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Des Indications... a posteriori ?

Joël PICART, psychologue - Centre Hospitalier de Saint-Égrève (38)

Élaborer un projet d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique est assurément un choix d’une inextricable complexité. Il serait hasardeux de prétendre dresser l’inventaire exhaustif de ses tenants et aboutissants. Par exemple, les tentatives pour envisager la question sous l’angle des indications, en référence à la nosographie psychiatrique, se montrent notoirement insuffisantes.

Certes il est souvent possible de repérer certaines des conditions nécessaires pour réaliser un accueil susceptible d’apporter des bénéfices. Cette évaluation a priori prend en compte de nombreux paramètres qui ne peuvent se limiter aux « caractéristiques » du patient, ni à sa pathologie et ses manifestations, ni à sa personnalité, ni aux traits dominants de son parcours de vie. Ce sont pourtant ces éléments qui constituent, la plupart du temps, l’argumentaire de la demande d’accueil, pour ne pas dire de l’indication.

Beaucoup d’autres aspects sont implicites, indicibles, voire inavouables. Par exemple, une équipe soignante peut légitimement ne plus supporter de voir un patient errer dans les couloirs de l’hôpital. Cela peut constituer une bonne raison pour proposer un accueil familial à condition que les soignants retrouvent, à l’occasion de l’accompagnement du projet, leur dynamisme thérapeutique.

En revanche, si l’objectif est seulement d’éloigner le patient de sa vue, le résultat dépendra à la fois de la tolérance du patient à l’abandon médical et du savoir-faire de la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! . Autre exemple : certains accueils sont pensés tacitement en fonction d’aptitudes et « qualités » réelles ou supposées d’une famille d’accueil, de son cadre de vie... Les effets de cette anticipation positive peuvent se révéler, selon le cas, miraculeux ou désastreux.

Préparer un accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
est un pari. La prévisibilité des effets reste incertaine, même lorsque les conditions de la réussite semblent présentes. Les accueils sur lesquels on miserait en confiance ne sont pas toujours les plus producteurs de changement. À l’inverse, ceux qui paraissent les plus aléatoires peuvent réserver d’heureuses surprises.

À défaut de pouvoir faire des pronostics fiables, il est toutefois possible, très modestement, de tenter d’analyser a posteriori les situations et d’en tirer, d’un point de vue très pragmatique, quelques conclusions, ne serait-ce que provisoires. Généralement, on préfère se pencher sur les exemples gratifiants, de ceux que l’on présente dans les colloques et autour desquels les acteurs se congratulent dans des réunions consensuelles d’évaluation.

Mais les situations qui tournent court présentent aussi leur intérêt. Depuis plusieurs années, les rapports d’activité de l’Unité d’Accueil Familial du centre hospitalier de Saint-Égrève réservent quelques pages aux « ruptures d’accueil », aux « fins prématurées d’accueil » et aux demandes de séjour en famille d’accueil non suivies de réalisation. En fait, nous ne faisons qu’ébaucher des réponses aux questions :

  • pour quelles raisons en arrive-t-on à renoncer à réaliser un accueil au stade du projet ?
  • dans quelle situation est-on amené à arrêter un accueil avant le terme du contrat ?

Les faux départs

Je ne reprendrai ici que les données issues des rapports des trois dernières années d’activité recensée (de 1999 à 2001), soit les 58 candidatures les plus récentes parmi lesquelles 23 n’ont pas abouti à un accueil effectif. J’ai fait l’inventaire des motifs d’abandon de projet retenus et sommairement décrits dans les rapports.

Seule la raison principale de l’arrêt du projet, telle qu’identifiée par l’équipe d’accueil familial thérapeutique, est mentionnée. Elle a pu être déclarée soit par le patient, soit par ses référents soignants, soit par une famille d’accueil pressentie, ou encore par la famille du patient. Parfois, j’ai pu compléter mon information par la lecture des dossiers, notamment des comptes rendus de réunions, permettant d’apporter quelques précisions et d’avancer une hypothèse. Il convient toutefois de rester prudent sur les motifs invoqués et sur leur origine car une grande partie des échanges qui se produisent autour d’un projet d’accueil nous échappent, et c’est bien ainsi ajouterais-je.

  • pour seulement 2 cas sur 23, c’est l’absence de famille d’accueil disponible qui a fait abandonner le projet. Il s’agissait de projets d’accueil d’enfants. Le manque de famille est la cause évidente. De plus, l’attente prolongée d’une famille d’accueil semble poser davantage de problèmes quand il s’agit d’enfants.
  • un autre accueil d’enfant n’a pas abouti du fait du refus des parents.
  • 2 refus sont le fait de patients adultes, en principe candidats. L’un d’eux est sorti de l’hôpital, sans autorisation, dans les toutes premières étapes de la démarche pour aller se faire héberger chez sa mère. Mon commentaire : Parfois l’accueil familial est conçu par les soignants comme un moyen de créer de la distance dans une relation jugée fusionnelle. C’est au moins une illusion, voire une violence psychique, que de chercher à provoquer ainsi des séparations. Le second, au contraire, a pris le temps de s’informer en participant à plusieurs rencontres avant de signifier sa renonciation au projet. La réussite du projet n’est pas toujours dans sa réalisation, mais plutôt dans la capacité d’en changer.
  • dans 9 situations, ce sont les équipes soignantes qui semblent avoir pris l’initiative d’interrompre le processus de recherche de famille d’accueil. Les motifs principaux peuvent se regrouper en deux grandes catégories : 7 fois, un autre projet mené en même temps (ou en concurrence ?) a abouti plus rapidement. Dans tous ces cas, le projet d’accueil familial thérapeutique apparaît soit comme un choix « par défaut » ou de « secours », soit comme un choix d’attente par rapport à l’autre projet, par exemple une admission dans une institution médico-sociale, un accueil familial social, un rapatriement dans le pays d’origine...

Ici, l’AFT s’inscrit dans un projet global, déjà bien élaboré, visant en priorité la sortie de l’hôpital. Les spécificités de l’accueil familial ne sont pas nécessairement recherchées. Mais bon nombre d’accueils qui se réalisent relèvent sûrement d’une telle démarche.

Pour les 2 autres cas, un désaccord existait manifestement au sein de l’équipe soignante quant à la pertinence du projet. La lenteur inhabituelle dans l’avancement du processus témoigne probablement de la difficulté des négociations. En même temps, les patients n’ont pas pu sortir d’une position de passivité, à la fois cause et effet du clivage repéré. Surtout lorsque les patients se montrent peu mobilisables, la conviction partagée chez les soignants de l’intérêt de cette forme de soins est déterminante pour créer une dynamique. Ce qui est vrai de tout projet à visée thérapeutique risque d’être facilement oublié dans l’accueil familial, notamment lorsque l’objectif d’hébergement est dominant. Un des « symptômes » de cette vision est l’utilisation systématique par les demandeurs du terme « placement ».

  • À deux reprises, des familles pressenties par l’équipe de l’Unité d’Accueil Familial ont décliné la proposition, estimant ne pas pouvoir prendre en charge des patients, l’un déficitaire, trop dépendant, polyhandicapé ; l’autre présentant des troubles somatiques nécessitant des soins permanents. Un autre projet a été abandonné par l’équipe soignante, avant même la rencontre avec une famille d’accueil pour des motifs similaires. Les limites à la tolérance des troubles que signalent ces refus concernent essentiellement des situations dans lesquelles les familles d’accueil craignent de devoir modifier trop profondément leur mode de vie, en particulier leur vie sociale.
    Les abandons

Ce titre à forte connotation d’échec ne convient pas vraiment, comme on le verra, pour résumer la diversité des circonstances qui marquent l’arrêt prématuré, c’est-à-dire non programmé, d’un accueil familial. Il est vrai, cependant, que le sentiment qui prévaut dans un premier temps chez tous les acteurs est bien celui d’une défaite. La ré-hospitalisation qui survient généralement est vécue, surtout par les familles d’accueil, comme un retour en arrière inacceptable. Un examen attentif des situations montre surtout l’apparition de crises dans ce qu’elles peuvent avoir d’éprouvant, mais aussi dans l’accès qu’elles permettent à des perspectives nouvelles.

Parmi les 20 situations qualifiées de « ruptures d’accueil » dans les rapports annuels, 5 d’entre elles sont liées à des événements exceptionnels comme la cessation définitive d’activité de deux assistantes familiales (l’une pour départ à la retraite, l’autre à la suite d’un accident sans rapport direct avec les accueils en cours), l’hospitalisation d’un patient pour des troubles somatiques graves, l’incarcération d’une patiente pour des faits antérieurs à son séjour familial. On peut également considérer à part un non-renouvellement de contrat arrivé à terme, dans la mesure où il a fait l’objet d’une décision conjointe de l’ensemble des partenaires. Ce cas est cependant entré dans la catégorie des ruptures d’accueil car cette conclusion s’est effectuée dans un climat de conflit entre la patiente et le couple d’accueillants.

Parmi les autres situations, on peut distinguer assez nettement trois groupes en fonction du moment où l’interruption de l’accueil survient :

  • dans un délai relativement rapide, moins de deux mois, dans 7 cas sur 15 ;
  • plus tardivement, entre 2 et 12 mois, pour 4 accueils ;
  • au-delà de 12 mois dans 4 situations. Il s’agissait donc ici de contrats reconduits auxquels il a été mis fin après 2 à 8 mois.

Ces accueils se sont achevés sur une ré-hospitalisation. Les troubles de la conduite et ou du comportement sont généralement les motifs invoqués, mais de façon significativement différente entre le premier et les deux autres groupes.

En début de séjour, les problèmes décrits relèvent plutôt de la permanence ou de l’aggravation de symptômes déjà bien connus des soignants dans le cadre hospitalier, par exemple : attitude constante de plaintes, retrait, comportements de fugues, de déambulations nocturnes. On peut noter que la présence du patient est vécue d’emblée par la famille d’accueil comme non-gratifiante, perturbatrice des habitudes de vie, en grand décalage par rapport aux attentes.

Du côté de la personne accueillie s’exprime aussi de l’insatisfaction, les assistants familiaux pouvant même être perçus comme persécuteurs par leurs interventions trop directives ou leur sollicitude jugée excessive. En bref, « la lune de miel » qui caractérise souvent le début de la rencontre entre patient et famille ne se produit pas. Au lieu d’essayer de se séduire mutuellement, chacun s’observe avec méfiance et reste sur ses positions.

Lorsque les séjours se prolongent au-delà de quatre à six mois, les difficultés obligeant à mettre un terme à l’accueil semblent se présenter comme des crises s’exprimant soit à travers des passages à l’acte soudains, soit par la ré-émergence de conduites et de comportements prenant connotation de régression. Ces situations montrent qu’un phénomène d’affiliation s’est réalisé entre la famille et la personne accueillie, mais ce lien est devenu problématique à un moment donné. C’est le cas par exemple de cet homme qui établit au fil du temps une relation privilégiée avec le mari de l’assistante familiale, laquelle en conçoit de la jalousie. Ou encore la situation de cette jeune femme qui revit un scénario de son histoire familiale, mais dans laquelle les protagonistes de la famille d’accueil ne jouent pas les rôles attendus.

Dans le troisième groupe, on trouve à la fois les caractères du précédent auxquels s’ajoute souvent l’usure, pourrait-on dire, des accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
. La poursuite du séjour est perçue alors comme n’apportant plus de changement significatif. Des crises ont été surmontées, mais le sentiment qu’un seuil infranchissable est atteint domine. Le contrat a pu être prolongé parce que l’espoir était encore présent mais « le cœur n’y est plus ».

Conclusion

La terminologie médicale qui s’exprime, en matière d’accueil familial de malades mentaux, en termes de prescriptions ou d’indications paraît bien réductrice lorsqu’on essaie de prendre en compte la complexité des phénomènes qui se jouent dans la pratique. Certes quelques points de repères simples sont utiles, mais il semble difficile de se dispenser d’une vision large des contextes si l’on veut tirer le bénéfice optimum de l’accueil familial thérapeutique.