Seniors. Une journée dans une famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! lannionnaise
Cent-cinquante familles d’accueil pour personnes âgées et handicapées sont implantées dans les Côtes d’Armor. Yvette, Léon et Claude vivent dans l’une d’entre-elles : le foyer Tugdual à Lannion. Ces accidentés de la vie retrouvent ici, un brin de bonheur. Ils font désormais partie intégrante de la famille et se voient même endosser le rôle de « mamie et papi » par les enfants. Immersion au cœur de cette maison d’accueil.
"Et voilà, Yvette est prête pour la journée. A demain tout le monde !", salue l’infirmier, sortant précipitamment de la maison pour filer vers un autre foyer d’accueil. D’un même pas, Régine Tudgdual s’empresse de soutenir Yvette jusqu’à son fauteuil. Une nouvelle journée démarre pour cette famille, habitant dans une petite impasse, rue Saint Elivet à Lannion.
Régine, la mère du foyer, s’occupe de trois personnes âgées à temps plein. L’activité est peu connue. Quatre-vingts séniors vivent dans des familles du département. D’ailleurs, les accueillants se comptent sur les doigts d’une main à Lannion. De ce fait, ils se connaissent bien. Cette alternative à la maison de retraite, "plus humaine", selon Régine, convient parfaitement à des personnes dépendantes.
Un accueil à plein temps
En pleine carrière d’aide soignante de nuit, un cancer a contraint Régine à se reconvertir. « J’aimais trop m’occuper de personnes âgées pour tout arrêter. La solution était toute trouvée, devenir famille d’accueil. » Une activité qui la passionne depuis neuf ans. Rémunérée sur la base d’un contrat d’accueil, elle consacre tout son temps à ce travail.
Sur le comptoir de la cuisine, l’odeur d’un rôti fraîchement préparé par ses soins embaume la pièce. Léon, 66 ans, y jette un coup d’œil en passant, l’air gourmand. C’est le dernier arrivé dans la famille, il y a quelques mois. A travers la fenêtre, Régine profite de ce moment pour surveiller Claude, résident handicapé, avec vigilance. Il bricole devant la maison avec Gérard, le père de famille, en le suivant à la trace. « La solitude leur fait tellement peur qu’ils sont toujours près de nous. Surtout Léon, il panique s’il ne nous voit plus », remarque Gérard.
Des regards et des gestes avant tout
Retour dans le salon. Aux questions posées par Régine, Léon éprouve des difficultés à s’exprimer. Parfois quelques mots succincts sortent de sa bouche. Régine le comprend par d’autres moyens. Son sourire apparaît et ses yeux s’illuminent lorsqu’elle lui parle de son petit-fils Matthieu, 5 ans.
L’enfant vient voir fréquemment sa grand-mère, en profitant pour passer du temps avec Léon. A l’annonce de la nouvelle, les mains de Léon serrent celles de Régine, ses pieds se balancent. Il a hâte. « Mon petit fils a grandi près d’eux. Ils sont très complices. Quand il vient voir Yvette, il demande où est mamie », apprécie l’accueillante.
Témoignage de Léon : ‘‘Quand on lui parle de maison de retraite, il pleure’’
Dans le salon familial aux tapisseries fleuries, chacun s’est implicitement établi une place sur les canapés. Léon est ici et ne veut plus en repartir. « Quand on parle de son foyer, les larmes lui monte aux yeux et il ne veut pas y aller », raconte Gérard. A ses côtés, Yvette a déjà bien fait son territoire. A soixante ans, son visage est marqué par les rides et la fatigue. On lui donnerait vingt ans de plus.
Témoignage d’Yvette : ‘‘Merci Régine, tu m’as beaucoup aidée’’
Retrouver goût à la vie
D’année en année, les personnes âgées défilent chez Régine, marquant chacune à leur façon son esprit. « Toutes les personnes âgées ne peuvent pas aller en maison de retraite. Si vous y mettez Léon et Yvette, ils seront installés en fauteuil, dans un coin. Point barre. On ne s’en occupe plus. »
Dans cette famille « de cœur », ils ont retrouvé un cocon familial, l’envie d’aller de l’avant. « J’ai travaillé en maison de retraite, je sais qu’on n’a pas beaucoup de temps à leur offrir. La preuve, en arrivant, Léon mangeait tout en bouillie. Mais il sait mâcher… ».
Une famille à part entière
Deux chambres au rez-de-chaussée, deux autres à l’étage. Ces pièces où les enfants de Régine ont grandi toute leur enfance sont aujourd’hui réinvesties par une autre génération. Une situation que les jeunes semblent accepter. « Mes filles passent tous les deux jours et s’occupent de Léon, Yvette et Claude. A part ma fille aînée qui a plus de mal, les autres les changent, sortent avec nous. »
Il faut constamment concilier les deux familles. Une invitation pour le mariage de la fille aînée trône sur la commode d’entrée. Tous sont invités.
Un engagement à vie
Vers 11 heures, la sonnette retentit. Régine accélère le pas pour venir saluer son amie Jacqueline, accueillante familiale à la retraite. Retraitée certes mais encore volontaire pour accueillir en secours.
« On n’en sort pas vraiment. C’est un métier où la relève manque quand même. Etre famille d’accueil, c’est un engagement sur le long terme », constate t-elle. Gérard acquiesce.
« Il faut que le conjoint soit là pour accompagner car c’est un choix de vie. On part en vacances ensemble, on les emmène en sortie, ils font partie de notre quotidien. Sans ça, on ne peut pas faire ce métier. Je suis attachée à eux. Le jour où Yvette partira, ce sera trop de souffrance », témoigne Régine devant le regard attentif de la sexagénaire.
Régine l’a vécu en février 2012 quand Yvonne, une femme accueillie est décédée ici. « Je lui avais promis de l’accompagner jusqu’à la fin. C’est aussi ça être famille d’accueil ».
Mathilde LECLERC