Comment vous parler de nous, de lui ? Il est tellement complexe, tellement passionnant !
Quand nous avons commencé à travailler ensemble, toi, petit garçon pas comme les autres, je me suis efforcée d’entrer dans ton monde où les mots sont bannis, de devenir ton "compagnon de jeux" pour aller te chercher au plus profond de toi, et gagner si ce n‘est ton amour, tout au moins ta confiance.
Sans même que je m’en aperçoive, tu m’as manipulée, j’étais devenue ta marionnette, c’est toi qui tenais les ficelles ; nous étions devenus deux autistes. Bien évidemment, ce n’était pas le but recherché. Heureusement pour nous, je m’en suis aperçue, et j’ai essayé d’inverser le processus, de te faire venir, toi, dans mon monde.
Désormais, nous nous promenons tous deux à la frontière de deux mondes tellement différents l’un de l’autre. Je veux te donner l’envie, le désir impérieux de venir voir ce qui se passe de l’autre côté !
Moi qui prône la prudence et la modestie dans mon travail, voilà maintenant que je me prends pour Dieu, et je cherche à réparer ses erreurs. Mais quel Orgueil !
Qu’importe, ma position est des plus inconfortables, oui, c’est vrai quel vertige, mais je veux que mon enthousiasme soit plus contagieux encore que ta folie.
Je m’efforce de te faire ressentir des émotions très fortes pour, peut-être, te libérer de tes chaînes, pour t’évader de ta prison corporelle. Je te fais découvrir le manège où tu "voles" dans un avion, le cinéma, le vélo, la piscine, le "Mac-Donald", le restaurant des "grands", les ballades en train, les copains de la normalité, avec la sensation d’appartenir à un groupe.
Tu as toujours fini par t’impliquer, tu as brisé ta solitude, ton silence même, parfois. Le groupe t’a porté, t’a soulevé, mais ne t’a jamais libéré tout à fait. Tu as toujours gardé ton contrôle, même si, parfois, j’ai bien cru avoir gagné. La résignation à ta maladie a toujours été plus forte que le désir d’en sortir.
J’ai vu ta souffrance, j’ai pu la sentir, j’ai vu tes efforts "surhumains", j’ai apprécié, toujours, ce dépassement de soi. Tu avances, Mickaël, à petits pas, mais tu avances.
Où sont donc tes limites ? En cherchant les tiennes, il me semble que je perds un peu les miennes. J’évolue entre le zéro et l’infini, le tout et le rien. Mais où sont donc mes repères ?
Ma tête doit être dans les nuages, alors que mes pieds doivent être bien posés sur la terre ferme.
Finalement, en voulant ouvrir les portes de ton âme, c’est toi qui as ouvert les miennes. Pourtant, je pensais les avoir bien fermées. Tu as libéré une grande force qui dormait en moi, et, en même temps, tu as libéré aussi tous mes vieux fantômes. Tu es devenu mon miroir. Mais qu’il est donc désagréable de se regarder en face ! En voulant réparer ton enfance, c’est ma propre enfance que je veux réparer.
Mais guérit-on un jour de son enfance ?
Ne serais-je donc pas dans ce métier par hasard ?
N’y a-t-il pas en chacun de nous une part d’autisme ?
Aujourd’hui, j’apprends qu’il est impossible de guérir de l’autisme. Que voulez-vous que je fasse de cette information ? Comment puis-je imaginer un monde où il n’y ait aucun espoir ? Et à quoi servirait mon travail alors ? Et si mon travail n’a plus de sens, pourquoi continuer à l’exercer ?
C’est à devenir fou. Il est trop tard ! Je ne veux pas, et je ne peux pas écouter ce discours défaitiste. Mickaël compte sur moi, je suis son rocher, sa bouée de sauvetage, je ne peux pas le décevoir. Si moi je ne crois plus à sa guérison, si je n’ai plus "le feu sacré", il se retrouvera alors vraiment tout seul.
Si c’est ce genre d’avenir qui nous attend, je préfère que l’on se sépare tout de suite.
Je pourrais toujours me consoler en me disant que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui. Je lui ai donné du bonheur, c’est déjà pas si mal ! Oh oui, quelle piètre consolation !... Je lui ai menti aussi, je lui ai fait croire à des choses qui n’existent pas.
Je ne saurais peut-être jamais à quel point la force de mon acharnement "thérapeutique" a pu, ou peut influer sur sa maladie. Je reste persuadée que personne n’est en mesure de me répondre. Et quelle réponse pourrait être acceptable pour moi ?
De même que nous n’avons jamais pu mettre des mots entre nous, nous n’avons jamais su mettre des limites à nos sentiments. Cela a créé une relation idéalisée. Nous avons côtoyé le fusionnel ; ce n’est pas la meilleure des choses, mais c’est ainsi.
Définitivement, dans ma vie, il y aura eu l’avant Mickaël et l’après Mickaël. Je vous confirme que mon travail avec lui est des plus enrichissants (intérieurement bien sûr), valorisants et passionnants, mais aussi tellement dangereux ; et cela, on ne s’en aperçoit pas tout de suite, sinon, bien sûr, on se protégerait.
Je voudrais, Mickaël, que ce soit toi qui aies le dernier mot ; prouve leur que j’ai eu raison de croire en toi ! Terminons sur une note d’espoir !
NB : artiste - définition : personne qui se voue à l’expression du beau