Le travail des familles d’accueil est placé sous surveillance. Des préoccupations louables, relatives à la satisfaction des besoins des accueillis, à leur santé ou à leur sécurité, amènent à contrôler les familles d’accueil. En fait, c’est autant leur activité qui est contrôlée que l’attention ou les soins peu ou prou adaptés qu’elles pourraient donner à leur accueilli, voire même les mauvais traitements qu’elles pourraient lui infliger.
Veiller au bien-être des accueillis revient donc le plus souvent à porter un regard suspicieux et évaluateur sur le travail des familles d’accueil. Attitude inappropriée qui puise sa source dans l’accumulation des défaillances sociales.
Le contrôle est lié à l’histoire de l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). et à l’évolution du droit et des pratiques. La littérature s’est repue du malheur d’enfants maltraités par des Thenardier sans scrupule. De pareilles mésaventures trouvent notamment leur origine dans l’accueil par des nourriciers non informés, non sélectionnés, non aidés, mal indemnisés. En fait, ils étaient autant abandonnés par le corps social que les enfants ou les adultes avec lesquels ils partageaient leur misère, dans des huis clos familiaux où se rejouaient les tragédies les plus ordinaires de l’amour, de la haine, de l’attirance et du rejet.
L’ensemble des accueils familiaux est plus ou moins le reflet de cette relégation sociale d’enfants ou d’adultes, opérée à n’importe quel prix, c’est-à-dire au moindre coût, dans des familles d’accueil.
Aujourd’hui, certains de ces problèmes sont maîtrisés, en principe. Les familles d’accueil sont agréées, rémunérées, formées, et reconnues parfois comme professionnelles. Elles travaillent dans des dispositifs qui les accompagnent et les soutiennent, surtout les assistantes maternelles. Quant aux ressorts de la vie familiale, ils sont connus, et les répétitions dramatiques dans lesquelles pourraient s’enliser les accueils sont travaillées.
Certes, le passeport que constitue l’agrément ne suffit pas, ni le fait de collaborer avec d’autres professionnels tant l’accueil familial repose sur les registres de l’intime qui ne sont pas toujours abordés. Mais le contrôle, en tant que tel, est inadéquat surtout s’il constitue la seule action mise en œuvre. Non seulement il renforce des attitudes, parfois des dispositions, de défiance entre familles d’accueil et intervenants, mais surtout il ne peut jamais rassurer pleinement des intervenants inquiets.
En effet, si le contrôle est nécessaire, faut-il alors contrôler tout le temps ? Et dans ce cas, comment ? De plus, sur quels éléments doit-il porter ? Matériels ? Affectifs ?
Le plus souvent, le contrôle reste un mode d’intervention auprès des familles d’accueil faute de savoir travailler avec elles, faute de réflexion sur leur activité et le partenariat indispensable à instaurer, et faute de moyens, c’est à dire faute d’avoir suffisamment de personnels pour appréhender avec elles, et à leurs côtés, les inévitables aléas de l’accueil.
Enfin, vouloir surprendre les familles d’accueil n’est pas toujours dénué d’une certaine curiosité envers un mystère qu’il s’agirait de percer, d’une sorte de quête du secret des origines.
L’origine du contrôle
Au moyen âge, les recommanderesses contrôlent le recrutement des nourrices, sélection qui n’est pas toujours gage de qualité. La mortalité des enfants placés était telle, au siècle dernier, qu’est votée la loi Roussel du 28 décembre 1874 destinée à sauvegarder la santé des nourrissons non gardés au domicile familial. Elle prévoyait la visite régulière par des médecins inspecteurs chez les nourrices "sevreuses" et "gardeuses" accueillant, moyennant salaire, des enfants de moins de trois ans.
Les médecins participaient à la dénonciation des abus (par exemple, celui consistant à jouer de la crédulité des parents en élevant plusieurs enfants au lieu d’un seul), à la répression des cas avérés de fraude (donner le biberon au lieu de son propre lait - réclamer des mois de nourrice alors que le bébé était mort), ou veillaient au respect des règles minimales de prudence (un berceau par bébé, un garde-feu obligatoire).
Les médecins-inspecteurs procédaient donc de façon à surprendre les nourrices, éventuellement en flagrant délit. Ils pratiquaient des visites inopinées pour constater "de visu les progrès accomplis, l’état du ventre, le caractère des selles, l’état de propreté des personnes, des langes, du berceau. C’est dans ces visites inopinées que l’on découvre les suçons, les biberons à long tube, les repas solides" [1]. Ces pratiques constituaient, pour les inspecteurs qui s’en flattaient, "la terreur de la nourrice".
Le sort des adultes, psychiquement ou physiquement fragiles, n’a guère été meilleur chez quelques hôteliers peu scrupuleux. Mal nourris, mal logés, les handicapés sont exploités pour participer aux travaux agricoles, et les personnes âgées spoliées de leurs maigres ressources.
Les situations dans lesquelles se trouvent ces malheureux poussent à agir. Ainsi, à Geel, origine mythique de l’accueil familial des malades mentaux, "le conseil municipal adopta en 1838 un règlement organique d’administration de police et de surveillance, avec les bases d’une direction médicale" (Moreau de Tours 1872). Il y avait urgence, relevée par les autorités, et par les médecins visiteurs qui se succèdent alors à Geel, et déplorent les mauvais traitements infligés aux malades.
En fait, le contrôle a autant pour objet de surveiller les conditions de l’accueil que les troubles des accueillis : "sans aucun doute, l’air libre, le travail et la vie de famille sont d’excellentes conditions, mais il y a dans le traitement des formes aiguës de la folie une foule de cas où l’intervention constante du médecin, une direction éclairée sont indispensables" (Brière de Boismont en 1846, cité par Bobe 1933).
Il y a donc nécessité à contrôler afin de prévenir les dérives des accueillants, et de remédier aux défaillances par des aides ou des conseils. Ce faisant, le contrôle assoit une autorité publique, médicale ou sociale, qui a contribué à reconnaître et à inscrire l’activité des accueillants dans des dispositifs institués d’accueil familial.
Définition et pratiques du contrôle
Le contrôle, tel qu’il est parfois souhaité et pratiqué, perd son sens premier de « contre-rôle », qui suppose donc un rôle donné aux accueillants. Rôle qui ne peut être, à priori, celui de maltraiter les accueillis. Le contrôle devrait donc s’appuyer sur une préoccupation partagée quant aux moyens à se donner pour élever un enfant ou s’occuper d’un adulte dépendant.
Mais, le plus souvent, le contrôle est fondé sur la suspicion qui amène à vouloir surprendre en flagrant délit les accueillants, lors de visites non annoncées. L’éventail des suspicions possibles est si large qu’un contrôleur tatillon ne peut mieux faire que s’installer au domicile des accueillants, afin de procéder à des vérifications permanentes.
Logiquement, les conditions matérielles sont celles qui donnent le plus matière aux soupçons, et surtout sont le plus immédiatement appréhendables.
Pourtant, vérifier inopinément que sont rassemblées ces conditions, portant par exemple sur la mise en place de barrières de sécurité pour les enfants, sur l’état de la chambre de l’accueilli, ou sur la qualité de l’alimentation, ne permet pas d’affirmer que ces éléments sont utilisés à bon escient ou même correctement offerts à l’accueilli. Leur existence ne garantit en rien le droit et la réelle possibilité des accueillis à en user. Ainsi, les salles d’eau peuvent être frappées de discrets interdits, le chauffage ou l’éclairage être coupés dès la nuit tombée....
Les possibilités de dérapage sont si nombreuses qu’aucun contrôle ne pourra les prévenir ou les constater, sauf à multiplier les visites, à toute heure du jour et de la nuit.
Par ailleurs, rendre visite aux familles d’accueil afin de les surprendre n’est pas sans risque. Comment agir si la personne agréée est absente ? Quelles portes peuvent être ouvertes afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’accueillis en surnombre ? Comment s’assurer de l’intégration familiale de l’accueilli et de la non-relégation qu’il subirait physiquement ou psychiquement ?
Non seulement agir en suspectant les accueillants ne suffit pas toujours pour être assuré que les conditions d’un accueil satisfaisant sont réunies, mais surtout ne permet pas d’être informé de l’essentiel, c’est à dire de la nature de la relation entre accueillant et accueilli.
Comment accéder à la qualité et à la permanence des échanges, à leur résonance affective, à leur intensité émotionnelle ? Alors qu’il s’agit justement d’éléments qui traduisent que "santé, sécurité et épanouissement des mineurs accueillis" sont garantis, ceci "dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif".
De même, pour les adultes accueillis, "les conditions d’accueil doivent garantir la protection de la santé, la sécurité et le bien-être physique et moral".
Certes, ces conditions ont normalement été évaluées lors de l’agrément, hors contexte d’accueil. Comment alors être sûr qu’elles sont réunies dans le quotidien des rapports entre l’accueilli et l’accueillant, autrement qu’en participant au vécu des familles d’accueil et des accueillis ? Pour ce faire, les visites inopinées sont inefficaces.
Se replier sur ce que pourraient dire les accueillis ne semble pas plus pertinent. S’ils ont la possibilité de s’exprimer sur leurs conditions de vie, ils restent souvent pris dans des enjeux de loyauté difficiles à dépasser. Seuls et dépendants, ils peuvent hésiter à critiquer, par crainte de subir les contrecoups de leurs propos. Et s’ils formulent des commentaires, il est possible de penser que la conséquence en sera la fin de l’accueil.
Parfois, les intervenants inventent des visites de contrôle "de courtoisie" supposées être moins violentes. De telles pratiques entretiennent l’illusion d’une fausse harmonie entre intervenants et familles d’accueil, et autorisent difficilement les remarques portant sur les conditions de l’accueil.
Conséquences du contrôle
Suspecter les familles d’accueil, être amené à les contrôler plutôt que de comprendre et de participer à leur accueil, entraînent forcément le constat de dérapages plus ou moins graves. Que décider alors ? S’en remettre aux familles d’accueil pour instaurer de l’ordre ? Renforcer les visites inopinées ?
Entre contrôleur et contrôlé s’organise un jeu de cache-cache dont les frais sont supportés par l’accueilli, et qui finira inévitablement par l’interruption de l’accueil.
Si les conditions ayant déterminé l’obtention de l’agrément ne sont pas ou plus respectées, les deux conséquences directes et immédiates sont d’une part le retrait de l’agrément, et d’autre part le départ de l’enfant ; interventions que l’on retrouve dans le cadre de l’accueil familial thérapeutique
AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
des adultes.
Quant à l’accueil familial social des adultes, le retrait d’agrément n’est pas toujours suivi du départ de l’accueilli, faute de moyens d’intervention pour mettre fin à un accueil devenu illégal.
Mais, comment juger de la qualité de l’accueil quant à ses aspects subjectifs ? En effet, comment confirmer ou infirmer le vécu ou les perceptions d’un accueilli qui se plaindrait de violences, d’attouchements ou d’attentions suspectes ? Penser que, dans tous les cas, l’accueilli dit vrai n’est pas toujours une réponse appropriée. N’est-il pas possible d’interpréter qu’il s’agit parfois d’une demande de fin d’accueil déguisée ou d’un règlement de comptes qui ne peut se dire autrement ?
La réalité est bien fragile et les conséquences redoutables.
En fait, la plupart des pratiques de contrôle, et même de suivi, dénote une méconnaissance fondamentale d’un travail partagé en accueil familial. De plus, le contrôle est souvent assimilé au suivi de l’accueil tant les différentes interventions sont indifférenciées sur le fond et sur la forme.
S’il est bien évident qu’il est nécessaire d’assurer un certain contrôle, une certaine surveillance des familles d’accueil, ou plutôt des processus de l’accueil, le contrôle tel qu’il existe généralement n’est pas une priorité.
Il serait utile de substituer à ces interventions suspicieuses et inadaptées des pratiques d’accompagnement relationnel des accueillants et des accueillis dont les modalités, connues de tous, répondent à la réalité de l’accueil familial et sont seules appropriées pour prévenir d’éventuelles difficultés.
Pour être assuré de la qualité de l’accueil, il est nécessaire que les intervenants s’impliquent aux côtés des accueillis et des accueillants. Seuls de nombreux contacts, une confiance et une reconnaissance partagées, permettent ce mode de travail qui n’empêche pas un certain "contrôle", retrouvant ici l’étymologie du mot.
bibliographie
Moreau (de Tours) J. "Lettres médicales", annales médico-psychologiques, 1972
Bobe J. "Les colonies familiales d’aliénés", Paris, 1933
Foucault M. "Surveiller et punir", Gallimard, 1975