Le terme d’éducation familiale, utilisé dès le 19ème siècle, regroupe dans un premier temps la puériculture et l’économie domestique qui tentent de prévenir la mortalité infantile et d’enseigner aux mères "l’art d’accommoder les bébés". C’est secondairement que les recherches et les interventions s’orienteront vers des programmes de lutte précoce contre l’échec scolaire, d’aide aux parents d’enfants handicapés, d’interventions auprès des familles défavorisées et en difficulté, puis d’aide proposée aux parents "ordinaires" [1].
Selon Paul Durning, spécialiste en sciences de l’éducation, le vocable "éducation familiale" recouvre trois champs différenciés :
- le premier caractérise l’action d’élever et de socialiser un enfant, les pratiques éducatives parentales ou scolaires, mais aussi l’art d’apprendre à être parent, les multiples facettes de ce rôle ;
- le second est celui des intervenants sociaux, de leurs actions en direction des familles au titre de la prévention ou de la suppléance lors des séparations parents-enfants ;
- le troisième est celui de la recherche et de la formation, moins développé en France (seulement depuis les années 1980) qu’aux États-Unis (dès 1970) en raison de sensibilités particulières et de résistances à l’ingérence de l’État au sein de l’univers familial.
Faut-il éduquer les parents, demandait le titre du dernier article paru dans la revue Sciences Humaines de septembre 1996. Pour ce guide, plusieurs autres interrogations se posent volontiers : peut-on éduquer les parents des enfants placés ? Quels sont les risques réels ou fictifs de normalisation sous la contrainte ? Quels sont les effets à long terme des interventions dans les familles ? Enfin, doit-on éduquer ceux qui sont en situation de suppléance parentale, en accueillant un enfant, à savoir les assistantes maternelles ?
Les interventions auprès des parents en difficulté
Dans les situations de défaillance parentale, les interventions des travailleurs sociaux s’organisent selon un crescendo relativement classique. Dans un premier temps, et sans évoquer les diverses aides financières, le maintien de l’enfant à domicile s’accompagne d’actions venant logiquement compléter l’action éducative des parents, comme l’inscription en crèche, en halte-garderie... L’apport de stimulations bénéfiques pour l’enfant et la mise en place de processus de socialisation sont recherchés, avec le souci constant du développement cognitif et affectif de l’enfant.
Un deuxième stade est franchi lorsque les interventions s’effectuent directement à domicile, auprès des parents, par des puéricultrices, des assistants sociaux ou des éducateurs, avec ou sans mandat judiciaire.
Pour exemple, une récente étude (Durning, Fablet, Mackiewiz 1993) menée sur les pratiques professionnelles des puéricultrices du service de protection maternelle et infantile des Hauts-de-Seine montre que les familles en difficulté sont clairement identifiées et qu’elles bénéficient d’actions multiples telles des conseils relatifs aux modes de prise en charge du bébé, des soins effectués directement par la puéricultrice dans une sorte de transmission visuelle du savoir, des aides sur les modes de garde, des propositions d’activités de groupe visant une rupture de l’isolement, un effet dynamique et un partage collectif des modèles éducatifs, enfin la mise en place d’un relais avec d’autres intervenants du secteur social (éducateurs par exemple).
De telles pratiques ont notamment été initiées dans les années 1970 par l’Institut de Puériculture de Paris qui se donnait pour mission de repérer les jeunes mamans en difficulté dès leur grossesse, de les accompagner juste après l’accouchement afin de leur "inculquer" les gestes essentiels, et de leur apprendre à identifier les besoins vitaux de leur enfant par l’observation et la requalification de leurs potentialités.
L’étude menée en 1998 par l’ANPASE auprès des enfants placés en foyer de l’enfance confirme ce maillage de la population parentale en difficulté, puisque sur 585 enfants, 62% étaient connus des services et bénéficiaient d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert.
L’aide éducative dispensée a-t-elle produit des effets ? Faut-il, comme le suggèrent de trop rares études, conclure à son inefficacité ou son inadaptation ? Voire même, comme osent aujourd’hui certains, dénoncer les effets pervers des interventions : aspect intrusif, normatif, coercitif, retard dans la décision de séparation de l’enfant d’un milieu pathogène ? Enfin, quelle que soit la pertinence d’actions construites sur des réalités sociales, économiques, relationnelles, comment abordent-elles les questions fondamentales de la parentalité, du désir, du sujet, de l’altérité ?
Le troisième stade annoncé, quoique retardé, est donc fréquemment celui de la suppléance familiale, lorsque l’enfant est séparé de son milieu d’origine et accueilli dans des dispositifs d’accueil familial
Accueil familial
Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois).
ou d’internat.
Mais l’éducation familiale ne s’arrête pas pour autant. En effet, depuis le rapport Bianco-Lamy, un certain nombre de droits des parents ont été affirmés. La loi de 1984 intitulée "le droit des familles dans leur rapport avec les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance" représente en ce sens une avancée. Il s’agit du droit d’être informé, accompagné, consulté, de participer aux décisions, d’exercer des recours... en d’autres termes, pour le parent, le droit de faire valoir ses propres valeurs éducatives.
Ces droits sont-ils mis en pratique ? Une étude (Corbillon, Duléry, Mackiewicz 1997) auprès des parents d’une maison d’enfants à caractère social montre que la réalité est plus complexe. Très souvent, la famille est "sollicitée par rapport à ses problèmes, mais n’est soutenue ni pour développer ses ressources, ni pour élaborer son expérience de la parentalité, ni pour améliorer ses pratiques ou du moins, les ajuster à l’éducation de l’enfant placé". Dès lors, on peut s’interroger sur la signification à donner au vocable "éducation familiale".
Lorsque l’enfant est placé dans une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! , cette question se heurte à la dynamique propre de l’accueil familial qui touche l’enfant et les registres de la parentalité. Dans ces situations, les parents sont doublement marginalisés : ils ne s’occupent pas au quotidien de leur enfant dont une autre famille assure les soins. S’il est déjà difficile pour les parents de confier leur enfant à des spécialistes du soin ou de l’éducation tels les puéricultrices ou les éducateurs des foyers, c’est ici une femme vécue comme non-spécialiste, une famille vécue comme une "meilleure famille" qui élève et éduque l’enfant, lui propose son assistance maternelle dont eux-mêmes auraient finalement bien besoin.
Si bien "formée" soit-elle, la famille d’accueil n’en restera pas moins, aux yeux des parents disqualifiés, une concurrente, une rivale quant aux savoir-faire et aux « savoir-être parents », une professionnelle du maternage faisant écho à leur culpabilité.
Éduquer les familles d’accueil ?
Certains courants de pensée dénoncent les risques d’idéalisation des familles d’accueil, de "surstimulation" possible des enfants ou même des adultes accueillis, de perte de spontanéité... D’autres dénoncent des mécanismes de récupération possible, dans le sens où la formation des familles d’accueil permettrait à posteriori de réaliser des économies en réduisant le nombre d’intervenants présents sur le terrain. D’autres enfin se réjouissent de la professionnalisation de ce métier et de son accès à une formation sur l’éducation des enfants ou sur la prise en charge des troubles des adultes.
Quoi qu’il en soit de ces idéologies, les familles d’accueil, et surtout les assistantes maternelles, exercent une activité dont la professionnalisation se confirme au travers des formations obligatoires, de la formation continue, du travail en partenariat, de la participation aux réunions et aux synthèses. Autant d’éléments leur permettant de construire, de donner une forme et d’élaborer leur pratique professionnelle.
En ce sens, la formation dépasse largement la notion d’éducation familiale qu’elle englobe pour une partie, les programmes n’étant pas exempts d’apports théoriques et techniques sur l’éducation des enfants, leur santé, leur scolarité... ou sur les difficultés des adultes et les attitudes à adopter face à elles.
bibliographie
Bianco J.L., Lamy J. "Étude RCB sur l’aide sociale à l’enfance, rapport et annexes, Ministère de la Santé, 1979
Corbillon M., Duléry A., Mackiewicz M.P., "La participation des familles dans un dispositif de suppléance familiale", in Revue internationale de l’éducation familiale, volume 1, N° 2, 1997, pages 61 à 73
Durning P. "L’éducation familiale", PUF, 1995
Durning P., Fablet D., Mackiewicz M.P. "Les processus de décision et les pratiques professionnelles en œuvre lors des visites à domicile effectuées par les puéricultrices de la PMI des Hauts de Seine", recherche menée en convention avec le conseil général des Hauts de Seine, 1993
Rapport Dupont-Fauville, "Pour une réforme de l’aide sociale à l’enfance", ESF, 1979
Revue Sciences Humaines, n° 64, août-septembre 1996, pages 10 à 15