âgées ou handicapées, malades mentaux sont souvent, comme nous l’avons dit, très proches à la fois par leur difficulté d’intégration sociale et par leurs besoins médicaux. Mais le cadre légal qu’on leur propose se révèle trop cloisonné. Ceci est vrai des malades mentaux stabilisés qui seraient mieux pris en charge dans des structures à dominante sociale qu’à l’hôpital comme des personnes âgées ou handicapées qui peuvent avoir besoin d’un suivi médical adapté. Où finit le besoin de soins permanents à temps complet dans un cadre hospitalier et où commence la possibilité de vivre une existence sociale plus autonome avec l’aide d’une assistance médicale adaptée ? Les dispositifs d’accueil familial devraient être, dans la réalité concrète, interdépendants, il est nécessaire de dépasser le clivage entre accueil social et accueil thérapeutique, d’ouvrir des voies alternatives, d’instaurer des liens entre structures sanitaires et équipements médico-sociaux. Entre les deux formes classiques d’accueil familial, l’utilité d’une troisième forme apparaît qui pourrait être un accueil familial médicalisé tenant compte des besoins d’insertion sociale tout en assurant un suivi médical adapté.
L’accueil familial médicalisé s’adresserait aux personnes dont la perte d’autonomie et l’état de santé ne nécessitent pas une hospitalisation dans un service public ou privé de psychiatrie. Il pourra donc s’agir, selon les cas, de personnes âgées souffrant de troubles psychiatriques, de personnes reconnues handicapées par la COTOREP en raison notamment de maladies mentales ou de malades mentaux dont le suivi médical ne justifie pas une hospitalisation ou de tout autre personne dont l’autonomie se trouve réduite et pour laquelle un accueil familial offrirait une solution adaptée.
Le placement familial médicalisé devrait être créé par un nouvel article dans la loi du 10 juillet 1989. La rédaction pourrait en être la suivante :
"Les personnes visées aux articles 1er, 3 et 18 peuvent bénéficier de l’agrément conjoint du préfet du département et du président du conseil général en vue d’assurer un accueil familial médicalisé pour des personnes notamment âgées, handicapées ou malades mentales dont l’état de santé ne nécessite pas une hospitalisation. Des conventions entre le président du conseil général, le représentant de l’Etat dans le département et des services publics ou privés d’accueil familial agréés organisent le suivi médical des personnes accueillies. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent article ainsi que les modalités de retrait de l’agrément conjoint".
Cette disposition prévoirait donc, sans préjudice de leur embauche ultérieure par les services d’accueil familial, un agrément conjoint des accueillants, permettant d’apprécier leurs aptitudes à exercer la fonction.
L’instruction des demandes d’orientation vers un accueil familial médicalisé pourrait être confiée à la COTOREP.
Le suivi médical des personnes serait assuré par les services du secteur ou par des associations conventionnées à cette fin par les services départementaux et les services médicaux de l’Etat et pris en charge par l’assurance maladie sur la base d’un forfait de type soins courants. Les établissements hospitaliers seraient invités, à chaque fois que cela est possible, à faciliter l’accès de leurs malades à des placements familiaux médicalisés.
Les unités d’accueil familial médicalisé pourraient être constituées comme actuellement soit par des familles naturelles, soit par des familles dites thérapeutiques, soit par des communautés thérapeutiques. Une unité d’accueil familial médicalisé agréée pourrait être recrutée soit par les services départementaux, soit par un service de secteur psychiatrique, soit par une association agréée et conventionnée dans les conditions indiquées ci-dessus, soit par un établissement hospitalier selon le type d’accueil familial pratiqué.
Des dispositions réglementaires devraient venir préciser les modalités de l’accueil : nombre de personnes accueillies, caractère de l’accueil, conditions générales d’hébergement, adaptation des modalités d’accueil aux besoins de santé de la personne accueillie, contrat d’accueil, contrat de service. Les personnes accueillies dans des placements familiaux médicalisés pourraient percevoir les prestations sociales auxquelles elles ont normalement droit : allocation aux handicapés adultes, allocation compensatrice, pension d’invalidité, allocation de RMI, allocation de logement sans subir d’abattement et devraient assumer les dépenses non médicales liées à l’accueil familial dans les conditions fixées par le président du Conseil général avec le concours, à titre subsidiaire, de l’aide sociale dans les conditions ordinaires (recours contre les débiteurs d’aliment et récupération sur succession).
Il est proposé, pour faciliter la préparation de cette réforme de constituer un groupe de travail associant les trois directions ministérielles concernées : action sociale, sécurité sociale et hôpitaux.
- 2.4. - Valoriser la fonction d’accueil :
- 2.4.1. - Professionnaliser l’accueil :
L’harmonisation et l’ouverture des systèmes d’accueil familial imposent une professionnalisation de l’accueil qui passe par la mise en place d’un véritable statut d’assistant en accueil familial permettant de renforcer les passerelles entre accueil thérapeutique, médicalisé ou social. L’idéal consisterait à mettre en place un système d’agrément à double détente. Une première habilitation pourrait porter sur les aptitudes générales à l’accueil. Une seconde viserait les aptitudes particulières indispensables pour pratiquer telle ou telle forme d’accueil. Il n’est pas question de présenter ici un texte définissant ce nouveau statut. Des propositions existent qui mériteraient un examen attentif et une étude de leurs conséquences financières. Dans l’immédiat, quelques orientations majeures nous semblent devoir être retenues.
L’accueil familial s’adressant à des personnes dont la capacité contractuelle peut être réduite en raison de leur état de santé, il conviendrait de généraliser la notion de contrat de travail (qui existe déjà pour les accueillants de mineurs et les accueillants thérapeutiques recrutés par les hôpitaux) entre l’assistant en accueil familial et le service ou l’établissement chargé de l’accueil. Ce contrat serait passé entre l’assistant en accueil familial et, selon les cas, le département, une association agréée et conventionnée, un établissement ou service public ou privé entrant dans le dispositif de lutte contre les maladies mentales visés par l’arrêté du 14 mars 1986 modifié.
Le statut d’assistant en accueil familial devrait également permettre d’harmoniser les conditions de rémunération. Celles-ci pourraient être définies, lorsque l’employeur est un établissement ou service public, par référence à la grille applicable aux agents non titulaires de l’Etat et des collectivités territoriales ou, lorsqu’il s’agit d’une association de la loi de 1901, par les conventions collectives en vigueur.
Le statut devrait également préciser les droits et obligations des assistants en accueil familial notamment au regard de la protection sociale et du régime fiscal, de la formation professionnelle initiale et continue ; le régime des indemnités représentatives des frais d’entretien, du loyer, des prestations de soutien ; les dispositions relatives à la responsabilité et l’assurance des unités d’accueil ainsi qu’à la protection des biens des personnes accueillies ; les modalités de retrait d’agrément.
Une étude complémentaire confiée au groupe de travail déjà proposé ci-dessus devra être menée pour évaluer les conséquences financières de ces propositions notamment pour les régimes sociaux, les hôpitaux, les départements ainsi que les incidences sur le régime de l’allocation aux handicapés adultes et de l’allocation de logement.
- 2.4.2. - Créer un Comité départemental de l’accueil familial :
La proposition de créer un tel comité a plusieurs fois été faite notamment par un groupe de directeurs de centres hospitaliers spécialisés. Elle nous semble pertinente compte tenu de la multiplicité des questions soulevées par la mise en oeuvre des différents dispositifs d’accueil familial. Le rôle d’un tel comité serait consultatif. Placé sous l’autorité conjointe du préfet et du président du conseil général, il pourrait réunir des représentants des acteurs locaux de l’accueil familial : établissements et services de secteurs, hôpitaux généraux, associations sanitaires, sociales et médico-sociales agréées, services de l’Etat et du département, assistants en accueil familial.
Le comité serait chargé de recenser les unités d’accueil familial existant dans le département, toutes formes d’accueil confondues, de recenser les données et informations relatives à l’accueil familial, de faire circuler l’information, de favoriser les échanges d’expérience. Il pourrait jouer un rôle privilégié dans le domaine de la formation des assistants d’accueil familial. Il pourrait également contribuer au développement des structures visant à renforcer des logiques intersectorielles et interservices.
3 - Conclusion :
L’accueil familial, dans ses différentes formes, soulève une problématique complexe qui touche à beaucoup d’aspects des politiques sanitaires et sociales et rend plus évidente l’aspiration de nombreux acteurs sociaux à une coordination et à une harmonisation de ces politiques. Aborder les problèmes de l’accueil familial thérapeutique des malades mentaux conduit nécessairement à élargir la réflexion aux autres formes d’accueil car elles touchent des catégories de personnes dépendantes dont les besoins sont extrêmement proches.
Lorsqu’il répond à une finalité thérapeutique, l’accueil familial constitue une forme d’intervention intéressante mais à laquelle il ne faut pas demander plus que ce qu’elle peut donner car sa mise en oeuvre n’est pas toujours aisée. Le métier d’accueillant thérapeutique est un métier difficile ("Rôle et statuts des familles d’accueil", Actes du Colloque de Strasbourg, 20-21 mars 1992). On ne peut pas l’exercer faute de pouvoir en exercer un autre ni seulement pour le salaire qu’il procure. Il demande des motivations réelles appuyées sur des convictions solides. Il n’est pas dénué de risques pour l’équilibre personnel et familial et peut affecter les relations de voisinage. Il nécessiterait une formation initiale et continue adaptée qui fait défaut actuellement.
Les développements de l’accueil familial thérapeutique restent tributaires de la volonté médicale d’y avoir recours mais aussi, à supposer que le nombre de places disponibles puisse se multiplier, des résistances profondes qui pourraient surgir dans la population. Comme l’a constaté Denise JODELET, le "retour du fou" dans la société ne se fait pas sans difficultés : "Notre population se pique de modernisme, vit à quelques heures de capitales régionales et de Paris, s’abreuve de télévision. Mais tout se passe comme s’il y avait une mise en réserve, sous la braise de la mémoire sociale, d’un système d’interprétation qu’on n’élimine jamais tout à fait au cas où surgiraient des situations nouvelles le rendant utile. Sorte de garantie contre l’inconnu de l’avenir". Chaque groupe social cherche à obtenir cette garantie qui permet de se protéger contre les dangers de l’altérité.
L’accueil familial thérapeutique n’est jamais une solution de facilité . Il ne peut se mettre en place en effet, au cas par cas, qu’à l’issue d’une négociation plus ou moins implicite incluant, non seulement le psychiatre, l’unité d’accueil et le malade mais aussi les ensembles sociaux qui les englobent : village, quartier, famille, hôpital, voisinage...négociation grâce à laquelle se construisent quotidiennement les éléments symboliques d’une empathie qui constitue l’une des conditions préalables à la mise en œuvre du processus thérapeutique.
Il peut rendre de grands services grâce à une approche plus dynamique du traitement des maladies mentales, mieux orientée vers la réadaptation et la réinsertion sociale. L’arrêté du 1er octobre 1990 lui donne, à cette fin, un cadre utile et nécessaire pour y parvenir mais qui reste insuffisant.* Il est indispensable d’ouvrir l’accueil familial thérapeutique sur des alternatives qui, dans une certaine mesure, restent à inventer. C’est pour partie l’objet de nos propositions et la raison pour laquelle, au-delà des formes traditionnelles de l’accueil familial : sociales ou thérapeutiques, il nous a semblé utile d’élargir la réflexion en proposant la création d’une forme d’accueil intermédiaire capable de répondre à la fois à une exigence d’autonomie sociale et à un besoin de suivi médical.
L’accueil familial ainsi élargi dans ses finalités comme dans ses indications peut offrir, sous ses différentes formes : sociales, thérapeutiques ou médicalisées, des solutions intéressantes et diversifiées. Il peut concerner non seulement des malades mentaux, à divers stades de leur maladie, mais aussi d’autres catégories de malades désorientés ou dépendants ainsi que des personnes âgées ou handicapées souffrant de troubles psychiatriques. Il prendrait enfin place dans des perspectives plus larges : celles de la lutte contre les maladies mentales ou de la prise en charge de la dépendance. Son développement permettrait aussi - et ce ne serait pas le plus mince avantage - de libérer voire de fermer des lits actifs qui n’ont plus leur raison d’être et de contribuer à la politique de développement des emplois de proximité.
* NDLR : au 1er janvier 2006, soit 12 ans après la publication de ce rapport, L’arrêté du 1er octobre 1990 attend encore une mise à jour ...