"Je viens de faire un rêve formidable, sans rapport avec aucun personnage existant ou ayant existé.
Quel bonheur ! Voilà :
Je suis promoteur immobilier militant.
Un peu partout en France, je fais construire de magnifiques maisons jumelées sur des terrains que les communes m’offrent pour une durée de 99 ans et un Euro symbolique. Tant qu’elles y sont, ces municipalités financent la voirie, les raccordements aux réseaux, l’aménagement des abords, les clôtures... Sympa, non ?
Tout aussi sympa, mon banquier m’avance sans rechigner le coût de ces maisons. Normal, les communes garantissent à 50% le remboursement de ces emprunts, les hypothèques couvrent le reste.
Dans chacune de ces maisons, j’héberge six personnes âgées ou handicapées. Pour s’en occuper, je sélectionne des gens pleins de bonne volonté. Deux accueillants familiaux
accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
, chacun étant responsable de trois pensionnaires, ça en fait 1 pour 6 lorsque l’autre accueillant s’absente. Le paradis.
Certains prétendent que c’est totalement illégal, mais faut quand même pas chipoter : ça me fait 8 heureux locataires par maison. Les loyers tombent chaque mois, ça permet tout juste de rembourser la banque (et mes menus frais).
Car évidemment, qu’alliez-vous imaginer, je fais tout ça par pur militantisme, pour le bien de l’humanité. Je me demande d’ailleurs moi-même de quoi je vis.
Car des frais, j’en ai de plus en plus avec les tracas que me font régulièrement tous ces accueillants familiaux. Faut dire qu’ils ont un semblant de liberté : ils sont locataires de mon entreprise, mais officiellement salariés "indépendants" de leurs pensionnaires. Certains se croient même tout permis : ils prennent des initiatives, tentent de se renseigner, de correspondre avec d’autres familles... En résumé, ils me font régulièrement des misères. Difficile de tout contrôler.
Par le plus pur des hasard, une loi vient d’être votée, autorisant le recrutement des familles d’accueil par des établissements.
Justement, mon entreprise vient d’obtenir le statut d’établissement. Logique, c’est une espèce de maison de retraite avec des pavillons répartis dans toute la France, tandis que d’autres se concentrent dans un seul immeuble.
Ca tombe à pic. Mon plan peut passer à sa deuxième phase.
J’embauche tous mes accueillants familiaux, qui deviennent enfin MES salariés. Leurs pensionnaires deviennent MES pensionnaires, en tout cas les pensionnaires de l’Établissement que JE dirige. Je n’encaisse plus uniquement leurs loyers, mais leurs loyers plus leurs frais de pension, le tout au tarif "établissement".
Les avantages d’une maison de retraite, les inconvénients en moins : moins de personnel, et surtout du personnel isolé, chacun dans son coin. Pas besoin de médecin ni d’infirmière. Je recrute des petits jeunes sans emploi ni formation, d’ailleurs ils me doivent tout. Le premier qui se rebiffe se retrouve à la rue. C’est moi qui les forme. C’est moi qui gère tout. C’est un produit standard, le règlement est affiché partout. Demain, c’est moi qui fournis la nourriture, les produits d’entretien, la lingerie, les couches, le papier WC.
Rien à voir avec ces anarchistes qui prétendent accueillir des gens chez eux, chacun à sa façon. Des bricoleurs qui font vivre le boulanger du coin, qui discutent bêtement entre eux, qui ont des idées incontrôlables.
Faut que je pense à trouver des casquettes, des uniformes. On mettra des caméras et des micros partout, c’est plus sûr. Ca s’appellera l’Accueil Macdofamilial. Le meilleur des mondes.
Zut, quel cauchemar... Réveillez-moi !"
Etienne Frommelt - février 2002