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Chacun cherche son chat...

Bénédicte BATAILLE, psychologue clinicienne - Centre médico-psychologique, St André de Cubzac

Il y a quelque temps, notre famille s’agrandissait pour accueillir un petit chaton à peine sevré que des amis nous avaient donné.
Tinou grandit, et apprit à mener sa vie de chat, ronronnant l’hiver et vagabondant dès le printemps. Il revenait de ses escapades épuisé, affamé, parfois griffé ou mordu. En le voyant si libre et si maigre, certains nous suspectaient d’être de mauvais parents et nous menaçaient de prévenir la Société Protectrice des Animaux.

Pourtant, Tinou vivait pleinement au rythme de notre vie familiale, arrivant régulièrement à l’heure des repas, gourmand de tous les restes. Il appréciait particulièrement les boulettes de viande de la marque B. que le vétérinaire de famille nous avait conseillé de remplacer par des croquettes mieux adaptées pour guérir son eczéma persistant.

Pendant les vacances, la voisine venait lui donner à manger, et si celle-ci l’avait peu vu pendant notre absence, il arrivait dès notre retour.

Un jour d’été, Tinou revint de ses voyages lointains ensanglanté et claudiquant sur trois pattes. Notre grande inquiétude nous amena à demander en urgence un rendez-vous chez le vétérinaire. Au moment du départ, alors que nous installions Tinou dans un panier pour le transporter, il s’échappa malgré sa patte abîmée.

Après avoir longuement fouillé tous les recoins du jardin et des environs, nous nous rendîmes à l’évidence : Tinou avait disparu.

Les jours passaient, mais Tinou ne revenait pas. Nous en arrivâmes à penser qu’il était allé mourir dans quelques fourrés. Nous allions en faire notre deuil, et nous préparions à annoncer la triste nouvelle à l’ensemble de la famille, et notamment aux enfants qui allaient bientôt rentrer de leurs vacances.

Dès le retour des enfants, et avant même que nous ayons pu évoquer la disparition de Tinou, il arriva, une épaule bandée soutenue par une attelle. Tout le monde fut surpris, cajoleries et ronronnement se mêlèrent à nos interrogations jusqu’à ce que des appels parviennent à nos oreilles : ”Achille ! Achille !”.

Un couple, visiblement inquiet, s’approchait.

  • Vous n’avez pas vu notre chat ? Il est blessé et porte un bandage à l’épaule.
  • Notre chat vient d’arriver avec un bandage mais c’est notre chat.
  • Mais c’est Achille !

Deux familles pour un chat ! Nous devions en discuter.

  • Nous : Nous avons ce chat depuis qu’il est tout petit.
  • Eux : Mais nous aussi, c’est le fils de notre chatte.
  • Nous : Impossible. Il a toujours vécu avec nous.
  • Eux : Notre chatte est morte, et peu de temps après un petit chat lui ressemblant est sorti de la haie. Nous avons pensé que c’était son bébé.
  • Nous : Des amis nous l’ont donné il y a trois ans, en avril ; c’est notre chat.
  • Eux : Mais nous lui donnons à manger tous les jours, et nous l’avons soigné quand il était malade et là, pour l’épaule...
  • Nous : Oui, il nous a échappé quand on a voulu l’emmener chez le vétérinaire. Comment cela s’est-il passé ?
  • Eux : Il a été opéré d’une fracture de l’épaule. Il a subi une longue opération fort coûteuse.
  • Nous : Nous allons vous rembourser, vous nous direz...
  • Eux : Non, non, on l’a fait soigner, on paye. C’est le Docteur V. qui l’a opéré.
  • Nous : Nous avons le même vétérinaire. Tinou est enregistré sous le nom de Tinou T.
  • Eux : Non, il s’appelle Achille A. Nous avons mis une chatière à la porte du garage. Achille entre et sort, mais dort toutes les nuits chez nous.
  • Nous : Tinou vient régulièrement à l’heure des repas, et rentre très souvent pour dormir au chaud.
  • Eux : Pendant les vacances, la femme de ménage vient le nourrir tous les jours, avec des boulettes de la marque B.
  • Nous : C’est étonnant, justement nous aussi nous lui donnons la même marque de boulettes, ce sont celles qu’il préfère.
  • Eux : Oui, mais il ne faut plus lui donner de boulettes mais des croquettes.
  • Nous : Oui, depuis quelques temps, nous lui donnons des croquettes mais il ne les aime pas.
  • Eux : C’est essentiel de lui donner des croquettes pour guérir son eczéma. Le vétérinaire a été formel. Nous l’emmenons régulièrement chez lui pour ses vaccinations, sa bronchite qui ne passait pas, son eczéma et là, pour son épaule. D’ailleurs ce chat revient trop souvent blessé.
  • Nous : Oui, il se fait souvent griffer et mordre.
  • Eux : Avec cette opération à l’épaule, il ne pourra plus se faire abîmer. Nous avions pensé le faire castrer. Qu’en pensez-vous ?
  • Nous : Le Docteur V. nous en a parlé. Il faudra l’envisager.
  • Eux : Le chat ne doit pas bouger pendant trois semaines. C’est peut-être préférable qu’il reste chez nous pendant toute sa convalescence sans sortir. Vous seriez d’accord ?
  • Nous : Oui, sans doute. Ensuite, Tinou continuera d’aller et venir, entre les deux maisons.
  • Eux : Surtout ne lui donnez pas de boulettes, il ne doit manger que des croquettes.
  • Nous : Oui, bien sûr et pourtant il ne les aime pas et les laisse.
  • Eux : C’est important, et, vous seriez d’accord pour qu’il soit castré ? Cela devient urgent.

... Et Tinou - Achille repartit avec Monsieur et Madame A.

Après sa guérison, Tinou revint à la maison. Nous nous sentions coupables quand nous lui donnions quelques boulettes de viande plutôt que les croquettes qu’il délaissait. Quand il ne rentrait pas pendant plusieurs jours, nous l’imaginions en compagnie de l’autre famille, sans doute plus disponible en ces temps de rentrée bousculés.

Nous n’osions pas demander de ses nouvelles. Si nous le faisions, la famille A. n’allait-elle pas penser que nous la dérangions inutilement ? Si nous ne le faisions pas, n’allait-elle pas juger notre peu d’empressement ?

Nous nous retrouvions dans une situation insolite vis à vis de ce chat. Nous étions forcément de mauvais parents pour qu’il aille chercher ailleurs. Mais quoi ? Ce qu’il ne trouvait pas chez nous ? Ou quelque chose d’autre, en plus ?

Notre éducation avait-elle été laxiste ou inadaptée ? Celle de la famille A. était-elle meilleure ? Qu’avait donc cette famille que nous n’avions pas ?

Pourtant, non conscient ou trop conscient de nos interrogations, Tinou-Achille avait su apprivoiser l’une et l’autre famille au mieux de ses intérêts, allant même, malgré son absence de parole, à obtenir ses mets préférés... trouvant chez chaque famille quelques éléments nécessaires à son confort... mais nous divisant...

Il allait et venait, prenant ici et là ce qui lui semblait bon, jouant avec les horaires des repas, et composant avec les temps de vacances des deux familles.

Ainsi était-il devenu le beau chat qu’il était.

Mais, à qui appartenait Tinou ? Quel était son nom ?

Peut-être n’appartenait-il qu’à lui, tout en se reconnaissant dans ses deux familles ?

Peut-être son nom n’avait-il de valeur que selon la famille qui l’utilisait ?

Et si chaque famille croyait "dur comme fer" à la légende qu’elle avait construite pour son chat, peut-être était-il au-delà de ces légendes ?