En Ardèche, Étienne Frommelt propose logement et assistance à des personnes âgées.
« J’ai passé toute ma vie à "embaucher des patrons. » Étienne Frommelt, 44 ans, Alsacien pure souche, mais plus Ardéchois que les châtaigniers de son canton, entreprend, à Rocles, sa énième reconversion. Parce qu’en Ardèche, les gens âgés sont encore plus isolés qu’ailleurs, Étienne a décidé de leur louer ses services et d’en faire une activité professionnelle.
Disposant dans sa « grande baraque » de mètres carrés inoccupés, Étienne a créé deux grands appartements, avec terrasse et vue sur l’éternité. Au sud-est, le vallon de Rocles, à l’est la tour de Brison et derrière, la chaîne des monts de Tanargue. Ses beaux-parents y habitent désormais, dans un chez eux au service amélioré.
Génèse.
L’idée est née d’un concours de circonstance. Les parents de sa compagne, respectivement 75 et 85 ans vendent leur maison de Marquette dans le Nord, pour prendre pension à la maison de retraite, à Valgorge, à dix minutes de Rocles. Pas assez autonomes pour demeurer dans leur propre maison, ils le sont un peu trop pour résider dans un établissement.
Étienne Frommelt leur propose alors de venir s’installer à Rocles. « Quand on leur a dit notre idée, ils seraient bien venus s’installer ici le soir même. » Étienne, doté d’un solide sens pratique, peaufine l’organisation. Lui, qui a passé toute sa vie à se créer ses emplois, saisit l’occasion pour en faire une vraie activité. Rompu aux techniques de création de boulot, il applique les recettes à son propre cas.
D’abord, l’analyse des manques. Entre la maison de retraite classique, souvent des anciens hospices reconvertis , et le maintien à domicile, il n’existe rien à proximité. Certes, quelques familles d’accueil, agréées par les services sociaux, prennent bien en pension quelques vieux. Mais, juge Étienne, les « vieux » en question, maternés pour ne pas dire complètement assistés, n’ont plus vraiment d’activité et pas davantage de chez soi.
L’idée, c’est de proposer à des gens âgés, suffisamment autonomes, d’habiter dans leurs murs, en menant leur vie à leur guise, tout en pouvant solliciter à la demande l’assistance d’un tiers, aux antipodes des ghettos pour 4e âge auxquels ressemblent parfois les maisons de retraite. Une sorte de substitut à la résidence spéciale personnes âgées, en plus convivial et en beaucoup moins onéreux. « On a cinq mômes, raconte Étienne, sans compter ceux du voisin, ni ceux de la maison de derrière. Il y a toujours de la visite chez les grands-parents ».
Le service est bâti sur mesure. Les courses à la supérette de Joannas, à 6 km, ou les steaks hachés à la boucherie de Valgorge c’est l’apanage d’AnneLise, sa compagne ou d’Étienne, tout comme changer la bouteille de gaz ou réparer la fuite d’eau. « L’infirmier est très content de monter à Rocles, tous les jours pour soigner la grand-mère qui est diabétique. Le médecin, le kiné n’attendent qu’un coup de fil pour faire un saut. »
Avantages.
Financièrement aussi, tout le monde s’y retrouve. La maison de retraite de Valgorge était bon marché, mais les 12 000 francs par mois de la pension complète pour le couple excédaient largement les retraites. Le pactole retiré de la vente de la maisonnette de Marquette, qui servait à boucler le budget, avait quasiment fondu en l’espace de deux ans.
En vrai professionnel des questions d’emploi, Étienne a réfléchi au montage. Les grands-parents versent à la famille, 6 000 F par mois. Les détails sont consignés dans un contrat : 2 000 F pour le loyer et les charges, 2 000 pour le ravitaillement, et 2 000 pour l’aide à domicile, « du taxi pour emmener Émilienne chez son médecin, aux travaux de ménage ». Les prestations sont réglées par chèque-emploi service.
Étienne est ainsi le salarié de ses beaux-parents. Émilienne, installée depuis six mois, a retrouvé le chemin de ses fourneaux. Un brin nostalgique, elle ne garde plus de la maison de Valgorge que les bons souvenirs. « On m’appelait, "Miette, ou "Mimi, ou encore "Porteuse de pain, parce que je ramassais le pain sur la table. »
Elle évoque les parties de tarot, ou de boules, « avec le jeu du jardinier » ou encore le jeu de cache-cache pour fuir l’animatrice et les séances obligées de tricot. Les fou rires avec la « mongole, bossue ». Une vie sociale qui lui manque aujourd’hui parce que les enfants du coin sont en vacances" Et puis, glisse l’ex-matelassière dans le textile, épouse d’un tout aussi modeste taxateur de la SNCF, et qui n’avait jamais rêvé de tant, « on était servi ».
Un deuxième appartement grand duplex avec chambre, de 80 m2 , attend ses futurs occupants. Mieux, Étienne imagine que d’autres familles sur le canton pourraient suivre son exemple. L’Ardèche pour la vie. Acharné du « vivre au pays », Étienne est un accoucheur de « boulots ». Quand à 17 ans, son bac de technicien en poche, il « tombe » en Ardèche, il décide de n’en plus repartir. Un an plus tard il signe pour une maison en ruines, et fait le tour de la région, cherchant quel métier il pourrait bien inventer pour rembourser ses traites.
Il apprend celui de plombier-chauffagiste « parce que cela permettait de tout faire, de l’affûtage de la faux à la réfection du tableau électrique ». Se met à son compte. Mais, « lorsque vous troquez votre vieille camionnette pour une neuve, les gens s’imaginent que vous avez dû les voler ». Alors, il liquide sa boutique, et opte pour le statut de salarié.
« Je faisais la même chose qu’avant, mais les rapports étaient beaucoup plus cordiaux. Je m’occupais de tout, même de remplir mes bulletins de salaire. » Il fonde ensuite Amesud, une association locale qui aide au montage des projets de développement. Elle emploie jusqu’à huit personnes et tenait son siège jusqu’à l’an dernier dans la maison d’Étienne. Le déménagement d’Amesud, en libérant des mètres carrés l’a propulsé dans le service aux personnes âgées.
Mais Étienne, qui poursuit en parallèle des missions d’études que lui confient divers organismes locaux ou nationaux, ne voit dans cette activité nouvelle qu’une étape de plus dans le seul combat qui lui importe. Éviter que ce coin de l’Ardèche méridionale, dur à vivre, d’accès difficile, ne se dépeuple encore.
Catherine MAUSSION, envoyée spéciale à Rocles