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Chroniques d’un psychiatre libertaire : 1966-2016

Février 2016 : Pierre Sans, auteur de plusieurs ouvrages sur les alternatives à l’hospitalisation, revient sur le lancement, en 1979, des premiers accueils médico-sociaux.

... et nous adresse ce message :

Madame, monsieur, chers amis de Famidac,
Chroniques d'un psychiatre libertaire : 1966-2016
Après près d’un demi-siècle d’exercice de la psychiatrie un peu marginale, j’ai rédigé un ouvrage intitulé « Chroniques d’un psychiatre libertaire. 1966-2016 », mis en vente en ligne chez Amazon au prix de 0,99€ pour 280 pages.
Deux chapitres devraient plus particulièrement vous intéresser, en particulier ceux qui traitent de la création en 1979 du service d’Accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique pour adultes de l’association Contadour. Les plus anciens parmi vous se souviennent qu’à cette époque cette pratique était quasi inconnue et absolument pas réglementée. Je rappelle mon combat pour parvenir, non sans mal et chausse-trappes, à un minimum, bien imparfait, de reconnaissance. C’est en tous cas dans mon service que j’ai réussi, en 1982, à imposer pour nos familles d’accueil un statut de salariat basé sur le SMIC, avec les avantages qui vont avec, comme le droit à la couverture sociale et à la formation permanente. Nous avons également organisé à Angers le premier congrès européen sur l’AFT AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
en 1989 ; d’autres suivront.
J’ai également à l’occasion de cette création effectué un important travail de rechercher qui a amené à la publication de plusieurs ouvrages sur l’AFT, en particulier sur son histoire assez extraordinaire – entre autres, « Le Placement familial : Ses secrets et ses paradoxes ». La plupart sont à présent épuisés. 19 ans après cette expérience je quittais Condatour et Nantes pour poursuivre ma route.
50 ans de parcours professionnels sont contés, depuis les premiers pas hospitaliers comme externe, en passant par Mai 68 et l’anti psychiatrie de la décade 70, jusqu’au présent de mon engagement à la fois en faveur des autistes et de leurs parents, ainsi que de l’action humanitaire en Afrique.
Pierre Sans

Extraits

(…) En 1979, j’en étais arrivé à la conclusion que le projet de placement familial présenté dans le fameux numéro de L’Information psychiatrique n’était pas si utopique, qu’il offrait même la solution que je cherchais. Le concept reposait sur le placement d’un patient adulte dans une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! . La simplicité de sa mise en œuvre dépassa toutes mes espérances. J’allais présenter mon idée à un médecin-chef de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie des Pays de Loire. Il fut séduit, mais il me demanda d’inscrire mon projet dans le cadre d’une association régie par la loi de 1901, plus souple que de le faire gérer par le service public. Kerangal, le directeur de l’OCHS, ne se montrant guère enthousiaste à intégrer ce nouveau projet dans le système sanitaire et social (il trouvait que le foyer de la Chicotière était déjà assez lourd et tenait à souffler un peu à l’approche de la retraite), j’optais définitivement pour les statuts de l’association.
Je choisis le nom de Contadour, un peu mythique pour moi qui avais passé quelques années de mon enfance dans la liberté de ce plateau habité par le souvenir de Giono et de la Résistance. Le projet fut présenté dans la foulée au conseil d’administration de la CRAM. Il fut accepté. Il ne me restait plus qu’à recruter mes premières familles d’accueil. Seul. J’ai beaucoup appris de ce premier travail. J’ai listé mes critères de sélection, ce qui était nécessaire pour qu’un milieu familial soit en mesure d’accueillir un grand malade mental en son sein. À vrai dire, même par la suite, lorsque nous avions plus de cinquante familles d’accueil, j’ai conservé l’habitude de visiter au moins une première fois toutes les familles candidates. Il y a des choses que je n’aimais pas déléguer. Et une fois le dispositif mis en place, je me déplaçais parfois pour voir in situ certaines situations à problème, surtout lorsqu’il était question de licencier, ce que je n’aimais pas faire.

Comment fonctionne le placement d’un patient adulte ? Hormis le terme de famille d’accueil, cela n’a que peu de rapports avec le placement des enfants. Autant en ce qui concerne les enfants la dimension « parentale » des accueillants est importante, autant du côté des adultes ce sont d’autres paramètres humains et familiaux que l’on recherche. Il faut notamment une grande tolérance au délire, aux propos parfois extravagants, à la tendance au repli sur soi, par exemple chez les schizophrènes. Il faut en même temps avoir des notions sur les limites à imposer au patient accueilli, sans tomber dans les excès que je décrirai autour de la thèse de Denise Jodelet dont il sera question ultérieurement. Il ne faut pas non plus avoir peur, ni éprouver d’angoisse au contact de la « folie ». Au total, des qualités importantes sont donc requises. Cela explique que j’aie tenu dès le départ à imposer pour mes accueillants un bon salaire, une formation permanente, le droit à des congés et un solide encadrement.

Très rapidement au départ de mon projet, j’ai donc dû me faire aider. J’avais adopté une organisation simple et facile à gérer. Pour chaque unité de dix familles d’accueil, j’embauchais un ou une psychologue et une secrétaire à mi-temps. De cette manière, l’établissement du budget était simplifié et j’avais le sentiment de mieux contrôler les choses. À mesure que l’association grandissait, il fallut augmenter le personnel d’encadrement et de secrétariat, trouver des locaux, voire en changer. J’avais une autre règle, à laquelle je crois n’avoir jamais dérogé, celle de voir au moins une fois par mois les patients en consultation, voire plus souvent si le besoin s’en faisait sentir. Ils venaient soit par leurs propres moyens soit amenés par leurs accueillants. J’avais une autre règle intangible, celle de donner mon numéro de téléphone personnel à tous mes salariés, y compris aux familles d’accueil. Il m’arrivait ainsi d’être sollicité pour une urgence le dimanche ou un jour férié (ce fut même le cas un premier janvier vers 2 heures du matin). La dernière règle sur laquelle j’insistais lourdement était que le suivi des familles d’accueil et des malades soit assuré par une équipe expérimentée et motivée, ce que je nomme une « équipe spécifique ». En aucune manière ce travail ne peut être le fait approximatif de travailleurs sociaux ou d’infirmiers partageant leur emploi du temps entre plusieurs activités. Là est l’une des clefs du succès. C’est la raison pour laquelle je ne cessais jamais de déconseiller, au cours des années suivantes, le suivi des placements par des équipes de secteur psychiatrique, et que je plaidais au contraire pour des équipes intersectorielles. C’est aussi la raison pour laquelle je n’étais pas du tout favorable à
ce qu’avait réalisé quelques années auparavant l’équipe de suivi du XIIIe arrondissement parisien de Soisy-sur-Seine. Mais j’y reviendrai.

1982 constitua pour moi un jalon important : c’est l’année où je fis accepter pour les familles le statut de salarié au SMIC. J’utilisais pour cela la méthode du fait accompli. (…)

Parallèlement à mon travail quotidien de développement du service lui-même, j’étudiais le fonctionnement des familles d’accueil. Il y avait effectivement quelque chose de mystérieux à ce qu’elles réussissent aussi bien avec les patients, surtout psychotiques, que je leur confiais. En effet, fidèle à ma position déjà expérimentée à la Chicotière, je m’intéressais surtout aux cas lourds. Pas aux psychotiques en phase aiguë, bien sûr, mais à ceux qui sortaient juste de cette période où l’hospitalisation avait été indispensable. Et ça marchait ! À partir de 1982, je lus beaucoup sur le sujet, rencontrai des gens d’autres horizons et d’autres pays. (…) J’entrepris finalement de diriger la rédaction d’un ouvrage qui serait à la fois un bilan historique et une série d’ouvertures sur les ressorts de l’accueil familial thérapeutique pour adultes. Cela aboutit en 1987 à la publication de Placements familiaux thérapeutiques, qui réunit, sous ma direction, outre quelques collaborateurs, des spécialistes européens, comme Daniel Schurmans, de Lierneux (Belgique), ou Felix Böcker, d’Erlangen (RFA). Jean Oury en rédigea la préface.

(…) Dans mon association Contadour, je cherchais beaucoup plus prosaïquement des familles qui puissent accueillir le patient sans s’angoisser à propos de son délire et sans le mettre trop à distance de la vie familiale. Il s’agissait de le cadrer sans rigidité, de le sécuriser sans tout accepter. Au quotidien, le patient peut être très envahissant, parler sans arrêt, interrompre le fil de la vie familiale, ou au contraire se fermer et se replier sur lui-même. Tout l’art tient à trouver la bonne distance. Bien des mères d’accueil me confiaient leurs « trucs ». Une telle se faisait une spécialité de demander à « son » malade de préparer une chicorée, puis ils s’asseyaient ensemble et elle tentait de savoir ce qui le tracassait.
Telle autre mit plusieurs mois avant de faire dire ses goûts alimentaires à un pensionnaire qui avait été brimé dans sa précédente institution. Le rapport du patient au travail était souvent à redéfinir, très simplement, au cours des activités quotidiennes. Je me souviens d’une mère d’accueil dont la malade ne voulait absolument rien faire parce qu’elle avait été durement exploitée lors d’un précédent placement. Il fallut des mois pour la convaincre qu’elle pouvait choisir ce dont elle avait envie. Au final, elle s’était prise de passion pour un petit bout de potager, puis pour la corvée du bois, et enfin pour la décoration de sa chambre…
Un problème récurrent et souvent difficile à supporter pour les familles est l’extrême lenteur et la passivité des patients psychotiques, du fait de leur traitement mais aussi de leurs séjours en institution. Il y a aussi le difficile problème du placement à table. Tel enfant de la famille ne veut pas s’asseoir à côté du patient, quand ce n’est pas l’inverse. Parfois, il est difficile au malade de comprendre qu’il doit aussi respecter l’intimité et les échanges au sein de la famille. Il faut en outre gérer les sorties, les loisirs, les relations avec les voisins qui peuvent être inquiets, les commerçants du quartier…

Après 1987, dans les années qui suivirent la parution de Placements familiaux thérapeutiques, je m’attelai à un travail de rencontres, plus particulièrement entre services de placement familial thérapeutique pour adultes et services pour enfants. Cet ouvrage m’aida aussi à donner la parole aux familles d’accueil, non plus de manière paternaliste, mais de manière respectueuse et garante de liberté et d’autonomie de parole. Avant que je réussisse, en 1982, à donner aux familles d’accueil un statut de réel salariat, basé sur le SMIC, la « mère d’accueil » avait au mieux le statut d’assistante maternelle, c’est-à-dire celui
de la nounou classique. C’est à partir de l’exemple de Condadour et de la pression exercée auprès des ministères, en particulier celui de la Santé, que l’on aboutit à l’arrêté du 1er octobre 1990 et à la diffusion du principe en France. Le statut de salariat avait aussi entraîné d’autres paramètres (comme le droit aux congés payés congés payés Les accueillants familiaux "de gré à gré" sont employés par des particuliers (les personnes accueillies). Pendant leurs congés, ils n’ont donc pas droit au maintien de leur salaire. En compensation, toute heure travaillée (y compris les heures de sujétions particulières) doit être majorée d’une prime pour congé payé de 10%.  !) et un processus de respect du travail
accompli. Cela paraissait normal et évitait les situations de burn out.

À Contadour, les familles étaient libres de choisir entre une prime ou la prise effective des congés. Je m’attribuais le droit d’imposer cette dernière si je craignais la saturation de la famille. Le statut salarié donnait également un droit à la formation permanente, à mon sens fondamentale, ainsi qu’à la médecine du travail et aux organisations représentatives du personnel. En outre, j’obtins de mon conseil d’administration que deux salariés accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
puissent y siéger. Toute cette nouvelle organisation de l’accueil familial pour adultes était assez révolutionnaire en France, je l’écris sans fausse modestie. Je la présentai en 1991, dans mon ouvrage suivant, Famille d’accueil, un métier, un livre indiscutablement militant, qui fut bien reçu et est épuisé depuis longtemps.

(…) après la phase d’expérimentation nantaise et la publication de mes premiers livres sur le sujet, après un beau et premier congrès national sur « Les placements familiaux spécialisés et thérapeutiques », monté à La Baule en 1986 (sous la présidence de Michel Lemay, avec la participation de Myriam David), je passais à la vitesse supérieure. Je lançai le Groupe de Recherche et d’Étude sur la Placement Familial pour Adultes (GREPFA), dans lequel se retrouvaient la plupart des contributeurs à Placements familiaux thérapeutiques, en particulier Daniel Schurmans (de Lierneux, Belgique) et Marc Godemont (de Geel, Belgique), auxquels se sont joints Tilo Held (de Bonn, RFA) et quelques autres. J’ai demandé sportivement à Schurmans de le présider, car je n’ai jamais aimé présider les « machins », comme disait de Gaulle ! Ma place, depuis Mai 68 était plutôt dans l’organisation et la collecte d’informations.

Huit cent cinquante participants étaient accueillis ce week-end là au centre des congrès d’Angers. Un chiffre inespéré pour une pratique quasi inconnue dix ans auparavant pour les adultes et peu investiguée en ce qui concerne les enfants, mis à part le beau livre de la spécialiste en la matière, Myriam David. Mon introduction aux débats posait d’emblée la question de fond sur la distinction entre « social » et « thérapeutique » : « Le « tout social » était aussi inepte que le « tout médical » ou le « tout politique ». Les placements familiaux sont multiples, protéiformes, complexes : ils n’appartiennent ni aux travailleurs sociaux ni aux infirmiers ni aux bénévoles ni même aux familles d’accueil. Ils sont. Et leur existence même pose problème ».
(…) À côté des nombreux intervenants que je ne peux pas tous citer, les familles d’accueil, en particulier celles de Contadour, participaient aux débats, parfois en présentant de belles communications. C’est d’ailleurs l’une de mes fiertés durant toutes ces années, d’avoir offert la possibilité aux familles de penser, d’écrire et de communiquer. En conclusion des actes que la revue Nervure fit paraître en mai 89, je me laissais aller à un réquisitoire au lance-flamme, qui allait me faire autant d’amis que d’ennemis : « Une loi scandaleuse (Loi n° 89-475 du 10 juillet 1989 dite loi Braun, ndlr) : celle organisant « l’accueil familial des personnes âgées et des handicapés » […] votée par le Parlement, dans la gêne, la perplexité, et en dépit de nombreuse critiques. Son incohérence le dispute à son irresponsabilité.

L’établissement d’un contrat direct entre accueilli et famille d’accueil est un non sens. Cette disposition méconnaît les règles les plus élémentaires du travail médico-social et nie tout « lien social », nécessairement triangulé. L’absence de reconnaissance d’un statut salarié aux familles d’accueil, donc de droit aux congés maladie, aux congés annuels, à la formation permanente, au travail d’équipe, à une couverture sociale décente est honteuse.

Le fait de mélanger les dispositions relatives aux personnes âgées et aux handicapés est démonstratif de la stratégie visée ; regrouper « tout ça », le caser chez des familles d’accueil sous-payées, prises en otage de la pauvreté et de l’ignorance… Il faut lutter contre la reconstitution sournoise des « nouveaux asiles » et des mouroirs à domicile. Cette loi d’un autre âge est votée ; dont acte. Donnons notre point de vue aux politiques, à nos députés, à nos sénateurs, à nos conseillers généraux surtout, qui vont se retrouver investis de la lourde responsabilité de mettre en place les nouveaux dispositifs et qui ont la possibilité d’en limiter la dangerosité. Et œuvrons à préparer une loi décente sur les réelles alternatives à l’hospitalisation ».

En relisant cette diatribe vingt-cinq ans après, je constate qu’elle n’a pas vieilli. Je pourrais écrire ces lignes aujourd’hui, à la virgule près ! Deux représentants nationaux d’une grande association de familles d’accueil avec lesquels j’ai été récemment en contact partagent totalement ce réquisitoire. L’un comme l’autre ont tenté d’alerter les politiques. Peine perdue ! L’accueil familial, « social » et/ou « thérapeutique », est devenu un vrai foutoir où règne la loi de la jungle. La France est, dans ce cas comme souvent, incapable de réformer, de promouvoir une politique sociale cohérente ou de revenir en arrière quand une erreur a été commise…

Cette même année 1989 me valut l’honneur d’être chargé par le ministère de la Santé d’une mission d’étude sur le placement familial thérapeutique. C’était tout à fait paradoxal. Depuis fin 1987, je travaillais déjà avec le bureau des maladies mentales (dépendant du ministère de la Santé) à l’élaboration d’un texte organisant l’accueil familial thérapeutique. Le ministère avait choisi de suivre mes préconisations. Parallèlement, j’avais découvert en 1988 que le secrétariat d’État aux Personnes âgées et handicapées préparait un autre texte qui allait devenir la fameuse loi Braun (citée plus haut), votée en juillet 1989, et court-circuiter l’arrêté que je préparais pour organiser l’accueil familial thérapeutique. Détestant la langue de bois, j’écrivis clairement ce que je pensais de ce « foutoir » et déposai mon rapport au ministère
de la Santé, le 1er mars 1990, sans en recevoir aucun commentaire. Dans l’une de ces contradictions dont la législation française a le secret, l’arrêté prenant en compte mes propres suggestions fut promulgué en octobre 1990, alors que son esprit même était
totalement opposé à celui de la loi. Mon texte défendait en effet le salariat et l’inclusion dans le code du travail des accueillants familiaux. Et on me demande un rapport présumé objectif sur le sujet ! Je le rédigerai, aussi honnêtement que possible.

En 1990, je publiai un autre ouvrage, Famille d’accueil, un métier, où je condensais tout ce que je pensais sur le statut des familles d’accueil. Je n’y cachais pas non plus tout le mal que je pensais de la loi Braun sur l’accueil familial des personnes âgées et des handicapés. Ce livre connut un franc succès. Mais je me fis au passage bien des ennemis dans les administrations que cette loi arrangeait. De fait, en vertu de la loi, lesdites administrations n’avaient plus à se préoccuper de payer les familles d’accueil, puisqu’en pratique les tuteurs des placés devaient s’en débrouiller.
Quelle ne fut donc pas ma surprise, en 1991, de me voir décerner la distinction de chevalier dans l’Ordre national du Mérite pour mon combat en faveur des familles d’accueil ! Comprenne qui pourra ! Je l’acceptai et je revois encore la mine réjouie et fière de mes parents, qui assistèrent à la remise de la médaille par le président du Conseil général de Loire-Atlantique (ils en encadrèrent la photo et la mirent au mur de leur salon !). Cela fit également très plaisir à mes collaborateurs, aux familles d’accueil et à mon conseil d’administration.

(…) En 1993, l’IGAS était missionnée à son tour pour produire un rapport sur l’accueil thérapeutique. Son contenu, remis en mars 1994, aboutissait à peu de choses près aux mêmes constatations que moi et j’y étais cité du début à la fin. Mes préconisations y étaient même retenues en conclusion ! Pourtant, les effets concrets furent nuls. Si on ressortait aujourd’hui des placards aussi bien mon rapport de 1990 que celui de l’IGAS de 1994, on verrait que rien n’a changé et que la situation de l’accueil familial est toujours dans le même désordre et la même opacité généralisée !

Mais revenons à mon travail de praticien au sein de Contadour durant ces années-là. Nous étions encore alors (pour peu de temps) sur une courbe institutionnelle ascendante. La demande de placement était forte pour de jeunes adultes de type « border-line ». Comme rien ne s’y opposait légalement, et en vertu du principe selon lequel ce qui n’est pas interdit est autorisé, j’acceptais un certain nombre de ces cas, au grand dam des inspecteurs du département de Loire-Atlantique. Ils considéraient que je cassais leur travail, car je payais mes familles d’accueil plus qu’eux. Cela était sans doute vrai, mais j’estimais qu’ils n’avaient qu’à être corrects avec leurs propres familles. C’était le début d’un bras de fer dont, bien sûr, ils sortiraient vainqueurs, par abandon, par jet de l’éponge, mais j’y reviendrai !
Dans le domaine thérapeutique pur, avec des patients psychiatriques, la demande des secteurs de Loire-Atlantique restait forte elle aussi. Je finis donc par obtenir un agrément pour 50 places, ce qui est beaucoup pour l’époque (Dun et Ainay mis à part, mais leur système de colonies était plus proche de l’asile à domicile que de l’accueil thérapeutique).

(…) Parmi les dimensions de l’accueil familial, j’ai toujours été passionné par les rituels et les savoirs profanes pratiqués au sein des familles. Pourquoi les rituels ? Parce qu’ils rythment et organisent une grande partie de l’activité humaine. Bien au-delà de leur signification religieuse ou sacrée, les rituels se retrouvent aussi bien dans notre activité professionnelle, que sportive ou familiale.
(…) Je m’intéressais aux « savoirs profanes », car je me demandais comment des gens comme ceux des familles d’accueil, sans aucune formation éducative, thérapeutique ou scientifique, en arrivaient dans nombre de cas à obtenir des résultats supérieurs à ceux des professionnels. C’est d’ailleurs une question que j’ai reposée ultérieurement, à la lumière de mes nouvelles observations au sujet de l’autisme, des parents d’autistes et d’Internet. Mais à l’époque, ma proposition de valoriser les savoirs profanes entra en conflit, plus ou moins inconscient, avec les professionnels infirmiers et les éducateurs. Pourtant, comme pour tous les paradoxes, la question méritait de ne pas être éludée, mais examinée avec le plus grand soin.
(…)
Le 31 décembre 1997, je quittais Contadour, l’accueil familial thérapeutique, Nantes et la Loire-Atlantique, la tête haute. Direction Rodez, où m’attendais le défi suivant.
(…)