Joëlle, ancienne infirmière [et adhérente de Famidac], accueille chez elle deux vieilles dames, à qui elle apporte une attention permanente. Une formule originale, mais qui exige une disponibilité à toute épreuve.
Il est huit heures en cette journée hivernale. Dehors, il fait encore nuit. C’est l’heure du petit-déjeuner. Autour de la table de la cuisine, Gaby, 102 ans, et Nicole, 74 ans, attendent patiemment d’être servies. Pas très loin des deux grands-mères en robe de chambre, Joëlle, la maîtresse de maison, prépare du café, du thé et des tartines beurre-confiture.
- © Photo Jean-Michel Delage
Bienvenue à L’Ormelle, chez les Duval, une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! pour personnes âgées.
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Maison aménagée
En 2005, Joëlle Duval a décidé de quitter son travail d’infirmière de nuit pour se consacrer à cette activité encore peu connue en France. « C’est un vrai projet de vie, longuement réfléchi avec toute la famille, explique-t-elle. Nous avons d’abord cherché une nouvelle maison qui nous permettrait d’accueillir trois personnes, avant de soumettre notre demande d’agrément au conseil général. »
Au cœur de la Seine-et-Mame, entre Provins et Montereau, Joëlle vit avec son mari, retraité, et leur fils de 18 ans. « Notre maison est aménagée de façon à séparer un tant soit peu notre vie familiale de notre activité d’accueil : nos chambres et notre salle de bain sont à l’étage, tandis que les chambres et les sanitaires des personnes âgées sont en bas. » Par contre, le salon et la salle à manger sont partagés.
Pour devenir « famille d’accueil », il suffit que l’un des accueillants ait moins de 65 ans, d’avoir une maison adaptée (une chambre de 9 mètres carrés par résident) et d’obtenir l’agrément du conseil général de son département (selon la loi du 10 juillet 1989). Aucun diplôme n’est demandé, mais un stage de formation et une enquête sociale sont effectués, et un psychologue rencontre le futur accueillant. L’agrément peut être délivré pour un accueil permanent accueil permanent Terme inapproprié désignant en fait un contrat d’accueil à durée indéterminée, avec une date de début mais sans date de fin, prévoyant une prise en charge à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (de jour ou de nuit), en continu (sans interruption) ou séquentielle (exemple : un weekend tous les mois). ou temporaire d’une à trois personnes, âgées d’au moins 60 ans. Chaque nouvel arrivant doit être déclaré au conseil général, et des contrôles peuvent être effectués par la suite.
Contrat renouvelable
Après la collation du matin, c’est l’heure de la toilette. Pendant que Gaby retourne attendre dans sa chambre, Joëlle accompagne Nicole à la salle de bain. « Elle commence à être dépendante : les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer sont apparus. Je dois l’aider dans les gestes quotidiens, la toilette, l’habillement... »
Nicole réside temporairement chez les Duval : à la suite de l’hospitalisation de son mari, sa fille l’a placée ici pour trois mois. « Mais le séjour peut être prolongé si besoin est », précise Joëlle. La différence avec les personnes qui résident ici de manière définitive s’inscrit dans le contrat : pour du temporaire (une période allant d’un à trois mois, renouvelable), il n’y a pas de préavis, alors que pour un résident définitif, le contrat peut être rompu par l’une ou l’autre des parties après un préavis de deux mois.
Quant à Gaby, elle a conscience que L’Ormelle sera sa dernière maison. « J’ai vécu à Deauville, à La Baule où j’étais plagiste, puis à Paris où j’ai ouvert une salle de sport. À 97 ans, j’ai vendu ma maison pour aller vivre, chez ma fille, mais quand elle est décédée, j’ai atterri ici et je m’y sens très bien. Je n’aurais pas aimé me retrouver en maison de retraite ! »
« Sacerdoce »
Comme chaque matin, la centenaire, une fois habillée, se prépare pour sa sortie rituelle : cinq fois le tour du jardin, tranquillement appuyée sur sa canne. « Le sport, ça conserve ! », lance-t-elle, avant de repartir tranquillement jusqu’au ruisseau qui borde la propriété.
Dans la maison, pendant que Joëlle prépare le déjeuner, Nicole téléphone à sa famille et prend des nouvelles de son mari hospitalisé. Puis elle tourne en rond, prend une revue... « Je m’ennuierais moins si j’étais chez moi avec mon mari », soupire-t-elle.
« S’occuper de personnes âgées chez soi est un sacerdoce, avoue Joëlle, de son côté. Nous devons être présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Il n’y a pas de possibilité de partir en week-end, de prendre des vacances ou même de sortir un soir... Heureusement, on partage de très beaux moments avec nos résidents ! »
Formations
Même si, d’après les associations
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, quelque 10.000 familles proposent ce type d’accueil (pour des personnes âgées, handicapées ou en convalescence), il reste encore marginal si on le compare au placement en institution. La plupart des familles sont situées en milieu rural, et ne peuvent héberger que des personnes en assez bonne santé et encore peu dépendantes.
Cela dit, les accueillants peuvent être épaulés par des auxiliaires de vie. « Les résidents reçoivent aussi la visite de leur médecin ou d’une infirmière s’ils en ont besoin, précise Joëlle. Et chaque année, des formations (équilibre alimentaire, "gestion canicule", maltraitance...) sont obligatoires pour pouvoir conserver l’agrément, qui est renouvelé tous les cinq ans. »
Dans la salle à manger, Nicole, aidée de la maîtresse de maison, dresse la table pour le repas du midi. Une manière pour elle de continuer à pratiquer les gestes de la vie quotidienne. Puis tout le monde se retrouve autour de la table : la famille au complet et les deux résidentes. Ce sont des moments importants, très conviviaux.
- © Photo Jean-Michel Delage
« Pour notre fils, cela n’a pourtant pas été toujours évident, note Joëlle. Même s’il n’est pas du tout impliqué dans l’accueil, il vit entouré quotidiennement de personnes âgées. Pareil pour mon mari, qui ne s’occupe pas du tout des résidents. Régulièrement, nous en parlons ensemble afin de désamorcer certaines situations qui pourraient les perturber. » En effet, les personnes accueillies doivent pouvoir évoluer dans une atmosphère sereine et paisible !
Aux repas, la cuisine est simple et équilibrée. Dès leur arrivée, Gaby et Nicole ont listé les aliments qu’elles n’apprécient pas, ou qui leur sont déconseillés. « Hormis les régimes ordonnés par les médecins, souligne cependant Joëlle, il n’est pas question de pro-poser des menus trop personnalisés, ni de répondre à des goûts culinaires trop pointus ! »
Pas un gîte !
Après le déjeuner, les résidentes se reposent dans leurs chambres. Gaby préfère la lecture, confortablement installée dans un fauteuil, alors que Nicole regarde la télévision ou fait la sieste.
Pendant ce temps, Joëlle n’a guère le temps de s’accorder une pause : lessive, repassage du linge, ménage des chambres, courses... cela représente des heures de travail. « On ne s’improvise pas accueillant comme cela », insiste encore Joëlle. Personnellement, après avoir exercé des années comme infirmière de nuit, j’avais envie de changer et surtout de travailler chez moi, sans patron derrière moi, tout en me rendant utile. Mais attention, j’ai conscience que ce n’est pas une maison d’hôte que je gère ! Je m’occupe de personnes en fin de vie, qui ont besoin d’une présence de tous les instants. Ce ne sont ni des "clientes", ni des "patientes". Elles font, pour un temps, partie de notre vie. J’ajoute que la rémunération n’est pas extraordinaire : ce n’est pas notre motivation première ! »
L’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). coûte effectivement moins cher qu’une place en maison de retraite. Il faut compter entre 1000 et 1600 euros par mois selon les degrés de dépendance. Cette somme inclut le loyer, la nourriture et, bien entendu, la rémunération de l’accueillant. « Cela me fait un petit smic par personne accueillie, précise Joëlle. Et ce, pour une présence à toute heure du jour et de la nuit. »
Les résidents (ou leur famille) sont les employeurs. Ce sont eux qui fournissent le bulletin de salaire mensuel. Les personnes ayant une retraite modeste ont droit à des aides sociales. Et suivant leur dépendance, elles peuvent percevoir l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
En fin d’après-midi, un kinésithérapeute vient rendre visite à Nicole, qui se remet d’une petite chute. Dans la chambre, il pratique un massage et quelques manipulations.
16 h 30, c’est l’heure du goûter et du chocolat chaud, suivis, si le climat le permet, d’une petite balade jusqu’au centre du village. Avant de terminer l’après-midi tous ensemble, devant un jeu de société et un bon feu de cheminée. Ainsi passent les journées à L’Ormelle.
Le dîner se prend à nouveau en famille. Puis vient l’heure du coucher. « Un moment difficile pour Nicole, avoue Joëlle. Elle perd tous ses repères et elle est angoissée. Il y a tout un protocole avec elle ! Lui montrer comment éteindre la télévision et la lumière, lui montrer le chemin vers les toilettes... Chaque soir, elle doit tout réapprendre. »
Cette dernière mission accomplie, Joëlle peut alors souffler... et s’occuper de sa famille. Mais la nuit, la vigilance reste de mise. Dans la maison, chaque bruit est analysé. Et en cas de besoin, que ce soit une crise d’angoisse ou simplement un déplacement pour se rendre aux toilettes, l’accueillante est toujours là.
« Jusqu’au bout »
« Nous avons connu quelques moments stressants avec certains résidents, reconnaît Joëlle. Et nous avons déjà dû nous séparer de certains dont nous ne pouvions plus nous occuper, pour des raisons de sécurité. » Malgré tout, Joëlle pense garder la porte ouverte encore quelques années. « Dans le cas de Gaby, je sais que nous l’accompagnerons jusqu’au bout, sauf si vraiment sa santé demande une hospitalisation. Elle fait complètement partie de notre famille. Et cet attachement, c’est un mal pour un bien, mais c’est ainsi quand on décide de recevoir chez soi des personnes âgées. »
Contacts :
- Joëlle Duval, tél. 01.64.00.13.38
- Jean-Michel Delage : tél. 01.42.43.38.11 et http://www.jeanmicheldelage.com
- Vous pouvez commander cet article en VO sur le site de l’Infirmière magazine
Nous n’avons pas les photos suivantes, mais leurs commentaires
Rencontre des générations.
Élise, la fille aînée de Joëlle, passe à la maison et bavarde un moment avec
les résidentes, à l’heure du goûter. Même si Joëlle est la seule responsable
de l’accueil (et salariée à ce titre), son mari et son fils vivent auprès des
personnes âgées.
C’est un choix de vie qui doit être accepté par tous.
Photo « de famille »
avec, de gauche à droite, Gaby, Joëlle et Nicole. Même s’il faut savoir garder une distance entre résidents et accueillants, des liens très forts peuvent se créer au sein d’un accueil familial, car les uns et les autres passent un long moment ensemble. Sans doute ce supplément d’humanité fait-il la différence avec les maisons de retraite.
Au téléphone.
Nicole, qui n’est pas de la région de Provins, reçoit la visite de sa famille assez régulièrement. Toutefois, elle prend quotidiennement des nouvelles de son mari, hospitalisé.
Ici, à L’Ormelle, elle est accueillie temporairement.
Mais rien ne dit qu’elle n’y restera pas plus longtemps.
Balade.
La plupart des accueils familiaux se trouvent à la campagne.
Chez les Duval, un grand jardin entoure la maison. Ce qui permet à Gaby et Nicole de se promener sans avoir à sortir dans la rue.
La visite du kiné.
Les familles d’accueil font appel à des intervenants extérieurs (médecins, infirmières, etc.) pour les soins. Mais en cas de maladies graves, les personnes âgées sont hospitalisées.
Gestes du quotidien.
Les résidentes n’ont aucune contrainte et rien ne les oblige à participer à la vie de la maison. Pour Nicole, dresser le couvert est vécu comme un exercice. Le début de la maladie d’Alzheimer la déroute un peu. Et ces simples gestes l’aident à garder une certaine autonomie.
C’est l’heure du coucher pour Nicole.
Ce n’est pas le moment le plus facile. Après une journée bien accompagnée, elle se retrouve seule face à ses pensées, ses angoisses. Alors Joëlle la rassure et lui donne quelques conseils pour éteindre la télévision ou la lumière.