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Formation et accueil familial : problématiques et spécificités

Serge Escots, psychothérapeute, anthropologue à Toulouse.

1. Se Former


Formation et identité

II y a dans l’étymologie et dans de nombreux emplois du mot « former », la notion de création. Former c’est « donner forme à », créer. Il s’agit donc de faire exister par une forme. À y réflé­chir, je pourrais arrêter là. Tout y est, en tout cas l’essentiel : la formation comme un moyen de faire exister quelqu’un au travers d’une forme spécifique. Se former à la plomberie deviendrait la façon d’exister sous la forme plombier : « Je suis l’plombier bier - bier - bier - bier - bier... J’ai un beau métier... ». Quant à exister, c’est être. Mais, exister, nous dit Le Robert, c’est aussi avoir, car exister c’est « avoir une réalité ». Se former à la plomberie, c’est donc pouvoir exister comme plombier, c’est-à-dire avoir une réalité en tant que plombier.

Cela n’y paraît pas, mais on a déjà fait un grand pas. On sait déjà que la formation a à voir avec l’être, et avec une façon singulière d’exister dans une réalité particulière. Se former aurait donc à voir avec l’identité en ce qu’au travers de la forme que cet acte donne à notre être, s’acquiè­rent une unité et une communauté. Unité, cela signifie que le plombier n’est pas le gazier (sinon y a de l’eau dans le gaz). Plombier est une unité professionnelle délimitée. Dans cette pers­pective, se former, c’est circonscrire une place professionnelle par rapport à d’autres qui par­tagent le même champ.

Se former, une initiation

Le plombier a aussi le privilège d’appartenir à cette corporation à l’humeur joyeuse, si bien chantée par Pierre Perret. Se former, c’est créer de l’appartenance à une communauté profes­sionnelle au sein de la communauté sociale élargie. Unité et communauté nous introduisent de fait à la question de la reconnaissance : être reconnu par des pairs et par ceux qui ne le sont pas. Un plombier voit de suite, au travers du coup de chalumeau, s’il a affaire à un collègue ou à un amateur, et le client aussi « sait » à qui il a affaire lorsqu’il est confronté au délai d’attente que l’homme de l’art lui propose pour le prochain rendez-vous.

Il y a des signes qui vous identi­fient. Se former, c’est accéder à la reconnaissance de l’Autre. Bref, se former permet d’en être et de pouvoir le dire. Et le pouvoir de dire donne la parole. Être formé permet donc d’avoir une parole. Mais pas n’importe laquelle, une parole dans un champ donné. Parce que le plombier ne peut par parler de tout et de n’importe quoi, de plomberie bien sûr, parfois de chauffage ou de couverture... Se former, c’est se donner les moyens d’accéder à une parole autorisée.

Pour résumer, se former c’est l’acte par lequel une personne se dote d’une identité particulière par la reconnaissance des autres membres d’une communauté et accède ainsi à une parole auto­risée. En termes de formation, cette définition doit pouvoir faire objectif. Dans cette perspective, d’un point de vue anthropologique, la formation devient un dispositif social par lequel une personne accède à des pratiques sociales spécifiques et à une identité sociale reconnue par sa communauté. De ce point de vue, la formation vaut initiation.

2. Le champ médico-social et la question de la formation


La relation au cœur du travail dans le champ médico-social

C’est un paramètre fondamental pour les acteurs opérationnels du champ médico-social (ceux qui œuvrent directement à la réalisation des objectifs de ce champ : médecins, travailleurs sociaux, psychologues, accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
...). Qu’ils le veuillent ou non, ils œuvrent dans et à partir de la relation : dans le champ médico-social, l’intersubjectivité constitue la texture du travail des acteurs opérationnels. De ce fait, leur être en relation est leur premier et peut-être finalement le principal outil disponible.

Le deuxième outil essentiel, pas toujours disponible, réside dans ce que l’autre, auprès de qui ils agissent (y compris lorsqu’ils ne font rien), leur attribue en fonction de ce qu’il est.

Le champ médico-social est un champ où les principaux outils disponibles sont d’une part ce que l’on est et que l’on peut engager dans la relation, et d’autre part ce que l’autre veut bien investir avec nous à partir de ce qu’il est. Sur le premier plan, certes on ne maîtrise pas tout, loin de là, mais on peut avoir une action directe. Il est toujours possible d’étendre sa capacité à entrer et à se maintenir en relation bienveillante et non complaisante avec les autres auprès desquels on intervient. Sur le second plan, on a peu de marges de manœuvre : aucune sur ce qu’est l’autre, et pas grand-chose sur ce qu’il investit avec nous. Toutefois, il est toujours pos­sible de réfléchir et d’agir sur ce qui fait obstacle à l’investissement de l’autre avec nous. Le repérage de ce qui est en jeu dans la relation peut s’avérer utile et parfois déterminant pour la réalisation de notre mission quelle qu’elle soit (soin, éducation, aide sociale, accueil...).

Résumons-nous. Les deux principaux outils de l’agent opérationnel du champ médico-social sont d’une part son être professionnel, et d’autre part le repérage de la relation que son être pro­fessionnel engage et qui est engagée avec ceux auprès desquels il est missionné.

Registres de formation pour les professionnels du champ médico-social

Trois registres apparaissent pour approfondir la question de la formation : le champ médico-social, l’être professionnel, la relation. En termes de formation, ces trois registres doivent pou­voir constituer des objets de formation. En pédagogie, on dirait qu’ils doivent se décliner en objectifs opérationnels. Ce sont les moyens par lesquels un formateur aiderait un stagiaire du champ médico-social à se doter d’une identité particulière par la reconnaissance des autres dans une communauté et à accéder ainsi à une parole autorisée, selon le premier objectif pro­posé plus haut.

Premier registre : les savoirs du champ. Il existe dans un champ donné un ensemble de lois, codes, normes, règles, connaissances spécifiques qui structurent les relations et repèrent les personnes qui y interagissent. Comment travailler de façon professionnelle en accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). des enfants sans être en capacité de se repérer sur les cadres juridiques de la protection de l’en­fance ou sur les discours qui organisent les savoirs consensuels en matière d’enfance, d’ado­lescence et de parentalité, sans identifier les acteurs de ce champ et les règles qui structurent leurs principales interactions, sans connaître les protocoles, procédures, références profession­nelles liés aux services, institutions ou filières intervenant dans le champ de l’enfance ?

On classera ces connaissances dans le registre des savoirs en tant qu’ils sont fondés sur des méthodologies validées par des communautés scientifiques ou institutionnelles (l’histoire, le droit, la psychologie, l’anthropologie... et les chartes, règlements, codes de procédures, guides de bonnes pratiques...).

Deuxième registre : l’être professionnel. Il s’agit d’un soi retramé dans un contexte particulier (l’univers professionnel) qui possède ses façons de dire, de faire, d’être ; un champ avec ses « habitus », pour paraphraser Bourdieu et ses disciples. En effet, il faut penser l’être profes­sionnel du champ médico-social comme doublement déterminé : d’une part par ce qu’il est comme produit de l’ensemble de ses expériences émotionnelles et cognitives, et d’autre part par l’habitus du champ qu’il intègre. Car si « ce que l’on est » comme substrat de l’être pro­fessionnel est incontournable, tout ne dépend pas de lui. La métaphore de la sculpture peut nous aider à comprendre.

Dans cette forme de création, la nature de la matière première (glai­se, plâtre, bois, fer...), par les contraintes qu’elle impose à l’artiste, est déterminante pour l’ex­pression de l’œuvre. Mais elle ne donne pas pour autant la forme de l’objet. La forme est exté­rieure à la matière travaillée, c’est une idée plus ou moins élaborée, un désir de transformation. Même si matière et désir de transformation de la matière sont en étroite interaction. Dans le cas du processus de création et de développement de l’être professionnel, la forme aussi est extérieure à la personnalité du professionnel. C’est la question du modèle et de la dia­lectique entre « des canons professionnels » et l’idéal de celui qui embrasse une profession. La forme qui façonnera l’être dans un processus de professionnalisation appartient pour partie à l’ensemble des normes idéalisées de la profession (les référentiels métiers), et pour partie à l’idéal de l’apprenti, sans oublier, les représentations des formateurs, le groupe d’apprenants et ses propres normes...

La personnalité de l’apprenant va rencontrer l’habitus professionnel dans une recombinaison croisée d’idéaux. On peut se demander s’il n’y a pas, dans le désir de se former, un désir de transformation de soi par la forme singulière qu’un métier propose...

Troisième registre : la relation à l’autre. Le travail relationnel introduit à la dimension de l’éthique comprise ici comme la recherche de la juste façon de se conduire dans une situation donnée car un travail qui met l’autre en jeu implique cette recherche. Pour réaliser cela, les savoirs disponibles en rapport avec la pratique professionnelle, et l’expérience acquise sont deux points d’appui mais ils ne peuvent suffire. Chaque cas. bien que rattachable à des caté­gories du savoir, échappe toujours par sa singularité. Chaque nouvelle rencontre vient boule­verser notre expérience par la radicalité de l’inconnu qu’elle représente.

Lorsque ce qu’il faut faire en situation professionnelle n’est pas indiqué par le cas général, c’est-à-dire, lorsque la norme, les règles, les savoirs disponibles ne suffisent pas à nous guider de façon claire et solide ; lorsque ce que l’on est, ce que l’on perçoit, ressent, pense ou croit ne nous permet pas non plus de fonder notre conduite ; lorsque ni la communauté et son corpus de savoirs, ni soi et son expérience émotionnelle et cognitive ne permettent de trouver le « quoi faire », le « comment se comporter », le « quelle conduite tenir », il reste la démarche éthique qui, par des méthodes d’analyse de la situation et de confrontation à soi, à l’autre et aux savoirs, permet de dégager une voie sur laquelle, tout en cheminant, se construira une réponse.

Axes pour la formation dans le champ médico-social

De ces points découlent trois axes pour la formation dans le champ médico-social : l’acquisi­tion de connaissances qui font communauté, le développement de l’être professionnel, et l’ap­prentissage de méthodes pour une pratique éthique. Il s’agira donc de :

  • définir et transmettre de façon adaptée les connaissances validées par les communautés scien­tifiques ou institutionnelles, utiles à la pratique des professionnels et renforçant leur identité ;
  • permettre le développement de l’être professionnel par une compréhension de soi au travail et un repérage de sa place et de ses limites dans l’exercice de ses fonctions professionnelles ;
  • favoriser l’acquisition de méthodes d’analyse des situations professionnelles qui permettent de s’approprier une démarche éthique dans sa pratique.

3. les enjeux de l’accueil familial


Qu’est-ce que l’accueil familial ?

L’accueil familial est un dispositif poursuivant des fins sociales ou thérapeutiques qui permet de prendre en charge, dans une famille étrangère, des populations ne pouvant pour différents motifs se maintenir et poursuivre leur développement dans le milieu où ils vivent. Ceci est valable pour des enfants ne pouvant grandir avec leurs parents qui présentent une souffrance psychique plus ou moins sévère, ou pour des adultes dont l’état de dépendance, la perte d’au­tonomie, des troubles altèrent leur être.

Au niveau structurel, trois conditions sont nécessaires pour parler d’accueil familial : une famille qui accueille au titre de famille ; l’amour envisagé comme une disposition émotionnel­le positive dans la rencontre famille-accueilli ; un tiers extérieur garant du cadre.

Organisateurs symboliques de l’accueil familial

Dès lors que ces conditions sont remplies, un certain nombre de processus liés à l’agencement anthropologique des systèmes sociaux sont prévisibles. Les systèmes sociaux sont déterminés par des éléments symboliques. Certains d’entre eux, par la force de la signification qu’ils ont dans le système, en deviennent des organisateurs. En accueil familial, quatre éléments symbo­liques me semblent organiser la structure.

Le premier est le manque. Au départ de chaque accueil familial, il y a un manque : défaillan­ce, déficit de compétence, impossibilité d’un parent (ascendant, descendant) ou d’une institu­tion à proposer un environnement adapté à une personne.

Le deuxième est la dérobade, car ce manque est toujours articulé à un autre. C’est le parent défaillant dans l’enfance, la famille qui ne peut s’occuper d’un adulte dépendant, l’établissement non adapté... Bref, on se retrouve toujours en famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! parce qu’un ou plusieurs autres se sont, bon gré mal gré, dérobés.

La dérobade d’un autre qui aurait dû culturellement ou socialement être là est une cause symbolique qui met en circulation des sentiments de cul­pabilité et de reproche, et alimente des interactions faites de rivalité et de disqualification.

Troisième élément : la complémentarité et la symétrie paradoxale de la place des familles d’ac­cueil. Les accueillant sont ceux qui ne se dérobent pas dans cette affaire. En effet, ils ne sont pas convoqués à n’importe quelle place, mais à celle de ceux qui se sont dérobés. Souffrance, folie, handicap, ils répondent présents, avec pour seule puissance leur double innocence : ils n’ont rien à voir dans ce qui arrive à l’accueilli et ne disposent pas d’un savoir spécialisé utile à la situation.

La place qu’ils prennent est à la fois complémentaire et symétrique à l’égard des deux autres sous-systèmes d’acteurs que sont les parents et les professionnels. Le système a besoin de leur place complémentaire pour répondre aux besoins de l’accueilli, mais au niveau symbolique, cette place affecte celle des parents et des professionnels qui sont implicitement remis en cause par l’accueil familial.

Complémentarité et symétrie paradoxales de la place des familles d’accueil qui sous-tendent des mécanismes de rivalités et de disqualifications croisées, fondés sur la culpabilité de la déro­bade et l’usurpation de la place, qui condamnent les accueillants à réussir (sauf à prendre en compte ces éléments et à y apporter des réponses).

Le quatrième élément est l’opposition étranger-familier. Dans ce contexte de manque est convoquée à répondre une autre famille, à la fois étrangère parce que ne partageant pas de parenté avec l’accueilli, et « familière » par la nature même de son offre en opposition à celle des institutions : en famille d’accueil, le registre familial n’est pas une métaphore, il est réel. Cette tension entre l’étranger et le familier va générer une série de mouvements d’appartenan­ce et d’appropriation, essentiels dans le fonctionnement de l’accueil familial, qui ont une inci­dence jusqu’au plus intime des personnes.

La combinaison de ces quatre éléments va générer un ensemble de processus observables dans tout accueil familial. Processus faits d’alternance auto-organisée de phases de fusion et de rejet entre l’accueilli et la famille d’accueil, de reconnaissance et de disqualification entre équipe et famille d’accueil et, selon les cas, de présence plus ou moins prégnante du système parental de l’accueilli. Des mécanismes similaires peuvent intervenir entre l’accueilli et sa famille, et entre les accueillants et les parents.

Processus de transformation dans les systèmes sociaux

D’un point de vue anthropologique, il est possible de penser l’accueil familial comme un pro­cessus d’interactions entre des systèmes sociaux autonomes. Un système social autonome est modélisable en distinguant deux niveaux dans son architecture : l’organisation et la structure.

L’identité d’un système autonome se définit par son organisation. La conservation de son orga­nisation est la condition sine qua non de son existence [1]. La transformation de l’organisation, c’est la fin du système. Si celui-ci était un système vivant, il meurt. Si c’est un couple, il divor­ce. Et si c’est un match de football, les joueurs rentrent définitivement aux vestiaires.

La structure est un second niveau du système qui s’articule au niveau de l’organisation. La structure se transforme en permanence pour maintenir l’organisation, c’est sa fonction. Les possibilités de transformations ne sont pas infinies mais dépendent des limites que lui fixe son organisation.

On peut illustrer ces rapports entre organisation et structure par le fonctionnement d’une démo­cratie parlementaire dans un régime présidentiel. Ce système politique se distingue des fonc­tionnements totalitaires par l’élection par le peuple de représentants et du président de la République pour assurer le gouvernement : c’est son identité de système politique. Les chan­gements de majorité à la chambre des députés et de gouvernement, les transformations légis­latives continues ou la cohabitation, sont des transformations entre le peuple et ses dirigeants qui ne remettent pas en cause l’organisation politique. Ce sont des changements structurels. Si un coup d’état annule la constitution de 1958 et instaure une dictature, c’est l’organisation du système politique qui disparaît.

Nature des changements en accueil familial

Tout système social est en interaction avec d’autres pour assurer sa continuité. Mais, para­doxalement, l’interaction récurrente avec les autres est source de perturbations pour le systè­me. Ainsi, une famille d’accueil est en interaction récurrente avec un service ou une équipe d’accueil familial. C’est indispensable à la continuité de son activité en tant que système social qui accueille, mais les perturbations qui en découlent l’obligent à de perpétuels ajustements.

De manière plus profonde, de par la nature des interactions émotionnelles et symboliques qui se vivent dans l’accueil familial, famille d’accueil et accueilli fonctionnent comme des agents perturbateurs réciproques qui s’imposent des transformations respectives pour maintenir l’ac­cueil familial et l’identité de chacun. Parfois, ces transformations sont positives pour l’ac­cueilli, et pour la famille d’accueil. D’autres fois, elles sont négatives pour les uns ou les autres et l’accueil doit s’interrompre, bien que parfois, il continue et devienne maltraitant.

Ces trans­formations sont imprévisibles et dépassent l’expérience ou les compétences des accueillants. Car les éléments qui vont se coupler dans l’accueil familial appartiennent à l’histoire de cha­cun. Une famille d’accueil et un accueilli, c’est donc la rencontre de plusieurs histoires.

Une famille d’accueil ne le devient réellement que lorsqu’un accueilli singulier est là avec ce qu’il est en tant que résultat de son histoire. C’est trivial de le dire, mais tire-t-on tous les ensei­gnements de cette formule ? Cela signifie que les compétences ou les limites de la famille d’ac­cueil sont autant liées à ce qu’elle est, du fait de sa dynamique familiale et de l’histoire de cha­cun de ses membres, qu’à ce qu’est l’accueilli avec sa propre histoire.

L’accompagnement de l’accueil familial, un impératif

C’est de cela dont il s’agit lorsque l’on parle des risques du métier. La conséquence est que la seule garantie en accueil familial consiste en un réel accompagnement. C’est une responsabi­lité impérative à laquelle tous nos efforts politiques, juridiques, économiques et techniques devraient tendre. Encore faut-il en être convaincu, et pas seulement l’équipe d’accueil familial.

L’accompagnement ne peut être effectif sans l’adhésion des accueillants. C’est un enjeu majeur de la formation en accueil familial : construire les possibilités d’un réel accompagnement des accueillants. Et sa mise en place devrait viser à résoudre les questions de savoir comment :

  • créer avec les accueillants un espace de parole authentique sur les difficultés et les problèmes qui se posent dans l’accueil familial ?
  • favoriser une coopération fondée sur un engagement et une responsabilité mutuels ?
  • clarifier la place des intervenants pour aider les accueillants à définir la leur ?
  • mettre au travail les limites respectives équipe/accueillants, pour inventer ensemble un dis­positif d’accueil familial qui laisse une place à l’accueilli ?

Le mythe de la compétence comme obstacle à l’accompagnement

Une limite radicale en accueil familial, et qui découle des quatre organisateurs symboliques que nous avons vus précédemment, tient au mythe de la compétence. En effet, pour répondre là où les autres se sont dérobés, il faut bien se supposer quelques compétences. Pour autant, l’analyse des transformations dans les systèmes sociaux nous le montre, au-delà des savoir-faire indéniables des familles, c’est la rencontre avec un accueilli singulier qui fonde les chan­gements. Nous le savons bien, nos compétences et nos vulnérabilités s’actualisent dans des contextes relationnels. Finalement, c’est l’accueilli qui rend la famille compétente.

Le problème, c’est qu’une famille déterminée par le mythe de la compétence taira plus volon­tiers ses difficultés à l’équipe pour ne pas remettre en cause l’image compétente qui assure son identité auprès du service. Elle les minimisera, parfois n’en sera pas consciente, ou si les pro­blèmes sont trop flagrants, elle les imputera à « l’indécrotabilité » de l’accueilli, à la mal­veillance de ses parents ou à l’incompétence des professionnels.

« R.A.S. tout va bien » ou « le problème, c’est les autres », nous connaissons tous cela par cœur. D’autant que certaines insti­tutions, par méconnaissance des enjeux de l’accueil familial, poussent dans ce sens, imaginant peut-être faire quelques économies en faisant croire aux accueillants, dans un jeu de dupes, que le renforcement de leurs compétences pourrait réduire l’accompagnement. Le risque absolu de la formation des accueillants serait de les former à une sous-qualification d’infirmiers, soignants, éducateurs... à domicile, au final exploités et surtout abandonnés à leurs difficultés.

Repères pour la formation des accueillants

Quels repères pour penser la formation des accueillants ? Si l’on reprend l’objectif posé en introduction, la formation est une initiation qui vise à doter celui qui la fait d’une identité et d’une parole. Les accueillants n’y échappent pas, être une famille ne suffit pas à être une famil­le d’accueil. Encore faut-il se confronter à des savoirs, à des pairs, et à d’autres professionnels pour obtenir une reconnaissance et se construire un être professionnel. Car l’être familial, s’il constitue la matière première, doit se transformer par un processus de professionnalisation. Mais de quelle profession s’agit-il ? Je viens d’en parler, le risque est la duperie de se trans­former en autre chose que famille d’accueil. En ce sens, la formation doit se penser comme un dispositif devant permettre aux accueillants de construire leur identité professionnelle.

Nous avons dégagé trois axes pour les formations du champ médico-social. La formation des accueillants familiaux s’inscrit pleinement autour de ces axes :

Le premier serait l’acquisition de connaissances qui font communauté dans le domaine où ils vont exercer, transmises dans le but de participer à la construction de leur identité profession­nelle. Il s’agit de re-contextualiser les savoirs dans le cadre de l’accueil familial, en s’interro­geant sur leurs finalités pratiques. Dans cette perspective, les connaissances sur l’accueil fami­lial et les processus qui y sont à l’œuvre devraient être au cœur des savoirs à transmettre, ce qui participerait à favoriser les demandes d’accompagnement des accueillants.

Le développement de l’être professionnel constituait le deuxième axe. Nous avons vu précé­demment que ce développement passe par une compréhension du fonctionnement de soi au tra­vail. et en ce sens, l’appropriation d’outils susceptibles d’aider les accueillants à identifier leurs ressources et leurs vulnérabilités en situation professionnelle serait une bonne indication.

Le troisième axe se situe autour de l’acquisition d’une démarche éthique dans la relation aux accueillis et à leurs familles. Il y a là un défi pour les formateurs d’accueillants familiaux. En effet, cette démarche méthodologique n’est pas assurée pour tous les autres professionnels du champ médico-social. De quoi s’agit-il ? Simplement de donner aux accueillants familiaux le goût d’une pratique réflexive, de montrer l’intérêt de s’interroger sur le sens de ce que l’on met en œuvre dans la relation. La méthode est celle de l’analyse de la pratique professionnelle, par l’expérience de son élaboration orale (groupe) et/ou écrite (journal de bord), la confrontation de sa pratique à celle de ses pairs ou à celle d’autres professionnels. Il s’agit de professionnaliser la pratique d’accueil par sa mise en forme, sa mise en parole, de théoriser sa pratique.

Dans un idéal, peut-être pas si lointain, on pourrait espérer que familles d’accueil et profes­sionnels de l’accompagnement de l’accueil familial prennent le risque de l’analyse conjointe de leurs pratiques dans des dispositifs de co-formation que j’appelais déjà de mes vœux il y aura bientôt dix ans.

La clarification des places et la définition des fonctions de chacun par rapport à l’accueilli et au projet d’accueil s’en trouveraient grandement facilitées, et une meilleure reconnaissance mutuelle limiterait les suspicions, les doutes et les disqualifications qui existent parfois en accueil familial, ouvrant la porte à un réel accompagnement sans lequel, il n’est pas vraiment raisonnable de parler d’accueil familial.