Il faut bien voir que dans cette préoccupation interviennent une grande quantité de facteurs, très souvent irrationnels, qui font que le problème est souvent très mal posé alors qu’il n’est pas négligeable. Il en résulte que souvent l’on s’inquiète de ce qui est sans danger alors qu’on laisse parfois traîner des situations urgentes.
La diarrhée est facilement signalée par les soignants. La raison est facile à comprendre : le malade qui a une diarrhée doit être lavé, changé, il donne du travail.
Par contre la constipation est plus facilement oubliée. Ceci est dû au fait qu’elle gêne moins le soignant mais il ne faut pas oublier une autre raison : il est facile d’observer la présence d’un événement, il est beaucoup plus difficile d’observer son absence (quand je vois une chose, je sais qu’elle existe ; quand je ne la vois pas, je dois me dire que peut-être j’ai mal regardé ). Il faut donc se poser la question systématiquement.
Enfin il faut garder à l’esprit que la constipation peut toujours se compliquer d’un fécalome, accumulation de selles plus ou moins durcies, et qui peut compromettre l’état de santé du patient.
LA DIARRHÉE
La diarrhée inquiète toujours beaucoup. Cette inquiétude est largement culturelle, liée sans doute aux épidémies de choléra qui sévissaient en France jusqu’à la fin de la guerre de 1870 (NB : contrairement à ce qu’on croit, la typhoïde donne moins de diarrhées ).
Il faudrait également étudier tout ce qui, dans la prise en charge des personnes âgées, revient au fait que les intervenants à domicile sont souvent des femmes jeunes, dont la référence est l’enfant, et plus particulièrement le leur. Et la diarrhée du nourrisson a, de manière relativement exagérée d’ailleurs, une assez mauvaise réputation.
Définition :
La diarrhée se définit par l’augmentation de volume des selles. Elle ne se juge pas sur la consistance ou sur l’aspect. On ne parle de diarrhée qu’en fonction du nombre de selles.
En pratique la diarrhée est « l’émission trop fréquente de selles trop liquides ».
On doit distinguer :
- La diarrhée aiguë, correspondant en général à une gastro-entérite virale. Elle est épidémique et de courte durée (2 jours).
- La diarrhée chronique, pour laquelle des examens compliqués sont nécessaires. Elle se définit par une durée supérieure à 15 jours. La diarrhée chronique est très rare, elle doit toujours être signalée au médecin.
- La fausse diarrhée sur fécalome, qui est en pratique la situation la plus courante.
Stratégie devant une diarrhée :
S’agit-il d’une diarrhée ?
Il faut d’abord compter le nombre de selles : il n’y a pas de diarrhée à moins de trois selles dans la journée. Ce point est difficile à négocier avec la personne âgée, qui est souvent très inquiète, alors qu’il vaudrait mieux faire preuve de patience.
Mais il faut aussi se renseigner sur le transit dans les semaines qui ont précédé, à la recherche d’un épisode de constipation : la hantise est de méconnaître un fécalome, comme on le verra plus bas.
On se renseigne également sur les médicaments pris. Un grand nombre de médicaments peuvent être mis en cause, mais cela est du ressort des professionnels de santé. Par contre l’aide à domicile a un rôle essentiel dans la détection des laxatifs méconnus. Le ridicule en effet serait l’association laxatifs-antidiarrhéiques. Or les personnes âgées utilisent souvent des laxatifs, en méconnaissant fréquemment leur dangerosité. On détaillera cette question plus loin, mais disons dès à présent que les laxatifs les plus puissants sont les laxatifs irritants ; or les laxatifs végétaux agissent presque tous par irritation : les laxatifs à base de plantes sont les plus toxiques, et les pruneaux sont toxiques dans la mesure où ils sont efficaces et efficaces dans la mesure où ils sont toxiques.
Une des principales causes de diarrhée aiguë est l’infection urinaire. Les signes de pathologie urinaire sont des signes digestifs.
Y a-t-il des signes associés ?
Toute diarrhée doit toujours faire poser les mêmes questions.
- Est-ce une diarrhée isolée ? s’il y a d’autres signes digestifs (vomissements, douleurs, sang) il peut s’agir d’une situation plus grave, et le diagnostic médical devient urgent. De même s’il y a de la fièvre : une diarrhée fébrile conduit à de multiples diagnostics, tous urgents eux aussi, même si en pratique le plus fréquent restera la gastro-entérite virale bénigne ; mais ce sera le cas aussi de l’infection urinaire.
- Est-ce un fécalome ? Cela doit être l’obsession.
- Quelle est la tolérance ? il faudra évaluer le risque de déshydratation, ce qui se fait très simplement en pesant la personne : toute perte d’eau se traduira par une perte rapide de poids, et toute perte rapide de poids est une perte d’eau. Il faudra aussi évaluer l’incidence sur le confort : douleurs, troubles cutanés, etc.
- Même si on doit relativiser la gravité de l’épisode diarrhéique, il faudra garder à l’esprit que c’est une situation de danger : la personne âgée est inquiète, elle est fatiguée par l’inconfort, la déshydratation, le trouble du sommeil. Dans ces conditions un grand classique est la fracture du col du fémur par chute en allant aux toilettes.
- Par contre il n’est pas très efficace de noter les caractères des selles, car on ne sait pas les interpréter : la couleur, l’odeur, l’existence de glaires, de débris alimentaires, tout cela a certainement une signification mais personne ne sait très bien laquelle. Tout au plus pourra-t-on noter la présence de sang, parfois celle de parasites.
Quelle est la prise en charge ?
Le problème de l’intervenant est de veiller à la sécurité. C’est pourquoi il vaut mieux faire preuve de vigilance. Si on constate une selle anormale, il faut soit la signaler au médecin soit se donner les moyens de vérifier qu’il n’y en a pas d’autre. Par contre si on constate l’installation d’une diarrhée (trois selles molles dans la journée), le signalement devient impératif.
Il faut également se demander si la personne bénéficie du portage des repas : les infections intestinales d’origine alimentaire sont exceptionnelles, mais il faut se donner les moyens de les détecter le plus vite possible. Or le seul moyen est de constater l’existence d’une épidémie, ce qui suppose qu’on centralise l’information. La diarrhée doit donc être signalée au service de portage des repas, ce qui permettra de s’apercevoir qu’il y a plusieurs cas.
L’existence d’une diarrhée peut poser des problèmes au niveau cutané ; ceci est du ressort des professionnels de santé.
La diarrhée peut être traitée par des médicaments spécifiques, qui sont des dérivés de la morphine, ou des poudres qui sont en général à base d’argile. Le point important est que rien ne peut être donné sans décision médicale :
- Soit la diarrhée est bénigne et elle ne nécessite aucun traitement.
- Soit elle ne l’est pas et le recours au médecin est une obligation.
C’est donc une faute grave de donner un traitement pour une diarrhée. C’est le cas en particulier des anti-infectieux intestinaux : 95% des diarrhées infectieuses sont virales, et l’antibiotique est absurde ; les autres sont bactériennes et nécessitent un examen de laboratoire, au moins pour détecter les salmonelloses.
Ce que l’aide à domicile doit surveiller, par contre, c’est l’alimentation. Certaines mesures sont de bon sens :
- Ce n’est pas le moment de faire des repas trop gras, ou trop riches en légumes indigestes.
- Par contre la suppression du lait est rarement utile.
- Or il faut se méfier : avant de supprimer un aliment il faut se demander comment on fera pour le réintroduire, sachant que la personne âgée risque d’en avoir peur, et que les facteurs psychologiques sont très importants dans la tolérance des aliments.
- Le riz, les carottes, sont classiquement proposés. On ne sait pas si c’est efficace, par contre il peut être utile de les proposer car ces mesures font partie de l’univers culturel de la personne.
Par contre il est très important de vérifier que la personne continue de manger au moins un peu, ou que la diète qu’elle s’impose inutilement ne va pas durer plus d’un jour ou deux. D’autre part il faut essayer de maintenir un bon niveau d’hydratation en veillant aux apports hydriques. Les bouillons salés sont largement conseillés ; si la personne âgée l’acceptait, une bonne solution serait le Coca-Cola éventé. En pratique tous les moyens sont bons pour apporter de l’eau.
La règle absolue demeure qu’une diarrhée ne doit pas durer plus de 24 heures sans donner des signes d’amélioration.
LA CONSTIPATION
Définitions :
La constipation est le fait pour un sujet d’avoir des selles trop peu fréquentes. Cette définition serait simple si on était capable de préciser ce qu’on entend par là. Or les choses ne sont pas si simples. Tout ce qu’on peut dire en effet c’est qu’en moyenne les humains ont une selle par jour. Mais la moyenne et la normale ne se confondent pas, et il y a des gens bien portants qui ont une selle tous les deux ou trois jours, et d’autres qui en ont deux par jour. On peut dire que les troubles du transit les plus fréquents sont ceux que se déclenchent des sujets normaux qui veulent absolument avoir une selle par jour alors qu’ils ne sont pas faits pour cela.
Cela dit, les choses se modifient avec l’âge : l’intestin vieillit et devient plus lent, et ceci est aggravé par certains médicaments (antidépresseurs par exemple) ; la baisse de l’activité physique augmente le risque de constipation ; la diminution fréquente des apports en eau (mais aussi les diurétiques) diminue le volume des selles. Il s’ensuit que pour un sujet âgé, il est normal de n’avoir que trois selles par semaine.
On va donc parler de constipation :
- A partir de trois jours sans selles.
- Ou parfois si le sujet se plaint : douleurs et inconforts sont souvent rapportés (mais il ne faut pas toujours y croire).
- Il y a des médicaments qui provoquent une constipation. C’est notamment le cas des morphiniques (morphine, codéine, Di-Antalvic®, Topalgic®), qui induisent presque toujours une constipation.
- Par contre il faut savoir que les selles sont composées en partie des débris de la paroi intestinale qui se renouvelle : un sujet qui ne mange pas doit avoir des selles.
Le risque de la constipation est le fécalome, qui se révèle souvent par une fausse diarrhée (en reviendra sur ce point) :
- Toute diarrhée doit d’abord faire penser à un fécalome.
- Aucune diarrhée ne doit être traitée à moins de 3 selles par 24 heures.
Cependant l’équilibre est difficile à tenir entre la négligence qui risque de conduire au fécalome et l’anxiété qui risque de compromettre un équilibre fragile.
Enfin, toute constipation récente doit faire penser :
- A une infection urinaire, qui donnera aussi bien une diarrhée.
- A un cancer colique : c’est rare, mais il faut se souvenir qu’une personne âgée n’a aucune raison de voir son transit changer.
Stratégie générale de prise en charge :
Le rôle de l’aide à domicile dans la prise en charge de la constipation est très important.
C’est l’aide à domicile qui fera le diagnostic, surtout s’il n’y a pas d’intervention infirmière. Le diagnostic de constipation suppose un chiffrage : moins de 3 selles par semaine.
C’est l’aide à domicile qui fera le bilan alimentaire : apports en fruits et légumes, apports en eau.
C’est l’aide à domicile qui pourra poser la question de l’activité physique.
La constipation est bien prise en charge quand il y a au moins 3 selles par semaine et aucune plainte du malade.
Les laxatifs :
Il y a quatre classes de laxatifs :
1) Les laxatifs à base d’huile de paraffine ou de vaseline. Ils agissent comme lubrifiants. Ils sont donc indiqués en cas de difficultés mécaniques : hémorroïdes, selles très dures... leur inconvénient est de provoquer des suintements gras ; en outre on leur reproche d’absorber certaines vitamines. Ils sont donc un peu passés de mode. Si on veut les utiliser il faut savoir que toutes les formes d’huile se valent, et qu’il faut donc privilégier la moins chère.
2) Les laxatifs osmotiques : ce sont des poudres ou des gels vendus en sachets. Ce sont actuellement les plus utilisés. ils agissent en absorbant de l’eau, ce qui augmente le volume des selles. Ils n’ont guère d’inconvénient, sauf celui d’augmenter la production de gaz.
3) Les laxatifs irritants : ils agissent en créant une irritation de l’intestin ce qui augmente sa motricité et crée un appel d’eau. C’est le cas de presque tous les laxatifs végétaux. Ce mécanisme d’action peut faire souffrir un intestin fragile, et finit toujours par fragiliser un intestin normal ; ils seraient évidemment dangereux en cas d’occlusion. Il ne faut donc pas les utiliser sans une raison précise.
4) Les purgatifs : on ne les utilise pratiquement plus ; ce sont des produits chimiques, généralement du sulfate de soude, qui agissent aussi par irritation. C’est une méthode brutale, qui expose à beaucoup d’inconvénients, notamment la déshydratation.
Les lavements :
Ils ne sont utilisés que pour éviter ou pour traiter un fécalome. Il y a 3 types de lavements :
- Les microlavements :
Ils agissent en créant un réflexe de défécation. Ils supposent donc qu’il y ait des selles perceptibles au toucher rectal. Les microlavements ne peuvent donc en aucun cas traiter un fécalome ; leur utilisation est donc exceptionnelle (par exemple on les emploierait chez le paraplégique). Quand on les utilise, c’est toujours un seul à la fois. D’une manière générale il faut se méfier de ces produits chez le sujet âgé, notamment parce que sa paroi intestinale est fragilisée par des diverticules, ce qui interdit les produits qui agissent par dégagement de gaz ; pour les autres il faut se rappeler que la mécanique de la continence anale est fragile chez la personne âgée : si ces microlavements peuvent être utiles dans le cadre, précisément, d’un programme de rééducation, leur emploi suppose qu’on connaisse bien cette question.
- Les lavements standard :
C’est un lavement de petit volume, qui est composé des mêmes produits que les laxatifs osmotiques. Il est utilisé en routine.
- Le grand lavement évacuateur :
Il est utilisé après échec du précédent et se compose de 2 litres d’eau tiède ; selon les écoles on peut l’additionner des préparations les plus variées, voire folkloriques : huile, sel, lait, lavement standard... En fait le plus probable est que c’est l’eau qui agit...
Les lavements sont utilisés :
- En cas de fécalome.
- En cas d’absence de selles depuis 4 jours.
Le fait d’administrer un lavement à un patient prenant des laxatifs impose de réviser la stratégie laxative.
LE FÉCALOME
Le fécalome est un événement extraordinairement fréquent en gériatrie.
Quand penser à un fécalome ?
Tout trouble digestif doit faire poser quatre questions :
- Médicaments ?
- Infection urinaire ?
- Infarctus ?
- Fécalome ?
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres causes : il y en a, et ce sont les mêmes que chez le sujet jeune. Simplement il y a des pièges, et on n’évite les pièges qu’en y pensant de manière systématique.
On évoquera donc un fécalome devant :
- Une constipation : soit constipation de plus de 4 jours, soit selles très espacées ; dans ce cas il peut y avoir une accumulation progressive de selles, éventuellement sur une longue période. L’hospitalisation est une bonne occasion pour développer un fécalome.
- Une diarrhée : autant la constipation est fréquente, autant la diarrhée est rare. La plus fréquente des diarrhées est la fausse diarrhée : le fécalome irrite la paroi intestinale, et cela déclenche une diarrhée ; mais le sujet a la diarrhée parce qu’il est constipé.
- Des vomissements, en sachant que c’est aussi un signe d’infarctus et d’infection urinaire.
- Une perte d’appétit.
- Une agitation un changement de comportement, chez le dément par exemple), qui ne sait plus dire qu’il ressent un inconfort.
Le rôle de l’aide à domicile est donc un rôle d’alerte. Il ne lui appartiendra pas de faire le diagnostic, ni de prendre les décisions. Par contre c’est elle qui sera le plus souvent mise en éveil avant les autres par une modification, souvent légère, de la situation. Elle ne pourra remplir ce rôle fondamental que si elle sait que le problème existe, et qu’il se traduit par des signes minimes.