Auteur : S. Le Gall, La Gazette des communes, 08/10/2010
Une quarantaine de communes suspendues au sort des Villa Family
Plusieurs maires qui accueillent sur leur commune une Villa Family, formule privée d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). , doivent aujourd’hui faire face à la liquidation judiciaire de la société à l’origine du concept.
À Naillat, dans la Creuse, comme dans une quarantaine de communes en France, l’heure est à l’expectative : « Que va devenir notre Villa Family avec la mise en liquidation judiciaire de Capmarine (NDLR : en date du 28 juillet 2010), la société gestionnaire ? La commune va-t-elle devoir mettre la main à la poche ? », se demande Jeannine Gillet, maire de Naillat.
Si elle ne cache pas son inquiétude, l’élue reconnaît être, dans l’affaire, largement moins mal lotie que son voisin Jean-Claude Aurousseau, maire de Genouillac, qui doit, lui, trouver le moyen de faire face à une dette de 105.000 euros. « En 2004, au moment de la construction des maisons, l’ancienne équipe municipale a accepté de se porter caution solidaire de l’emprunt contracté par Capmarine. Or, les remboursements ne sont plus honorés depuis longtemps », explique-t-il.
Un terrain contre 1 euro symbolique
Jeannine Gillet et Jean-Claude Aurousseau font la même analyse : sur le papier, le concept Villa Family, également connu sous le nom de « Domiciale », petite structure où un accueillant familial
accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
, agréé par le conseil général, prend en charge des personnes âgées ou handicapées, est très séduisant.
Dans la réalité, il s’est avéré décevant à bien des égards. « Le projet semblait particulièrement bien adapté au milieu rural où nous pâtissons d’un déficit terrible d’accueil. Il permet aux anciens de rester dans leur village d’origine, près de leur famille », commente Jean-Claude Aurousseau.
Emballée par le concept, Genouillac, comme toutes les communes qui se sont engagées dans l’aventure, a mis à disposition de Philippe Loubens, concepteur bordelais des Villas Family
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, un terrain viabilisé contre 1 euro symbolique, via un bail emphytéotique de 99 ans. « Capmarine avait exigé que le terrain soit situé en centre-bourg. La commune a sacrifié un bel emplacement arboré contre l’avis des riverains », regrette Jean-Claude Aurousseau.
Le maire n’accable pas pour autant son prédécesseur. « Je crois que j’aurais pris les mêmes décisions. Personne n’aurait pu deviner la suite des évènements ». « Nous avons tout d’abord remarqué que la construction de la maison était de « bric et de broc », puis est intervenue, seulement un an après l’ouverture, la première alerte financière, le remboursement de l’emprunt n’étant plus honoré. Nous avons alors joué le rôle de percepteur, recueillant auprès des résidents les loyers pour les faire parvenir à la banque », précise Jean-Claude Aurousseau, qui ajoute, « nous avons aussi dû veiller à la gestion du personnel, Capmarine se désintéressant du recrutement des accueillants familiaux ».
Des villas désertées ou non livrées
Aujourd’hui, la Villa Family de Genouillac est vide, les accueillants et les résidents sont partis. Celle de Naillat affiche complet, mais la mairesse se plaint, elle aussi, de la faible qualité de la construction. En Corrèze, la Villa Family de Cublac, construite en 2004, n’a jamais été occupée en raison d’un vice de construction alors que celle de Montestruc, dans le Gers, a dû être rasée pour malfaçon.
« Quelle société pourrait reprendre la suite ? Les communes ne feraient-elles pas mieux de diriger elles-mêmes la structure ? », s’interroge Jean-Claude Aurousseau.
De leur côté, des accueillants familiaux témoignent du peu d’attention que leur a accordée Capmarine. Didier M.
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raconte : « Avec ma femme, nous avons été démarchés par une représentante de la société qui nous a pressés de nous installer dans une Villa Family sans que nous ayons encore d’agrément. La procédure a duré six mois, pendant lesquels Capmarine exigeait que nous payions un loyer alors que nous ne recevions aucun salaire, ce que nous avons refusé. ».
La liste des doléances ne serait pas complète sans celle des propriétaires privés des maisons. Regroupés en association
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depuis mars 2010, ils se plaignent de loyers non versés, de maisons inoccupées ou encore non livrées du fait de la liquidation judiciaire.
Pour Bernard Vertray, président de l’association, le placement défiscalisé, « conseillé par (sa) banque », s’est transformé en cauchemar. « Je rembourse chaque mois 2 000 euros pour une maison non terminée, en raison d’un chantier stoppé pour malfaçon puis par la liquidation ». Aujourd’hui, il espère réunir l’ensemble des propriétaires lésés ainsi que les maires concernés afin de défendre aux mieux leurs intérêts.
Villa Family : un montage original
Dans chaque entité, cohabitent trois personnes âgées ou handicapées et un accueillant familial. Ce dernier, présent 24h/24, doit être agréé par le conseil général. Il est rétribué par les résidents qui peuvent bénéficier de l’Allocation personnalisé d’autonomie (APA). La structure est financée par des propriétaires privés, séduits par ce placement défiscalisé, liés au promoteur par un bail commercial. L’accueillant familial est lui aussi lié au promoteur par un bail locatif auquel il règle un loyer modéré. En règle générale, les Villas Family sont construites par deux, les accueillants familiaux pouvant ainsi s’épauler. Des conseils généraux, tel celui de l’Ain, se sont lancés dans des projets similaires.
S. Le Gall
France 3 Limousin, , 28/07/2010
Villa family : parfum de scandale en Creuse
Plusieurs communes sont accablées de dettes après des constructions immobilières.
Le concept "Villa family" est simple. Il s’agit de faire cohabiter une famille avec une ou plusieurs personnes âgées. Les loyers sont modérés à condition que la famille s’occupe de ces aînés.
Sept communes de la Creuse (Genouillac, Le Grand-Bourg, Jarnages, Naillat, Saint Fiel, Saint-Agnant de Versillat et Soumans) se sont portées caution pour la construction des maisons. Mais le promoteur de "Villa family", basé dans la région bordelaise, qui est le propriétaire de ces maisons, est depuis quelque temps aux abonnés absents.
Le remboursement des prêts pour ces maisons ne parvient plus. Les communes se retrouvent avec des dettes très importantes, comme à Genouillac où les banques réclament 105 000 euros.
"La Montagne", 28/07/2010
Genouillac désenchantée par les Villas Family
Depuis fin 2009, la Villa Family de Genouillac est déserte et son gérant ne donne plus de nouvelles. La municipalité, qui s’est portée caution pour certains emprunts, s’inquiète.
Deux Villa Family vides, et une inquiétude qui grandit pour la municipalité de Genouillac. Pourtant il y a 6 ans, le concept séduit, dans la petite commune comme ailleurs : « On est en milieu rural et il y a un déficit terrible pour accueillir les anciens, une Villa Family c’était un compromis très intéressant pour une municipalité », explique le maire de Genouillac, Jean-Claude Arousseau.
Le concept est, en effet, plein de promesses et rassurant : des structures privées, occupées par des familles d’accueil agréées par le Conseil général, qui veillent sur les personnes âgées ou handicapées qui y sont accueillies. Chaque résident dispose d’une chambre avec une salle de bain privative, jouxtant une pièce commune. « Les personnes accueillies à Genouillac ont été ravies, explique le maire, c’était quelque chose qui fonctionnait parfaitement bien et pour les anciens, c’est un concept magnifique qui leur permet de ne pas être déracinés ».
Le maire de l’époque, Maurice Teinturier avait mis à disposition de Philippe Loubens, concepteur bordelais des Villas Family, des terrains viabilisés en centre bourg. « En 2004, nous avons fait tous les VRT, et nous sommes portés caution de l’emprunt contracté pour construire ces deux maisons qui peuvent accueillir 6 résidents et 2 familles d’accueil », précise le maire.
Une caution solidaire à hauteur de 105.000 € et un bail emphytéotique de 99 ans lient désormais la municipalité de Genouillac à ce projet. À l’heure actuelle, il n’y a plus personne dans les deux Villas Family, ni famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! , ni résident. Un des accueillants a démissionné, le second n’a pas vu son agrément par le Conseil général reconduit, les résidents ont donc été déplacés à la Villa Family de Saint-Fiel qui connaissait des difficultés de remplissage. Et surtout, le prêt de 217.420 € qui arrive à échéance en 2017, n’est pas remboursé et M. Loubens, reste presque injoignable depuis 2 ans. « Il fait la sourde oreille, le dernier contact que nous avons eu date de 2009 ».
« Depuis sa construction, la maison a fonctionné cahin-caha, il y a eu une petite alerte financière en 2005, faute de paiement de loyers, explique le maire de Genouillac, mais les gros soucis ont commencé en 2009. C’est la banque qui nous a prévenus, nous alertant qu’elle ferait jouer la clause de cautionnaire pour rembourser le prêt s’il n’y avait pas de rentrée d’argent ».
Sans nouvelle concrète du gérant bordelais, et dans l’urgence, la commune a pris en charge le dossier, s’improvisant par obligation, percepteur auprès des locataires pour alimenter le compte de remboursement du prêt.
« Juridiquement, il y a un emprunt, nous sommes solidaires avec lui auprès de la banque, à la première traite impayée, on nous réclamera l’argent, s’inquiète Arrousseau. Et je n’ai pas 105.000 € dans le tiroir de la mairie, on va être obligé de réunir le conseil municipal pour qu’il m’autorise à faire un emprunt pour pouvoir payer la banque, mais à l’arrivée il sera propriétaire du bâtiment, sa dette sera éteinte, mais nous, nous n’aurons rien ».
Entre appels sans suite à Philippe Loubens, réflexions sur les solutions possibles et recours en justice, les traites peinent à être payées.
« Le fond du problème, c’est que M. Loubens ne remplace pas ces accueillants, donc il ne peut plus y avoir de résidents, et le prêt ne se rembourse pas. Demain, j’ai 10 personnes qui peuvent intégrer ces maisons si on s’occupe d’eux ! Mais là, il nous laisse complètement tomber ».
Et il semblerait que ce soit une habitude du promoteur qui essaime plaintes et mécontentements dans toute la France.
En 2006, les premières mauvaises surprises pointent leur nez en Corrèze, à Cublac, où « tout a bien fonctionné jusqu’à la pose de la première pierre » (cf. La Montagne Corrèze, du 20 novembre 2006). En 2007, Philippe Loubens sera appelé à comparaître devant le Tribunal de Guéret pour « prêt de main-d’oeuvre en dehors du travail temporaire, exécution d’un travail dissimulé, emploi de travailleurs étrangers sans autorisation de travail » sur les chantiers de Genouillac et Saint-Fiel (cf. La Montagne Creuse, du 26 janvier 2007).
Peu scrupuleux, dans l’illégalité, et endetté, « il fait monter ces maisons avec de la main-d’oeuvre non déclarée, voire clandestine ; il ne paye rien, explique Jean-Claude Arousseau, il doit 63.000 € de placo à un artisan de Chatelus, et de l’argent à la SOTRAMAT. Notre erreur a été de faire confiance à M. Loubens et je suis très déçu de voir qu’un personnage comme lui puisse naviguer dans toute la France sans payer ses fournisseurs, travailler avec de la main-d’oeuvre clandestine et abandonner ses constructions, impunément ».
Julie Ho Hoa
NB : La Montagne a elle aussi tenté de joindre Philippe Loubens à plusieurs reprises mais sans succès.