[...] L’AFT
AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
n’est plus aujourd’hui une solution à vie pour un patient. Cette orientation thérapeutique se travaille longuement dans le pavillon de soins... ainsi qu’auprès de sa famille naturelle. Il faut parfois plusieurs années d’efforts compétents pour qu’une personne gravement perturbée, ayant de longue date perdu la notion d’une vie extrahospitalière, puisse comprendre ce qu’on lui propose... et donner son accord.
Avoir à se représenter la suite de l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). peut réveiller des craintes chez le patient... ainsi que chez certains soignants. Ces derniers peuvent, en effet être rodés aux manifestations psychotiques et pulsions autodestructrices du patient, dès que l’on se mêle de vouloir bouger sa situation.
Pour l’équipe d’AFT recevant la proposition d’un patient sur une liste d’attente, commence alors un travail de lien où s’instaurent confiance, prise de risque et mise à l’épreuve. Repérer les liens transférentiels, les faire respecter, trouver les bons interlocuteurs... nous paraît aussi nécessaire que la confirmation d’un diagnostic.
Mis à part les contre-indications de la trilogie drogue, alcool, suicide, y a-t-il un patient type pour l’AFT ? L’expérience montre que les indications peuvent varier avec les médecins prescripteurs et leur connaissance du dispositif AFT. La représentation que chacun se fait des vertus du système familial peut aussi peser dans l’indication.
Il nous est souvent présenté des "patients psychotiques stabilisés", quelquefois à un âge qui permettrait l’entrée en maison de retraite. L’objectif serait de l’y préparer. On observe qu’il ne nous est jamais proposé de patient pervers ou psychopathe.
La désignation des patients nous paraît plutôt impliquer une réflexion sur la nature de l’accueil, sa durée, les objectifs envisagés, les moyens thérapeutiques à mettre en œuvre... et à quel moment. Par ailleurs, une part est toujours faite à l’inconnu, au mystère d’une rencontre.
L’expérience d’un moment dynamisant
Une situation formatrice
Mademoiselle A a été confiée à l’hôpital psychiatrique à l’âge de quitter l’institution pour enfants psychotiques. Lorsqu’elle est confiée à notre AFT, en région parisienne, elle avait connu quatorze familles en province !
Qu’elle vive depuis cinq ans dans une de nos familles d’accueil est ressenti comme un miracle. Elle est méconnaissable. "Beaucoup d’amour" de la part de l’assistante, soucieuse de tout faire comme pour elle, l’a transformée en un double : même corpulence, même sourire, même vêture.
L’idylle se gâte lorsque, après des vacances en groupe hors de la famille, Mademoiselle A n’aura plus peur de s’opposer. Le jour où le refus émergera, le pouvoir insidieux de tout cet amour prendra le ton de la répression. La "tranquillité de l’équipe" avait probablement émoussé la vigilance à la parole du sujet patient.
En mettant son veto explicite à la poursuite de l’AFT, le cadre infirmier protégera l’assistante familiale de son engagement "à vie" ("à la mort") dans cette relation... et la patiente regagnera son service pour y retrouver une vie collective.
Mais ce ne sera plus celle d’une ex enfant psychotique ni celle d’une poupée obéissante, mais celle d’une jeune femme qui a trouvé des repères soignants, une image d’elle-même plus stable. Elle gardera de bons souvenirs d’une vie familiale animée, ne se substituant pourtant jamais à sa famille naturelle, dont elle souffre d’être restée sans nouvelle. [...]
Trois cas de "réanimation" exemplaires
Il s’agit de personnes dont les troubles neurologiques sont spécifiques de traumatismes crâniens à répétition ou d’un apparent syndrome de Korsakoff invalidant. Les séquelles sont de gros troubles de mémoire des difficultés d’expression, la perte de capacité d’orientation spatio-temporelle. Les antécédents alcooliques ou toxicomaniaques sont connus. Une problématique abandonnique ou des carences affectives archaïques sont probables.
Les familles d’accueil sont très différentes, mais toutes trois très attentives à entourer et stimuler. Elles font preuve d’initiative, de vigilance et, parfois, de fermeté. Le va-et-vient d’enfants, d’amis renvoie aux patients une dynamique de vie dont ils ne sont pas le centre, mais où ils sont conviés à trouver une place.
Ces trois patients nous ont étonnés. Les familles aussi...
Dépassement d’un important apragmatisme (et aboulie) :
L’assistante familiale, Madame X, n’arrive pas à se faire aider par Monsieur B, délibérément passif. Pourtant, celui-ci va se précipiter, avec une efficacité remarquable, vers le centre d’aide par le travail où elle lui a fait, contre toute attente, trouver une place.
Il ne parlait plus, il était perdu, accolé aux murs du service. Voilà qu’il circule en train, qu’il travaille chaque jour, qu’il part en vacances qu’il retrouve sa propre famille, qu’il va seul à l’hôtel. Toute perspective d’aller plus loin dans une vie d’homme n’a pas été abandonnée.
Retrouver des capacités mnésiques :
Madame D ne mémorise plus les faits récents. Après quelques années en AFT, elle mène une vie plus active, part régulièrement seule dans sa famille naturelle où l’on apprécie son implication et ses ressources, va en vacances, participe à des groupes, se rendant deux fois par semaine seule, à Paris...
Une famille qui va plus vite que les équipes :
Pendant deux ans d’hospitalisation, Monsieur A se montre incapable de retrouver son pavillon quand il en sort. Après quelques mois d’AFT, l’assistante familiale lui propose, alors qu’il n’a pu s’intégrer dans deux CAT, de l’accompagner dans une association humanitaire. Voilà notre patient, intellectuel et artiste plutôt passif et désorienté, obligé de suivre, des semaines d’affilée, dans un cadre non protégé, un rythme de remise de paquets destinés à des plus malheureux que lui.
De telles reconnaissances participent à la réalisation du processus thérapeutique et ce patient fait aujourd’hui plusieurs changements de train pour rejoindre un nouveau CAT et se prépare à mieux appréhender sa place dans la société.
D’autres cas nous permettent de rappeler l’énorme effort de patients psychotiques, parfois délirants, pour maintenir la "stabilisation" qui leur a permis une intégration dans une vie sociale autre qu’hospitalière. Il n’est pas trop de plusieurs équipes de professionnels pour entendre cet effort, parfois cette souffrance, pour ralentir les exigences d’une famille enthousiaste de ses résultats, pour ménager des temps de repos, pour soulager les tensions psychotiques. [...]
Conclusions
Nous observons qu’il est possible à certains patients, même psychotiques chroniques, d’exprimer leurs ressources personnelles lorsqu’ils se trouvent dans un cadre de vie qui les sécurise, lorsque les liens auxquels ils tiennent sont respectés, lorsque leurs tentatives d’aller vers le monde sont accompagnées, le temps qu’il faut... et lorsque, par ailleurs, peuvent se travailler, dans une relation thérapeutique singulière, les blessures archaïques, parfois réactivées par cet AFT.
Ce système vivant évolue avec le projet, il augmente son ouverture, permettant au patient de nouer d’autres liens, au rythme qui est le sien. L’AFT satisfaisant risque cependant de se pérenniser. C’est dans l’espace de l’"après accueil" que l’effort des équipes pour repérer les liens nécessaires, afin de les conserver ou les remplacer, montre tout son intérêt. Il faut alors faire entendre avec prudence que l’AFT n’est pas un accueil social, que la vie hors de cette famille peut être le lieu privilégié du projet initial : une vie encore plus autonome.
Pour conclure sur cette structure alternative à l’hospitalisation, laissons la parole à madame le docteur Wetsch-Benqué : "Quand il n’y a plus d’interactions, la vie se déroule immuable, hier et demain se confondent [...], comme une éternité toute plate, déprimante et morbide. C’est dire qu’interagir, c’est travailler à rester vivant... Nous devons tout mettre en œuvre, à tous les niveaux, pour que l’accueil en familles de personnes atteintes de troubles mentaux garde son tonus, reste dynamique et porteur de potentialités positives."
Pourquoi accueillir un patient psychiatrique ?
Il est rare que le risque et les enjeux de l’implication soient ignorés. Des expériences similaires de soins peuvent avoir été antérieurement assumées, sans contrepartie financière : l’accompagnement d’un parent en fin de vie, l’accueil d’un cousin psychiquement malade, l’aide au voisin épileptique, parfois le soutien d’un allié alcoolique...
Les ressources mises en œuvre par de telles familles (capacité de verbaliser, de demander de l’aide, habitudes de solidarité, etc.) peuvent nous apparaître préférables à des dispositions "reéducatives" ou de "tout amour salvateur", de certaines familles "sans problème".
En revanche, l’ignorance de deuils non faits les séquelles de traumatismes enkystés... peuvent donner une fonction trop conflictuelle à ce travail.