Dans le précédent numéro, je vous ai narré l’histoire de Pauline. Cette histoire continue dans notre famille, avec ses jours en rose et ses jours plus gris. Mais, depuis dix années d’accueil, d’autres histoires ont été vécues ou se vivent au quotidien. Chacune est une réponse différente à l’interrogation posée par le comité de rédaction de la revue.
Dans les semaines qui ont suivi l’écriture de l’histoire de Pauline, nous avons rencontré Henriette. Henriette est la maman de Colette, âgée de 43 ans et handicapée depuis sa naissan- ce. Elle est veuve depuis de longues années et sa fille, hormis quelques années passées à l’institut médico-éducatif, est toujours restée auprès d’elle. Colette a, nous dit Henriette, trois ans d’âge mental.
Henriette a refait sa vie. Son compagnon est lui-même père d’un enfant handicapé. Le désir d’Henriette, qui arrive au soir de sa vie, est de souffler un peu, de vivre aussi. Et depuis plu- sieurs mois, Henriette cherche une structure qui veuille bien prendre en charge Colette. Aucune place n’est libre, les listes d’attente sont longues et Henriette a sollicité le service de placement familial. C’est ainsi que nous accueillons Colette depuis maintenant six mois. De véritables relations d’amitié se sont nouées entre Henriette et nous.
Ici, l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). joue pleinement son rôle qui est de permettre à des personnes déficientes de continuer à vivre en famille. Il répond aussi à la nécessité qu’ont des parents vieillissants de trouver une solution à un problème souvent fort difficile, compte tenu de la rareté des places en institution.
L’histoire qui suit s’est déroulée au tout début de notre travail de famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! . Il m’a été longtemps difficile d’en parler, parce que cet accueil s’est terminé par le décès de la personne accueillie et que rien ne laissait entrevoir une telle issue car Marie était jeune.
Nous avons accueilli Marie après de longues années, d’abandon en abandon. Sa maman est morte très jeune et Marie l’a peu connue. La débilité de Marie a amené son père à la confier à une voisine. Puis, au décès de son père, Marie a été confiée à un “ hospice ”…
Les tendances “suicidaires” de Marie l’ont conduite à l’hôpital psychiatrique pendant un nombre d’années que j’ignore. Mais ce n’est pas là l’important. L’équipe qui me la confie me dit que Marie a environ cinq ans d’âge mental. Au quotidien, nous allons découvrir que Marie a également des réactions d’adulte. L’accueil va durer neuf mois. Et Marie, deux jours après Noël, est partie rejoindre les anges. Entre temps, nous avions renoué des liens avec sa sœur.
Elles ne se sont jamais revues, mais le dernier Noël de Marie l’a vue comblée de cadeaux adressés par Justine, sa sœur. Et puis, ce fut fini. Nous avons préparé avec le prêtre une belle cérémonie et par un petit matin plein de givre, nous avons, sa famille, quelques proches et des membres de l’équipe, accompagné Marie vers le petit cimetière où elle repose.
Dans les mois qui ont suivi, nous nous sommes interrogés sur la brièveté de cet accueil. Marie avait fait peu de progrès au cours de son bref passage dans notre famille. Ne l’avions-nous accompagnée au cours de ces quelques mois que vers sa mort ? La question reste posée.
Au cours de ces dix années d’accueil, nous avons été amenés à rompre des contrats, et de ce fait à nous demander : pourquoi avoir commencé ? Derrière cet échec apparent, du positif ne se cachait-il pas aussi ?
L’accueil d’un traumatisé crânien nous a conduits à nous poser de nombreuses questions. Nous avons accueilli Lionel pendant six mois. Et nous avons rompu le contrat, car nous avons pensé que l’accueil familial n’était pas le type d’accueil qui pouvait lui permettre d’être “ bien ”. Les désirs de vie de Lionel avaient été peu pris en compte et Lionel s’accrochait à ses envies de toutes ses forces, rendant par ce fait l’accueil difficile.
Je ne relaterai pas cet accueil par le menu, ni les difficultés qui l’ont accompagné, mais il me semble que, bien souvent, ce ne sont pas les bonnes questions qui sont posées. J’ai pu consta- ter que, en ce qui concerne l’accueil de certains résidents capables d’exprimer leurs désirs, ces derniers sont souvent peu pris en compte.
La famille d’accueil n’est pas la panacée universelle pour permettre à une personne déficiente de “ vivre mieux ”. L’accueil en famille doit pouvoir être “ choisi ” par la personne accueillie quand elle peut exprimer raisonnablement ses envies et ses choix.
Le choix d’une vie en famille ne doit pas être dicté par des soucis de confort ou de sécurité par ceux qui induisent ce placement. Il y a toujours des risques à entreprendre. Il est nécessaire de savoir qu’il y a aussi de nombreux risques pour la famille accueillante.
Ces “ dangers ” sont malheureusement peu pris en compte dans de nombreux placements, car la plupart se font dans l’urgence d’une sortie d’hôpital. Nous avons été confrontés il y a quelques mois au “ forcing ” tant de la famille naturelle que du psychiatre qui souhaitaient un placement dans notre famille.
Il nous a été demander d’accueillir sans même avoir pu rencontrer la personne. Nous avons dit NON. Nous n’avons pas été compris. Mais nous pensons toujours : “ pourquoi tant de hâte ” ?
Je souhaite avoir apporté un peu d’eau au moulin de la réflexion sur le brûlant sujet de l’accueil familial et sur les motivations qui amènent à l’envisager. Mais serais-je la seule accueillante d’adultes à avoir des choses à dire ?
A vos plumes, chères consœurs et chers confrères.