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Maison de Retraite, le blues...

Auteurs : Pascale D (cadre infirmier), Dr Patrick Chereau Vinzier

Voici deux courriers échangés sur la liste de diffusion de Gérialist, reproduits ici avec l’accord de leurs auteurs.

Thème de la discussion : peut-on parler de "clients" en maison de retraite ???


Pascale D., cadre infirmier en MDR

On discute pour savoir s’il faut parler de résident, de patient, de vieux, de pensionnaire ou de client...

Revenons aux réalités quotidiennes. Il y a des soirs, après sa journée de travail, où on n’est pas fier fier de ses actes. Ce soir pour moi c’est le cas.

Les personnes ici vivent chez elles (elles payent un loyer) dans un lieu nommé maison de retraite (c’est une grande maison avec des chambres qui ferment à clef et qui donnent toutes sur un couloir avec des pièces communes), un peu comme les foyers de jeunes filles, de travailleurs... etc. Bref ces personnes payent parce qu’elles sont, dit-on, "dépendantes". Elles paient aussi pour recevoir des soins des médicaux. et attendent peut-être un peu de considération, d’amour, de la présence pour exister...

Quand elles arrivent à la maison de retraite elles viennent avec un ou deux grands sacs de voyage qui contiennent surtout des vêtements (le fameux trousseau avec le nom et le prénom soigneusement cousu sur chaque pièce). Comme pour les gamins qui partent en colo.

Peut être suis je un peu beaucoup à côté de la plaque mais un moment que je déteste le plus dans mes fonctions c’est celui où il faut dire aux enfants d’une vielle dame qui va entrer dans l’établissement :

"Je vous remercie de coudre des marques tissées aux noms et prénom de votre maman... Si vous pouviez les coudre sur les 4 côtés ce serait parfait... Ah j’oubliais, si vous mettez ces étiquettes en vue c’est encore mieux pour la distribution du linge."

Bein oui, ces personnes qui ont besoin que leur fille, belle-fille, gendre, voisin, cousin, ami, amant, brode leur nom sur leurs vêtements, comment devons nous les appeler ?

Ils arrivent quasiment tous nus avec 2 photos, un tricot commencé depuis... depuis ??, une boite à gâteaux pleine de souvenirs. On rajoute la télé pour meubler. Ca fait de la vie, la télé, lorsqu’elle est allumée. On en oublie mémé.

Ce soir je ne suis pas fière. Je suis restée 10 heures sans sortir de la maison de retraite, et sans faire autre chose que de me battre contre l’administration. C’est la fin de l’année. Tout le monde est fatigué. Nous travaillons en sous effectif depuis des lustres. Les arrêts maladies ont été remplacés jusqu’à présent. Mais c’est fini, "faites comme dans les autres services, allez hop les pions d’Aides Soignants et d’ASH, au travail".

Cette après midi, y’avait conseil d’administration. Nous n’y sommes plus conviés. Alors on s’organise, on s’interroge, on panique, on constate qu’hier encore une collègue est partie aux urgences en souffrant terriblement après un accident de travail idiot : elle s’est mal positionnée en couchant une dame. Cette dame, elle est quoi ??? Une cliente, une patiente, une locataire.....??????

On s’organise. Et nous décidons et je décide : dans un premier temps on supprime la fonction "bergère" les moutons vont pouvoir se reposer sous les lits. On va recoucher les personnes les plus dépendantes plus tôt. Seules les grandes toilettes indispensables seront effectuées.

Pour les repas, Mme X n’est plus là depuis hier. Elle nous a quittés. Nous gagnons du temps. Chic, sa remplaçante est autonome pour l’alimentation. N’empêche qu’on l’aimait bien, Madame X , et qu’on est tristes !!!!!

Mais bon, on ne va pas en parler pendant 10 ans, de notre tristesse. Un lit vide = Un lit plein.

  • "Vite, vite on fait briller la chambre.
  • Mais madame le papier peint est sale et ce serait mieux de repeindre
  • ..........
  • Que vont penser la personne suivante et sa famille ?
  • Désolée, c’est comme ça. La chambre doit être habitable ce soir !"

Que sont-ils, nos locataires ????? Ils paient. S’ils ne paient pas, pas de rentrée d’argent donc augmentation du prix de journée. Le remplissage doit frôler les 100%. Si on ne remplit pas, le loyer augmentera pour les nouveaux mais aussi pour les anciens (ceux qui vivent là depuis plus longtemps) : il a fallu 2 ans pour que je comprenne cela.

Pour les soignants, pas de temps pour pleurer. Pas de temps pour faire le deuil. 2 jours de congé dans la semaine et à votre retour dans la chambre de madame R, c’est un monsieur inconnu, dont personne n’a jamais parlé qui s’est installé. Madame R et monsieur l’inconnu ils sont qui pour nous ?? Et nous nous sommes qui pour eux ???.

Sur gérialist, nous parlons d’amour. Nous parlons de soins. Nous parlons de démarche de soins élaborée en lien avec nos résidents !!!!! Je n’ose plus ouvrir les yeux - lorsque je regarde autour de moi je vois. Un Monsieur qui se retrouve avec le doigt coupé après qu’un soignant ait brusquement fait avancer son fauteuil roulant... Il a une fâcheuse habitude à laisser traîner ses mains sur les roues alors rien d’étonnant à ce qu’il se fasse mal. Sa femme n’est pas ravie ravie lorsqu’elle constate la blessure. Que dois-je lui dire ?????

Une dame a tellement glissé dans son fauteuil roulant que la ceinture de contention la retient par le menton. La petite remplaçante est désolée. Elle ne savait pas comment placer les sangles derrière le fauteuil.

Madame S, ce matin, a pris le traitement médicamenteux d’une autre personne dont le nom n’est pas très éloigné. C’était juste un comprimé d’"E...". Tant mieux, on l’a échappé belle ! Elle dormira un peu ce matin c’est tout.

Je ne sais pas très bien qui nous sommes, les AS, les ASH, les IDE, et moi-même la chef d’équipe. Pour le plus grand nombre nous rêvons de pouvoir donner, à ces personnes qui nous font confiance, le meilleur de nous même pour les accompagner, les soigner, les chouchouter.

Quand je suis arrivée là, il y a 3 ans, quelques personnes déjeunaient sur leurs chaises percées. Les week-ends, les résidents plus lourds restaient couchés. Le droit à une douche par semaine était celui des privilégiés (ceux qui avaient une famille suffisamment présente pour qu’on se méfie !).

Tout cela c’est fini. Aujourd’hui rien n’est gagné ! Tous les jours on me fait part d’arguments qui sont suffisamment élaborés et documentés pour que j’accepte des prises en charge irrespectueuses des résidents. Un exemple de bonne idée : une dame n’arrivait plus à ouvrir la bouche, néanmoins elle acceptait volontiers que nous la fassions manger. Alors je dis oui à la proposition de la faire manger avec une grosse seringue le temps qu’elle reprenne des forces. Je disparais de la circulation pour 3 semaines de vacances. A mon retour le stock de seringue est conséquent. Les seringues sont largement utilisées, y compris pour d’autres. J’ai posé la question du pourquoi pour lui, pour elle ? Finalement les seringues sont reparties à la pharmacie.

Ces derniers jours je lis les arguments des uns et des autres sur la façon dont nous considérons nos anciens, nos vieux. Lorsque je pense qu’ils sont des clients résidents, je me sens redevable. Ce soir je trouve que franchement ces deniers temps je suis payée sans leur rendre le service que je leur dois.

Je n’accepte pas la violence. Je n’accepte pas la maltraitance. Je me sens démunie. Quand Yves Gineste nous déclare : "Pour moi, je n’accepte de traiter avec un hôpital que si la formation ne s’adresse pas aux seuls soignants, mais aussi à tous les partenaires : Directeur, administratifs de tous ordres, médecins, soignants, mais aussi personnel d’entretien etc. Avec en plus des modules avec toutes les forces de l’hosto : syndicats, gestionnaires, représentants des familles et des clients, etc. Si l’hosto accepte de s’engager par une charte, élaborée avec mon aide, mais par lui, charte signée par tous, qui prévoit entre autre les procédures et sanctions. Je suis formateur, pas animateur de formation, et cela m’impose des règles d’efficacité et des engagements réciproques. Et ceci est à prendre ou à laisser, car je refuse d’être une excuse, un prétexte, pour qui que ce soit. Et ceci m’amène tout droit à la notion de client".

Malheureusement avec ce type de contrat Yves ne signera pas avec bon nombre d’institution. Alors je souhaite qu’un système d’accréditation qui s’attachera plus au fond qu’à la forme permettra enfin aux bénéficiaires de nos soins d’avoir l’assurance que soient appliqués sans réserve les fameux projets de vie dans toutes les institutions.

Je suis désolée, mais ce soir j’ai perdu mon optimisme. Je suis ttttttriiiiiste et découragée.

Cordialement, Pascale

Dr Patrick Chereau Vinzier

Ce que vous dites est intéressant car un de mes patients, après avoir séjourné quelques temps dans une maison de retraite médicalisée, a séjourné ensuite quelques temps dans un hôtel (le patient avait des moyens substantiels et suffisants).

Il m’a alors expliqué comment, payant pourtant presque autant par mois, il était mal considéré dans ses demandes (jugées trop exigeante) à la maison de retraite et comment par contre il était très "chouchouté" a l’hôtel, ou l’on acceptait même de porter les repas a sa chambre (le pourboire peut-être y contribuait)...

Il m’expliquait qu’à l’hôtel tout le monde était attentif au fait qu’il payait, tandis qu’à la maison de retraite il semblait dans un univers atypique ou certains soignants reconnaissaient qu’il payait tous les mois et donc devait être considéré comme chez lui tandis que d’autres pensaient que l’institution appartenait aux soignants et que "le patient" n’était là que pour des soins. [...]

P. Chereau Vinzier

P.-S.

Quelques autres témoignages, publiés en 2013 sur www.agevillage.com/actualite-9596-1-label-humanitude-maison-de-retraite-ehpad.html (extraits) :

SOS URGENT

(...) pas assez de personnel, la maladie évolue a grande vitesse, le personnel manque de formation mon papa mal pris en charge dans son ehpad... On le voit chaque semaine un peu plus perdu dans ce vide oui pour l’humanitude mais il faut commencer par le début plus de personnels même les agents qui ont fait la formation n’en peuvent plus. Je connais des soignantes qui dépriment, rentrer chez elle elles sont à bout, elles ne peuvent même pas conseiller à qui que ce soit l’ehpad où elles travaillent et des commentaires j’en passe elles se sentent maltraitantes par la force des choses : que de souffrances, alors oui DES GRANDS SOS ! (25/07/2013 - Rose)

Personnel de passage...

Mêmes caractéristiques que celles indiquées ci-dessus ! manque de personnel titulaire, beaucoup de stagiaires qui ne connaissent pas forcément bien leur travail et n’ont pas le temps de connaitre aux mieux les résidents. Manque d’encadrement = désorganisation des services et donc mécontentement des résidents (ceux qui sont conscients !), insatisfaction et impatience du personnel en retour. Beaucoup de choses à revoir !!!! (08/10/2013- mafra31)

Respect

La maison de retraite où vit ma Maman est devenue celle où je ne voulais pas qu’elle vive. Quand je l’ai inscrite, le bâtiment était vétuste mais la chaleur humaine présente. L’esprit d’équipe du personnel régnait à l’intérieur. Depuis la rénovation, chaque équipe dispose de son étage et le personnel semble toujours débordé, n’est plus disponible. Les Papis Mamies sont stockés devant les télés, certains mangent avec leur doigts, d’autres hurlent devant des portes que les aides soignantes n’ouvrent pas. Ma mère est changée 2 fois par jour parce qu’elle est obèse, doit attendre qu’il y ait 2 personnes dans l’équipe pour être soulevée de son fauteuil, couchée ou autres. Si le soir, elle a besoin d’être changée, on la couche pour la changer et ensuite elle dîne seule dans sa chambre. Voilà ce qu’est devenu la maison de retraite où il fait bon vivre selon la plaquette. (12/10/2013 - Saulcat)

Un MINIMUM

Je vois vos commentaires et je suis formatrice en EPHAD... vaste besogne, où je trouve des personnels débordés, pleins de bonne volonté mais les moyens financiers font nettement défaut. La surcharge de travail fait qu’elles font un minimum et qu’elles essayent de se préserver à leur tour. (...) (22/10/2013 - jojo).