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La formation en accueil familial, déplacements de savoirs - savoirs partagés

Jean-Claude CÉBULA, psychologue clinicien, IFREP, Paris

La formation des accueillants est une réalité. Même si elle revêt des aspects très contrastés, elle confirme les besoins qu’éprouvent les accueillants sans confirmer les craintes : à savoir que la formation déformerait la nature de leur travail d’accueil.

Ouvrant l’intimité familiale, la formation apporte aux accueillants la connaissance de la place et du rôle qu’ils jouent au côté d’autres professionnels dans les prises en charge. Connaissance qui engage une réflexion sur les dispositifs d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). et suppose que les autres intervenants partagent ces savoirs. A ce titre, la formation des familles d’accueil invite à penser à la formation des autres professionnels de l’accueil familial.

1. La formation des accueillants : réalité et diversité

Les assistantes maternelles, pour pouvoir conserver leur agrément, doivent suivre un programme de formation dont le contenu et la durée (120 heures) sont définis. La formation des accueillants d’adultes (sans précision de durée ou de programme) est obligatoire dès lors que l’agrément est attribué. Ces obligations sont largement respectées. Les assistantes maternelles sont formées dans le cadre prévu par les textes, et de plus ont accès à la formation continue ; des sessions de formation pour les accueillants d’adultes ont été proposées dans de très nombreux départements ou établissements hospitaliers.

Bien que réelle, la formation prend cependant des aspects contrastés quant à son organisation ou à son déroulement. Les thèmes des formations, alors même qu’ils sont définis, sont abordés sous des angles différents, et les méthodes utilisées peuvent renforcer l’inadaptation des contenus aux attentes ou au travail des accueillants.

De même, la formation obéit à des logiques divergentes selon qu’elle est confiée à des personnels appartenant à la même institution que les accueillants (il s’agit alors d’une sorte de formation maison), ou qu’elle est conduite par des organismes prestataires auxquels l’employeur a fait appel. De plus, la qualité des intervenants, selon qu’ils ont eu une pratique en accueil familial, ou qu’ils restent des spécialistes de la formation ou de thèmes à aborder, n’ayant donc pas de connaissance spécifique de l’accueil familial, colore de nuances diverses l’approche des sujets à traiter. Diversité renforcée par le choix d’un formateur qui accompagne de manière permanente l’évolution du travail ou au contraire de formateurs intervenants les uns après les autres.

Les disparités méthodologiques portent également sur la répartition des heures de formation : soit elles sont échelonnées à raison d’une journée par mois par exemple, soit elles sont groupés en plusieurs journées successives. Démarche renforcée par la place donnée à la formation selon qu’elle est dispensé avant l’exercice de l’activité d’accueil ou en cours d’activité.

Ainsi, l’organisation générale de la formation, même lorsque programme ou durée sont précisés, est pensée si différemment qu’il est parfois difficile de trouver une unité dans les actions entreprises. Par exemple, un employeur dispense la formation avant la mise au travail en concentrant les journées sur une durée très limitée et faisant assurer la formation par des personnels du service, alors qu’un autre assure une formation en cours d’emploi étalée sur plusieurs mois avec des intervenants extérieurs.

La formation des accueillants obéit à plusieurs logiques. Sa spécificité répond en miroir à celles de l’activité d’accueil et du statut donné aux accueillants. De plus, telle qu’elle est prévue, elle ne constitue pas une condition primordiale pour accéder à l’activité d’accueil puisque celle-ci dépend essentiellement de l’agrément. Elle n’est pas diplômante et ne permet pas, par équivalence, d’accéder à d’autres métiers du champ social ou médico-social. Enfin, son statut reste encore vague entre formation initiale et formation continue, sauf pour la formation des assistantes maternelles.

Essentiellement, la formation contribue à définir le nouveau métier qu’exercent les familles d’accueil. Contribution réelle pour les assistants et assistantes maternelles, et certes plus difficilement appréhendable pour les accueillants d’adultes dont ni la professionnalisation (le statut), ni la formation ne sont autant avancées. Néanmoins, l’élan est donné et répond à des bouleversements fondamentaux dans la reconnaissance des besoins et des réalités des accueillis et des accueillants, dans la capacité de penser l’outil familial et ses limites, et dans la compréhension des dispositifs d’accueil familial dans lesquels se situe le travail des familles d’accueil.

2. La formation est une réalité qui a ouvert l’espace familial et a permis de l’élaborer comme outil de travail

Ce faisant, elle a le plus souvent évité les risques qui sont parfois évoqués :

  • La formation déformerait le naturel et la naïveté perçus comme des valeurs sûres.

Or, la formation, lorsqu’elle s’intéresse au travail d’accueil, n’a pas pour but de le déformer et de le morceler en spécialisant ces composantes que seraient le gardiennage, l’élevage, l’éducation, le "nourrissage" ou le soin. Au contraire, elle s’appuie sur la vie familiale et ses différentes manifestations afin de les élaborer pour répondre aux besoins d’un accueilli qu’une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! et le dispositif avec lequel elle travaille doivent apprendre à satisfaire.

  • La formation permettrait de se dispenser des intervenants

L’autre crainte éveillée par la formation des accueillants est que ceux-ci pourraient, une fois formés, prendre en charge la plupart ou la totalité des évènements liés à l’accueil et à l’accueilli. C’est-à-dire qu’une famille formée permettrait de se passer des interventions coûteuses de travailleurs sociaux.

Contrairement à l’espoir de certains gestionnaires, l’expérience le montre, la formation amène les accueillants à solliciter davantage les services et les équipes. La formation a aidé à penser les limites des interventions, la place et les fonctions de chacun, ainsi que la complexité des processus et des situations qui obligent à travailler en équipe

Ainsi, la formation, en définissant le travail des familles d’accueil, a permis de comprendre combien l’espace et la fonction des familles d’accueil est en relation avec d’autres espaces et d’autres fonctions : espace et fonction des parents qui exercent maladroitement leurs droits ou leurs devoirs, espace et fonction des institutions qui exercent des missions et des responsabilités auxquelles les familles d’accueil participent.

De même, ont pu être élaborés les processus de l’appropriation qui dépendent largement des besoins des accueillis, et notamment de celui d’appartenir à une famille ou une communauté dans laquelle on est reconnu.

De plus, la formation autorise la mise à distance de la culpabilité que chacun éprouve, ou de la fatigue, voire de sentiments étrangement étrangers qui amènent à rencontrer des pans inconscients de soi-même. En cela, elle a permis de comprendre que, sur cette scène familiale, les accueillis, enfants ou adultes, reproduisent, répètent des attitudes qui appartiennent à d’autres scènes, mais obligent chacun à jouer des rôles pour lesquels il n’est pas toujours préparé...

3. La professionnalisation de l’espace familial : partage et déplacement de savoirs

Espace d’ouverture et de création, la formation est également devenue un espace d’échange, de sensibilisation et d’élaboration d’une pratique professionnelle par les accueillants eux-mêmes, notamment par une meilleure connaissance des autres, une meilleure connaissance des capacités de chacun, une meilleure connaissance des limites.

Ces améliorations, signes de déplacements de savoirs, de compétences, de connaissances, se traduisent donc par un renforcement de la professionnalisation des accueillants.

Cette professionnalisation a au moins deux conséquences.

  • Elle contribue à la création d’un nouveau métier qui trouve sa place dans l’éventail des métiers du ”social”. Dès lors, ces nouveaux professionnels doivent être reconnus quant à leurs compétences et à leur connaissance du travail d’accueil, ce qui suppose, par exemple, de les interpeller lors des décisions à prendre pour les accueillis en termes de projets, d’évaluation ou de perspective d’accueil. La formation permet donc de réaliser un certain partage des savoirs.
  • Mais plus profondément, la formation et la professionnalisation ouvrent sur l’acquisition d’un savoir spécifique à propos d’un objet, l’accueil familial. En ce sens, il s’agit d’un déplacement de savoirs : ce sont les familles d’accueil qui s’avèrent aujourd’hui les mieux formées quant à l’identification des processus et de la complexité de l’accueil familial. Formées, les familles d’accueil demandent aux autres professionnels, notamment à ceux chargés du suivi ou de l’accompagnement, de partager ces acquis. Ceux-ci ne peuvent rester des ”suiveurs” plus ou moins distraits ou des contrôleurs plus ou moins tatillons, mais doivent répondre aux savoirs des familles d’accueil, c’est-à-dire à des niveaux d’interpellation peu connus.

Certes, ils sont détenteurs de connaissances sur les besoins des enfants ou des adultes ; leur formation professionnelle les a préparés à assurer leur mission mais celle-ci ne les a pas préparés, comme les familles d’accueil, a aborder les rivages de l’accueil familial. Souvent, ils restent cantonnés dans des attitudes contre-productives, reproduisant des comportements peu adaptés ou emmêlés dans des conflits de compétence ou de pouvoir : qui sait le mieux pour un accueilli ? Qui décide ?

Le savoir sur l’accueil familial, ses processus et sa complexité, doit être mis au travail avec les autres professionnels qui vont devoir répondre à des accueillants mieux informés qu’eux. Il ne s’agit pas d’ajouter le savoir des familles d’accueil aux savoirs des autres professionnels, mais de partager les connaissances et les compétences avec les différents acteurs de l’accueil familial. En ce sens, les familles d’accueil interpellent les intervenants afin qu’ils répondent, qu’ils construisent avec elles les questions qu’elles tentent de démêler, telles celles de l’attachement, du "papa-maman", que de simples formules ne permettent pas de résoudre.

En fait, les intervenants doivent apprendre à répondre à de nouvelles sollicitations, à travailler en concertation, et ce à partir d’un savoir des familles d’accueil, construit à partir de leur "être avec", de leur "vivre avec" et de ses limites qu’elles ont patiemment élaborés, notamment lors des formations. Non seulement les professionnels ont à partager ces connaissances, mais ils ont également à rencontrer leur "être professionnel" pour parvenir à ce niveau d’interrogation et de construction. Peuvent-ils offrir ainsi leur savoir-être, et se débarrasser de quelques oripeaux de "l’être sachant" ?...