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Dymphe : le rôle des légendes, mythes et contes comme cadre d’intégration

Daniel GORANS,
pédo-psychiatre,
S.H.I.P. - Hôpital St Jacques - Nantes

Ce texte a été exposé à Geel (Belgique) en mai 2000 lors du congrès international organisé pour fêter sept siècles d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique dans cette ville. Ste Dymphne y a été enterrée au VIème siècle, et sur sa tombe auraient eu lieu des guérisons miraculeuses. Geel étant evenu lieu de pélerinage, il fallut organiser l’accueil des pélerins atteints de difficultés psychiques. Ainsi naquit, il y a sept siècles, l’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
.


L’histoire de Dymphne est à ce point universelle qu’elle se retrouve rapportée par de nombreux conteurs à travers l’Europe, sous des formes variées, probablement transformées au fil des voyages, des contextes dans lesquels le récit était narré, des talents de chaque conteur.

Dymphne est présentée comme une pieuse et belle jeune fille irlandaise dont le père, un roi, était païen et la mère catholique. Le décès de la mère a provoqué un deuil pathologique chez le père. Pour guérir, selon ses conseillers, le roi devait se remarier. Très amoureux de sa défun- te épouse, il ne put consentir à la remplacer par quelqu’une ne lui ressemblant pas assez. Il vou- lut donc épouser sa fille qui échappa à l’inceste, mais pas à l’infanticide. Sanctifiée, elle est invoquée pour guérir les maladies psychiatriques, plus précisément la schi- zophrénie, et pour les problèmes d’inceste1. Elle est présentée par les écrits religieux comme vierge et martyre, victime d’un père lubrique, inspiré par le diable ou la maladie mentale.

Les premières traces imprimées de contes ou légendes analogues sont retrouvées environ un siècle après l’invention de l’imprimerie, en 1552, dans “ Les nuits ” de Scaparole en Italie et dans “ Les contes d’Eutrapel ” de Noël du Fail à la fin du XVIème sicèle (conte du Cuir d’Asnette), puis à nouveau en Italie dans le Pentamerone de Basile en 1634, et en France men- tionné par Oudin (Cuir d’Asnon).

Mais nous connaissons surtout en France l’histoire de Peau d’âne, parue en 1694 dans les contes de Perraut, et en Allemagne celle de Peau mille bête des frères Grimm parue au début du XIXème siècle. Ces derniers ont publié un peu plus tard (1826) un recueil de contes irlan- dais. Il n’est pas impossible d’imaginer que, dans le matériel qu’ils ont rassemblé pour ce recueil, ils aient consulté les textes collectés par les moines irlandais au VIIIème siècle2. Ces textes pourraient évoquer l’histoire de Dymphne, mais cela reste à vérifier. Le Peau mille bête des frères Grimm commence comme Peau d’âne et finit comme Cendrillon.

Peau d’âne semble être une version arrangée de l’histoire de Dymphne. Le père de deux jeunes filles est un roi païen dont la femme meurt et dont le deuil déclenche la proposition incestueu- se. La composante diabolique et lubrique du personnage royal, nommée ouvertement dans les récits de la vie de Dymphne, est symbolisée par l’âne dans Peau d’âne, source ambiguë de la richesse et du pouvoir royal. En effet, cet animal mythique est souvent attaché aux symboles de lubricité et de suppôt du diable3. Une autre transformation concerne le remplacement du confesseur Gerebernus par la fée-marraine de Peau d’âne.

Le conte propose une issue plus heureuse : Dymphne-Peau d’âne obtient de son père qu’il sacrifie l’âne symbole du “ côté obscur de sa force ”, puis se réfugie dans une ferme (dont les occupants symbolisent une communauté thérapeutique analogue à celle qui s’est constituée à Geel) où elle vit une véritable épreuve d’expiation-intégration en contribuant aux travaux les plus élémentaires de cette communauté, ce qui lui permet à terme de recouvrer son statut social initial, et de ne plus se sentir psychiquement clivée par les conflits de loyauté et des mouve- ments pulsionnels schizophrénisants.

Le passage par la ferme d’accueil lui permet donc accéder à la guérison et à l’intégration.

Merci beaucoup Dymphne-Peau d’âne ! Combien de guérisons te devons-nous ? Merci de m’avoir donné l’occasion de venir en pèlerinage à Geel dans l’attente d’un miracle de plus, celui de me guérir du désir de savoir pourquoi et comment l’accueil familial a des ver- tus thérapeutiques.

Depuis vingt ans, je propose que des enfants ayant des troubles psychiques, souvent associés à des climats où inceste et infanticide sont partie intégrante de la vie psychique familiale, soient confiés aux soins de familles d’accueil qui n’ont apparemment d’autre vertu que d’être des familles au sens le plus traditionnel du terme.

Je suis bien obligé de constater que l’extrême majorité d’entre eux va mieux, souvent après trois ou quatre ans d’accueil. Non seulement l’amélioration touche la vie psychique, mais elle concerne aussi l’autonomie sociale et affective, et c’est peut-être sur ce terrain que la différen- ce avec des enfants n’ayant pas bénéficié de ce soin est la plus significative.

Plusieurs grilles de lecture des phénomènes observés en accueil familial permettent de formu- ler des hypothèses pour tenter de comprendre ce qui concourt à l’efficacité thérapeutique de cette technique de soin. Les références psychanalytiques, systémiques et ethno-sociales y sont précieuses.

Une autre approche consiste à utiliser la culture comme repère pour alimenter cette réflexion. Il s’agit de la culture en tant que savoir et constituant d’une civilisation. En ce sens, elle a, à priori, un caractère d’universalité auquel chacun peut se référer. Les mythes, légendes et contes y tiennent une place privilégiée : ils sont un vecteur de transmission de savoir, de sagesse, de tradition... comme les familles.

A ce propos, Georges Jean4 rappelle ce qu’en a écrit Mincra Eliade5 : “ Le conte reprend et prolonge “ l’initiation ” au niveau de l’imaginaire et s’il constitue un amusement et une éva- sion, c’est uniquement pour la conscience de l’homme moderne ; dans la psyché profonde, les scénarios initiatiques conservent leur gravité et continuent à transmettre leur message. Sans s’en rendre compte et tout en croyant s’amuser ou s’évader, l’homme des sociétés modernes bénéficie encore de cette initiation imaginaire apportée par les contes ”.

Les mythes, contes et légendes représentent non seulement de véritables mises en scène méta- phoriques de la vie psychique, mais aussi des conflits intra-familiaux. Ils rappellent, entre autre, les dangers des transgressions familiales et sociales, et racontent comment il est possible de surmonter les difficultés qui en résultent.

La mort, l’inceste, la misère, la famine, la maladie ou leur menace deviennent des événements comportant une part de positif en ce qu’ils permettent, en suivant les héros, de voir comment les affronter et parvenir à sortit renforcé en mobilisant de nouvelles compétences.

L’audition ou la lecture d’un conte baigne notre psychisme dans un mélange où sont représen- tés de nombreux aspects des processus et mécanismes à l’œuvre dans l’inconscient : pulsions et interdits, processus primaires en lutte ou en concurrence avec les processus secondaires... Ce bain soumet l’esprit au flux et au reflux alternés, voire simultanés, de pensées magiques, de croyances et de faits et détails ancrés dans la réalité historique.

La construction et le déroulement du récit ont un effet structurant sur la vie psychique comme le développe Pierre Lafforgue6 en écrivant “ le conte merveilleux est une très belle alchimie pour penser les pensées ”. C’est un peu comme s’il s’agissait d’un espace transitionnel au sens de Winicott. La structuration de l’appareil psychique est donc le premier de ses effets favori- sant l’intégration.

Quelles analogies avec l’accueil familial ?

La famille est le substrat où se structure la vie psychique de chacun d’entre nous. Nous y vivons les mêmes dangers que ceux métaphorisés dans les contes, légendes et mythes. Nos propres compétences et celles de notre entourage permettent, la plupart du temps, à cette struc- turation d’être suffisamment harmonieuse pour autoriser, par étapes, l’intégration sociale. Parfois, l’information dont nous disposons ou dont dispose notre famille n’est pas suffisante, et les étapes ou cycles de vie demeurent infranchissables, et cela génère des souffrances, des symptômes, des ruptures subies ou imposées.

L’une des manières d’apporter de nouvelles informations est de recourir à une famille d’ac- cueil, véritable métaphore de la famille dite biologique ou d’origine. L’accueilli y est invité à découvrir d’autres règles, d’autres relations, d’autres affects, surprenants et nouveaux. Cela lui offre un champ d’expériences qui mobilisent, comme dans les contes, de nouvelles compé- tences. Symétriquement, les accueillants vivent un changement radical en intégrant à leur vie quotidienne une personne totalement étrangère à leur vision du monde. Cela mobilise ou créé chez eux aussi de nouvelles compétences intégratives et adaptatives.

Il s’agit dès lors, pour les équipes qui accompagnent l’accueil, de faciliter l’échange d’infor- mations sur les nouvelles possibilités ouvertes par tous ces changements potentiels. Bien enten-du, il ne faut pas occulter l’importance des indispensables allées et venues psychiques ou réelles de l’accueilli dans sa propre famille qui aura, elle-même, la possibilité de changer ses relations avec celui de ses membres déplacé.

Il y a, dans les contes, mythes et légendes comme dans le travail d’accueil familial, une trian- gulation qui favorise la circulation des émotions, affects, représentations liés aux difficultés vécues dans la réalité ou dans l’imaginaire, ou perçues comme potentielles et génératrices de souffrance et d’angoisse.

Le conte est un tiers culturel métaphorique entre soi et les difficultés décrites ci-dessus. La famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! est un tiers entre l’accueilli et sa souffrance, mais aussi entre l’accueilli et sa famille, et entre l’accueilli et la société dans laquelle il aspire à s’intégrer. Le héros du conte surmonte les épreuves en traversant une série de rites initiatiques. L’accueilli, pour rejoindre les accueillants dans leur conte du monde, traverse lui aussi souvent des épreuves assimilables aux rites initiatiques liées aux règles, valeurs et croyances des accueillants.

Tout comme le conteur ou celui qui rapporte mythes et légendes, l’accompagnant de l’accueil témoigne sans juger ni prendre parti, commente les faits tout au long de ce parcours initiatique. En d’autres termes, il fait circuler l’information pour qu’elle conserve sa valeur surprenante, parfois nouvelle, et sollicite le désir de suivre les chemins cachés jusqu’alors vers un mieux être du héros.

En accueil familial comme dans contes, parvenir à vivre ces initiations conduit à l’espoir de fonder une autre famille, la sienne : “ et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ”, ou “ rien n’interdit de penser que je puisse fonder une famille puisque j’ai surmonté les épreuves d’intégration dans une famille qui n’est pas celle de mes origines ”. La famille est à la fois le représentant et le constituant élémentaire de la société, et c’est bien à travers elle que se fran- chissent les étapes de l’intégration. Les contes, mythes et légendes développent un véritable langage analogique d’intégration, non menaçant puisque nous invitant à rejoindre un espace transitionnel où la rêverie est autorisée. Cela facilite les associations et l’évocation de la chaîne des possibles... y compris celle de gué- risons nécessaires à l’intégration sociale.

Merci aux conteurs du monde entier.

1 - Cf " Savoir à quel saint se vouer ", Veissid J. - Plon-Mame éd., 1995

2 - Cf " Petit Poucet deviendra grand ", Lafforgue P. - Mollat ad., 1995

3 - Cf " Dictionnaire des symbôles ", Chevallier J. et Gheerbrant A. - R. Laffont/Jupiter ad., 1993

4 - Cf " Le pouvoir des contes ", Jean G. - Casterman, 1981

5 - Cf " Aspects du mythe ", Eliade M. - Gallimard, 1963

6 - Ibid