En accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). , un certain nombre d’évènements sont pris sous le feu de la répétition, phénomène qui semble irrépressible et qui, manifestement, trouve son origine dans des histoires anciennes rencontrant là un espace d’expression plus favorable que dans les autres prises en charge.
La répétition sous-entend une référence omniprésente au passé. Mais de quel passé s’agit-il, et pourquoi fait-il retour sur la scène actuelle ? Tentative de retrouver une jouissance perdue, tentative de dépassement d’expériences douloureuses et traumatiques ?
Sans que l’on puisse toujours déceler ce qui se joue, la mise en actes qu’est la répétition survient faute de remémoration. Ici, ces manifestations surgissent sur la scène familiale, creuset des identifications et de la construction du sujet, espace propice à la réactivation des affects anciens et à la reproduction de séquences relationnelles dans lesquelles passé et présent se télescopent.
L’accueil en famille conduit inéluctablement à la répétition pour tous les acteurs, accueilli et famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! , voire intervenant. Pour chacun, ce qui se joue fait résonance, au point qu’il est facile de se perdre sur cette scène du non-dit si n’est pas menée une élaboration de cet obstacle psychique afin de le comprendre et de le dépasser.
Accueillis et accueillants ne peuvent se contenter d’être les spectateurs de leurs représentations inconscientes tant les supposées vertus de la purification cathartique laissent songeur. Les décharges émotionnelles agies dans la réalité, engendrée par la survenue réactualisée d’expériences traumatiques et donc refoulées, doivent être pensées, traduites, pour éviter que l’accueil familial tourne au psychodrame.
Traumatisme, carences symboliques et répétition
Les premières expériences de l’enfant avec des parents défaillants se déroulent dans une sorte de « vécu hallucinatoire traumatique », source d’excitations violentes, brusques, prématurées et désorganisatrices qui contribuent à l’établissement de processus pathologiques d’attachement et d’identification. Les parents, par leur imprévisibilité et leur violence, ne permettent pas que se construisent pour l’enfant les distinctions indispensables entre peurs d’origine interne et monde extérieur terrifiant, pensée et réalité, présent et passé.
Ce qui est traumatique, c’est que le réel du fonctionnement familial fait écran à l’absence d’établissement de processus représentatifs de l’autre. Si ce réel vient à faire défaut, lors de la séparation par exemple, le psychisme de l’enfant, basé et étayé sur de telles perceptions de l’autre, se trouve brutalement révélé, au point de provoquer un écroulement et un déchirement de sa pensée.
Le traumatique serait ce qui, de la souffrance, demeure donc dans le trou noir de l’inconscient et qui, faute de pouvoir être élaboré sous forme de représentations, va se retrouver agi dans des symptômes. L’absence de paroles va alors faire carence, faire trou, créer du traumatique. Rapport aux mots, au langage, au sens, à la pensée en général, comme un impossible à penser ou un interdit de penser qui empêchent la symbolisation et le travail psychique.
Ainsi, l’enfant, qui n’a pu garder une image psychique de ses parents, a besoin de les retrouver en chair et en os pour se convaincre qu’il est encore présent, en répétant une situation du passé pour retrouver le contact avec cet objet à défaut de pouvoir se le remémorer.
C’est sans doute ce que traduit cette recherche éperdue qui amène parfois à la répétition de situations de maltraitance. Quête d’amour, à la découverte d’un lien primaire qui restituerait le jeune dans son appartenance. Mais cette recherche permanente, inaboutie, permet difficilement d’investir le présent, la réalité.
Les effets du traumatisme ont le plus souvent à voir avec la transmission générationnelle, et concernent ce qui a fait impasse symbolique à la génération précédente. La transmission générationnelle des carences symboliques amène à des situations de violence par le truchement de choses impensables à force de ne pas avoir été nommées et de demeurer « encryptées » à l’état de non-dits, de fantôme, « d’insu ».
Le « traumatisme transgénérationnel » décrit par René Clément touche les parents, les enfants, et les professionnels, mettant à mal leur capacité à penser. L’histoire familiale de chacun n’est pas exempte d’événements douloureux qui peuvent ainsi se trouver réveillés.
Répétition et accueil familial
La répétition, comme processus inconscient, contraint le sujet à reproduire des séquences de vie qui trouvent à s’expérimenter autrement. Ce qui se répète n’est autre que le trauma relationnel qui définit le sujet, c’est-à-dire la forme de relation aux autres et au monde à laquelle son premier entourage l’a forcé. Mise en acte du lien passé, la répétition intervient là où achoppe la remémoration. Ce n’est donc pas sous forme de souvenir que le fait oublié réapparaît, mais sous forme d’action.
La scène offerte, celle de l’accueil familial, émotionnellement forte et les figures parentales transférentielles que demeurent les familles d’accueil quel que soit leur degré de professionnalisme, contribuent à susciter les éléments du drame qui peut alors se rejouer. Le spectacle est celui de la répétition de situations dans lesquelles l’accueilli, comme metteur en scène, continue sa quête vaine des parcelles de son identité. Ceci dans un contexte familial qui s’attend à ce qu’il joue sa partition de malheureux, maltraité, divisé, malade... afin de le protéger ou le réparer.
Ainsi, il arrive que des enfants battus se fassent battre, que des adultes autrefois violentés se fassent accusateurs de séductions qu’ils auront induites. Les familles d’accueil se trouvent alors face à des réactions d’elles-mêmes inconnues ; évènements sidérants qui les laissent sans recours.
L’élaboration de cette mise en acte du passé doit donc amener à la remémoration, c’est-à-dire à la découverte du choix objectal infantile et des fantasmes qui sont tissés autour. Peut alors s’amorcer l’occasion de rétablir une continuité compromise, ou menacée dans l’histoire et la filiation du sujet par le traumatisme d’origine, dans une perspective thérapeutique.
Processus dynamique, la répétition devient un accès au vécu émotionnel. Sa manifestation sur une autre scène et son décodage par des professionnels avertis deviennent un moyen de traitement qui s’appuie sur le transfert et son interprétation.
Répétition et élaboration
L’accueil familial prend en charge des troubles familiaux avec une autre famille comme support de traitement, comme mode d’action privilégié. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que se rejouent des évènements du passé, mécanisme rendu possible par la scène elle-même, mais aussi par ce que chacun des acteurs y apporte de son histoire, de ses blessures et de ses insatisfactions.
Comment réagir vis à vis de cette mise en acte dans laquelle chacun est partie prenante ? Comment les familles d’accueil ou même les intervenants peuvent-ils éviter de se laisser emporter ?
En fait, l’accueil familial, comme espace de répétition, oblige à penser un cadre de travail qui permettent de contextualiser les « retours du passé », de les verbaliser pour soi et pour l’accueilli, voie vers la remémoration et la perlaboration.
Les familles d’accueil ne peuvent aborder seules le déroulement de ces évènements dans lesquels elles sont profondément impliquées. Elles participent au drame, juxtaposant leur tragédie personnelle à celle d’un enfant et de sa famille, jusqu’à une mise à nue de leurs affects et de leurs valeurs qui leur deviennent étrangers. Il est donc nécessaire de les protéger, en les aidant à décoder et à se réapproprier leur vécu, leurs ressentiments et leurs attitudes.
Certes, les familles d’accueil sont censées avoir un pas d’avance sur l’accueilli et sur les mécanismes dans lesquels elles sont projetées pour avoir déjà joué d’autres drames, dont le leur. Comme d’ailleurs les intervenants, mais est-ce bien le cas ?
De plus, chacun est également supposé laisser le temps à l’interprétation pour permettre, par les répétitions de la rupture initiale, d’en retrouver le sens et l’historicité et ainsi de mettre en œuvre un espace d’énonciation. Mais est-ce toujours possible ?
L’institution a donc entre autres fonctions que le drame se joue, et que la famille d’accueil tienne sa place, en l’aidant à mesurer que l’insupportable qui se répète là ne lui est pas destiné et qu’elle n’y peut pas grand chose, sauf rester elle-même.
Au-delà, une telle mobilisation transférentielle et contre-transférentielle doit être utilisée comme matériau pour le travail thérapeutique, afin de lui donner un sens et permettre une élaboration psychique compromise, principal moyen d’enrayer la compulsion de répétition et de la transformer en une raison de se souvenir.
bibliographie
Hochman J. « La consolation », Odile Jacob, 1994
Jaoul H. « L’enfant captif », Editions universitaires, 1991
Nasio J.D. « Aux limites du transfert », éditions Rochevignes, 1985
Roustang F. « Comment faire rire un paranoïaque », Odile Jacob, 1996
« Les familles d’accueil », in La psychanalyse de l’enfant, n° 16, janvier 1995