(Présidente de l’association Accueil familial pour adultes 43)
et de Belén Alonso (Présidente de Famidac)...
En Haute-Loire, 46 familles accueillent des personnes âgées et handicapées. Une solution qui permet de rompre l’isolement et d’éviter ou de retarder l’entrée en établissement. Une équipe pluridisciplinaire, créée au sein du conseil départemental, les soutient.
Dans la cuisine, une grosse marmite de gelée de pommes trône sur le fourneau, tandis qu’à côté tout le monde papote tranquillement devant la télé allumée. Il y a Elisabeth Roux et Josiane Terminet, toutes deux en situation de handicap psychique, et Marie-Jeanne Cocu, la fringante centenaire qui lit, confortablement installée dans son fauteuil.
« Demain, j’aurai peut-être changé et vous ne me reconnaîtrez pas », lance Josiane, amusée. Passionnée de tir à l’arc comme en témoignent les coupes et les médailles qu’elle a exposées dans sa chambre, la jeune femme est impatiente d’avoir sa nouvelle paire de lunettes pour retrouver sa vision d’avant.
Comme Elisabeth et Marie-Jeanne, Josiane vit chez Odile Giannelli. Voici une dizaine d’années, cette dernière a décidé de lâcher son travail d’agent de service hospitalier au sein des hôpitaux et des maisons de retraite de la région pour se consacrer à l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). de personnes adultes. « J’étais trop indépendante pour le travail en structure. Et il est impossible de faire dans un établissement ce que l’on fait à domicile avec trois personnes », explique cette jeune et dynamique grand-mère.
Dans ce grand pavillon du Puy-en-Velay, chacun, selon ses possibilités et ses envies, est invité à partager les tâches quotidiennes et les activités proposées. Certains mettent la table, d’autres aident Odile à faire la cuisine ou à essuyer la vaisselle, et tous les repas sont pris ensemble. Ici, on vit en famille. On s’attarde lors des veillées après le dîner et on discute des sorties et balades à faire, on choisit ensemble d’aller écouter un concert ou de voir une expo… Odile s’est même mise à la course à pied pour accompagner Josiane dans ses footings. « La vie ici les sécurise, les rassure en leur montrant que, malgré leur différence, elles ont une place quelque part et qu’elles peuvent vivre normalement, que l’on peut discuter, partager des moments et même plaisanter avec certains lorsqu’ils ne vont pas bien », sourit Odile Giannelli.
Préserver l’autonomie de la personne accueillie
Non loin de là, changement de décor et d’organisation chez Isabelle Gros. Cette ancienne psychologue et mère de deux enfants a également quitté la maison de retraite dans laquelle elle travaillait pour se consacrer à l’accueil de personnes à domicile. « Il y a huit ans, lorsque j’ai commencé l’accueil familial, j’ai fait le choix de bien délimiter le lieu de vie des personnes accueillies de celui de ma famille. Je trouve que cela fait aussi partie de leur projet de vie d’être autonomes », explique celle qui est également présidente d’une association d’accueil familial pour adultes au niveau du département [1]
Françoise Dantony est arrivée ici voici trois ans, après avoir « fait une grosse bêtise » dans un moment de déprime. La jeune quinquagénaire vit au rez-de-chaussée avec deux autres personnes ayant, comme elle, un handicap psychique. Chacun y dispose de sa chambre et partage une salle de bains, une cuisine et le salon. Le quotidien s’articule ainsi entre des temps individuels et des activités communes au sein de deux sphères, l’une privée et l’autre plus collective. Les personnes accueillies peuvent aller se promener en ville quand elles en ont envie, y faire des courses, rejoindre une association pour participer à des activités sportives ou de loisir, mais aussi partager certains moments de la journée avec la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! .
« On prend notre temps, on ne les bouscule pas, précise Isabelle Gros. Nous faisons beaucoup de choses autour de la cuisine, prenons les déjeuners ensemble, programmons des sorties comme le cinéma. Et nous sommes aussi très amateurs de balades. On court, l’été, on va au lac tous ensemble… »
Entre l’angoisse provoquée par les changements brusques et les risques de dépression
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liés au sentiment de solitude, ce fonctionnement qui mêle des rythmes et des espaces différents convient parfaitement à Françoise. En ce début d’après-midi, son curateur est venu prendre de ses nouvelles et elle lui raconte ses dernières vacances passées chez sa sœur. « L’accueil familial constitue une bonne alternative entre une vie à domicile devenue trop compliquée, du fait des problèmes de dépendance ou d’isolement, et l’hébergement dans des établissements spécialisés. Les personnes accueillies retrouvent un chez-soi où il fait bon vivre et où les problèmes de santé sont apaisés », assure Patrick Bresson, mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Encadré pour la première fois en 1989 par la loi sur l’accueil familial [2], l’hébergement d’une personne dépendante dans une famille permet d’éviter la cassure brutale d’un placement en établissement en proposant une prise en charge individualisée dans un cadre ordinaire et plus chaleureux. Moins onéreuse que l’hébergement dans une structure collective [3], notamment pour les personnes souffrant d’un handicap psychique, cette solution reste néanmoins encore trop méconnue, souligne l’équipe du SAFA (service accueil familial adulte) [4].
Créée au sein du conseil général au début des années 1990, cette équipe pluridisciplinaire dédiée à l’accompagnement des familles d’accueil et des personnes âgées et/ou handicapées accueillies illustre la volonté du département de développer ce type d’hébergement en Haute-Loire. « Dans l’esprit des gens, l’accueil familial pour les adultes a encore un côté artisanal, du genre “accueil à la ferme”, quelque chose qui ne serait pas très encadré », regrette Caroline Barciet, psychologue au SAFA. Sans compter les réticences de certaines familles naturelles, qui peuvent éprouver un sentiment de culpabilité à l’idée de confier leur proche à une autre famille. « Nous rencontrons des familles naturelles pour lesquelles confier un parent âgé ou un enfant adulte à une autre famille plutôt qu’à une institution crée une forme de rivalité ou un sentiment d’abandon », observe Nathalie Musnier, assistante sociale au SAFA.
En amont, s’assurer que les souhaits concordent
En Haute-Loire, les 46 familles agréées par le département accueillent aujourd’hui une cinquantaine de personnes âgées ou en situation de handicap. Composée d’une responsable de service, de deux assistantes sociales, d’une psychologue et d’un médecin, l’équipe du SAFA a pour mission d’agréer les familles d’accueil, d’en assurer le suivi et le contrôle et d’accompagner les personnes accueillies. Évaluation, conseils, soutien, coordination avec les autres acteurs du secteur médico-social… La présence de ces professionnels rassure les accueillants comme les accueillis.
Dès qu’une demande d’accueil est adressée au département, des membres du SAFA rencontrent la personne qui désire être hébergée et la famille d’accueil pour s’assurer que les souhaits de l’une et de l’autre concordent et qu’il n’y a pas de difficultés majeures. En outre, pour avoir une appréhension la plus complète possible des situations, l’équipe collecte des informations auprès des professionnels ayant orienté les personnes et peut, le cas échéant, rendre visite à la famille naturelle. « Les deux parties concernées sont liées par des contrats de gré à gré et décident naturellement elles-mêmes de s’engager dans ce type d’hébergement, mais elles nous font confiance car nous menons depuis longtemps un gros travail d’évaluation sur le terrain. On va s’assurer auprès des personnes désirant être accueillies qu’elles ont bien conscience du cadre administratif et des obligations, notamment financières, mentionnés dans le contrat d’accueil », explique Marie-Laure Vedel, responsable de l’accueil familial et adjointe du service du maintien à l’autonomie au conseil départemental.
Pas question non plus d’évaluer les demandes d’hébergement de personnes présentant un handicap psychique sur simple dossier. « L’appréhension de la pathologie pour les personnes souffrant d’un handicap psychique est particulièrement complexe, et l’on ne peut pas se contenter de simples certificats médicaux, note Pierre Cance, médecin intervenant au sein du SAFA. Nous allons donc voir, parfois plusieurs fois, la personne candidate à l’accueil et la famille pour avoir une appréciation plus précise de la situation et voir s’il y a une bonne adéquation entre les deux. » Des visites in situ sont effectuées pour vérifier que le logement de la famille d’accueil est compatible avec l’hébergement de la personne âgée ou handicapée et que le projet ne présente pas d’écueils majeurs. « Nous allons, par exemple, examiner le contexte familial et voir avec les accueillants si le conjoint adhère au projet, s’ils en ont parlé aux enfants, quelles sont les limites que la famille d’accueil s’est fixées… », poursuit Marie-Laure Vedel.
Dans le salon d’Odile Giannelli, tout le monde attend l’arrivée de son petit-fils pour passer à table. La maîtresse de maison plaisante avec Josiane, qui doit bientôt se faire arracher deux dents. Depuis longtemps déjà, Odile a clairement posé les limites de l’accueil. Elle demande que les personnes soient suffisamment autonomes pour grimper les escaliers qui conduisent à l’étage et refuse certaines catégories de personnes, notamment celles prises dans des problèmes d’addiction, qu’elle se sent incapable d’accompagner au quotidien.
Des sécurités ont été prévues dans la mise en œuvre de ce mode d’hébergement, comme la période d’essai obligatoire d’un mois qui permet aux familles comme aux personnes accueillies de vérifier si le choix initial correspond bien à leurs attentes. Cette période d’essai permet également aux professionnels du SAFA d’ajuster, si nécessaire, certaines modalités de l’accueil, qu’il s’agisse des habitudes alimentaires, des types d’activités organisées ou des temps de repos, entre autres. Reste ensuite à apprendre à se connaître et à mettre en place un projet de vie au quotidien qui tienne compte des désirs des personnes accueillies et respecte en même temps certaines règles incontournables. « C’est un métier de paradoxe où nous sommes toujours sur un fil, à essayer de maintenir l’équilibre pour respecter la liberté d’agir des personnes que nous accueillons tout en posant un cadre », lâche Isabelle Gros.
La jeune femme doit d’ailleurs avoir une nouvelle discussion avec l’une des trois personnes hébergées chez elle. Très indépendante, travaillant dans un ESAT (établissement et service d’aide par le travail) durant la journée et se déplaçant seule avec une voiturette, celle-ci a tendance à confondre vie en famille d’accueil et hébergement à l’hôtel. « Il a fallu que je lui explique que l’on déjeunait ensemble tous les jours à des heures données et qu’ici ce n’était pas une cafétéria. Ce cadre est très sécurisant, même pour des personnes autonomes », souligne Isabelle Gros. Même chose chez Odile Giannelli.
En fin d’après-midi, il a fallu ainsi faire comprendre à Elisabeth qu’elle devait être rentrée avant la tombée de la nuit. « Tout n’est pas négociable, et c’est parfois délicat à expliquer. Je suis là pour les rassurer, les sécuriser, mais aussi pour leur dire quand quelque chose ne va pas », précise l’accueillante.
Prévenir épuisement et sentiment d’envahissement
Au fil du temps, les familles d’accueil peuvent parfois être confrontées à deux écueils : le sentiment d’envahissement et l’épuisement. L’équipe du SAFA est attentive aux premiers signes d’une fatigue qui pourrait conduire à des actes de maltraitance. « Nous sommes là pour dire “stop” lorsque nous sentons qu’une famille est usée et ne tient plus le coup », assure Marie-Christine Chambon, assistante sociale au SAFA.
Lorsque de tels signes d’épuisement apparaissent, l’équipe intervient pour mettre en place des solutions permettant à la famille de souffler un peu, via des relais avec des associations proposant des activités aux personnes accueillies ou des accueils de jour temporaires à l’hôpital. Elle peut également orienter les familles qui veulent prendre un congé vers d’autres familles d’accueil pour assurer un temps l’hébergement des personnes. Puis il y a les familles qui se sentent parfois envahies par les personnes vivant sous le même toit et partageant leur quotidien depuis un certain temps. Occupant une place de tiers médiateur, le SAFA peut alors intervenir pour apaiser les incompréhensions et les risques de conflits éventuels. Pas toujours facile, par exemple, d’aborder certaines questions d’hygiène quotidienne.
Isabelle Gros en a fait l’expérience récemment avec l’un de ses « pensionnaires » : « Il refusait de se laver et dormait tout habillé. L’assistante sociale du SAFA est venue avec son tuteur pour lui parler, ce qui m’a permis par la suite de revenir plus facilement là-dessus avec lui. » La jeune femme a également trouvé un appui précieux auprès des professionnels du SAFA lorsqu’elle a dû renoncer à garder sous son toit une femme devenue violente du fait de l’évolution rapide de sa maladie d’Alzheimer. « L’équipe du SAFA a su trouver les mots pour me convaincre de la laisser entrer dans un EHPAD[établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], se souvient Isabelle Gros. J’avais l’impression de l’abandonner et de trahir sa famille d’origine. »
Si l’accompagnement mis en place par le département par l’intermédiaire du SAFA constitue indéniablement un gage supplémentaire de réussite de ces modes d’hébergement, il ne remplace pas les qualités nécessaires à l’accueil des personnes vieillissantes ou handicapées à domicile. On ne peut pas tenir si l’on fait ce métier uniquement pour des raisons financières, martèlent ainsi les professionnels, évoquant ces familles d’accueil qui ont souhaité accompagner jusqu’au bout certains de leurs protégés arrivés en fin de vie. « En Haute-Loire, il existe une vieille tradition d’accueil, notamment d’enfants orientés par l’aide sociale à l’enfance, qui nourrit une forme d’altruisme. Et je trouve que ces familles d’accueil sont très tolérantes et ont de réelles capacités d’écoute », estime Caroline Barciet. Liberté d’aller et venir dans un cadre rassurant, stimulation d’une vie pleinement active au sein d’une famille, sentiment de retrouver une place dans la vie normale et d’en être acteur…
Les bénéfices de cette forme alternative d’hébergement sont nombreux, répètent en chœur familles d’accueil et professionnels du département. Et le bien-être des personnes s’en ressent. Françoise explique ainsi n’avoir pas été hospitalisée depuis trois ans. Quant à Josiane, elle a récemment pris son assistante sociale à part et lui a glissé : « Ça y est, j’ai enfin trouvé ma vie ! »
Focus : Un statut en évolution
Selon l’association Famidac (www.famidac.fr), il y aurait aujourd’hui quelque 10 000 accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés. agréés en France [5]. Association nationale créée en 1997 et comptant actuellement plus de 900 adhérents, Famidac a pour objectif d’accompagner le quotidien des familles d’accueil et de les fédérer pour défendre les intérêts de la profession. « En étant dispersés, nous étions très fragiles et un peu à la merci du bon vouloir des conseils départementaux, explique Belén Alonso, présidente de Famidac. Il s’agit de créer un sentiment d’appartenance à une profession en défendant non seulement les droits des accueillants familiaux, mais aussi leurs devoirs. »
Pour essayer de faire évoluer le statut des accueillants familiaux, l’association s’est inspirée des « grandes sœurs » que sont les assistantes maternelles et familiales.
Après l’obtention d’un contrat type en 2002 puis l’arrivée programmée d’un référentiel national d’agrément et d’un autre pour la formation, Famidac se bat aujourd’hui pour que les accueillants familiaux puissent bénéficier des allocations chômage en cas de perte d’activité.