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Raconte-moi la vie ... et l’accueil familial

Auteur : Fernand Heyraud - "Raconte-moi la vie, ou Un vrai canular", éditions Opéra (extraits)

2002 : Fernand, 66 ans, ancien éducateur spécialisé, est handicapé depuis plusieurs années ; trachéotomisé, il respire à l’aide d’une canule. Fernand est décédé en 2004.

Depuis la nuit des temps

Il n’est pas toujours facile de garder l’espoir que les situations vont s’améliorer. Cela est vrai dans le cas d’une maladie, mais aussi pour bien d’autres situations. Je m’étais promis d’évoquer un sujet que je connais un peu, par ma profession, il s’agit des familles d’accueil. Je relie ce sujet facilement à cette espérance et je vais expliquer pourquoi.

Ces gens font un travail auprès de personnes qui en ont besoin. Voilà des années qu’ils demandent à être reconnus. La même rengaine sur leur utilité, sur le plus beau métier du Monde etc., se poursuit. Il y a toujours des familles d’Accueil et courageusement elles continuent à réclamer leur dû : une reconnaissance de leur travail. L’espoir et surtout l’espérance sont de la même veine que l’entêtement. L’espérance ce n’est pas croire que les rêves se réalisent tout seul.

Les Familles d’Accueil, même si on appelait cela autrement, existent depuis la nuit des temps. Car l’humanité a toujours été faite de gens avec des problèmes et il y a heureusement toujours eu des individus pour essayer de les aider. Des personnes ne faisaient pas exprès d’avoir des difficultés, d’autres au contraire avant de tout comprendre cherchaient à leur venir en aide. Notre monde n’est pas né dans l’indifférence et ne vit pas, non plus, dans l’ignorance des difficultés des uns et des autres.

Cette générosité naturelle, ce sens des autres ont toujours existé, même si on en parlait autrement. Il s’agit là d’une des plus grandes richesses de I’humanité. Toutes ces ressources les hommes les portent en eux. Ce ne sont pas des vocations dont bénéficieraient simplement certains individus. Ce sont plutôt des dons confiés à l’humanité toute entière pour être, en quelque sorte organisés et utilisés.

J’essaie d’expliquer cette attitude ancienne que les hommes ont entre eux, qui est faite d’une certaine compassion, au bon sens du terme. C’est là que s’enracine la tradition des Familles d’Accueil. Les travailleurs sociaux, assistants sociaux et éducateurs, dont je fais partie, feraient bien de se rappeler cela.

Les Familles d’Accueil ont une ancienneté plus grande dans la pratique de la solidarité. Les relations entre ces deux manières d’aborder la solidarité, ne sont pas toujours très sereines. Cette collaboration, que chacun reconnaît nécessaire, a introduit une hiérarchie et une répartition des pouvoirs qui n’a pas été élaborée ensemble.

L’attitude des politiques qui sont censés donner des perspectives aux uns et aux autres est pour le moins obscure, pour ne pas dire occulte. Il suffit de se référer aux dernières lois promulguées sur les assistantes maternelles ou encore la loi sur l’accueil, à titre onéreux, de personnes handicapées ou de personnes âgées. Chacun a reconnu quelques clarifications mais les problèmes de reconnaissance ne sont pas résolus. Les Familles d’Accueil en sont encore au stade d’un sous-prolétariat du travail social, ce qui est un comble, autorisé par la loi.

Il faut donc une bonne dose d’espérance pour continuer à travailler dans ces conditions-là. Comme les français sont débrouillards, il ne faut pas s’étonner de certains dérapages dangereux. Les difficultés sociales des temps actuels ne devraient pas servir de paravent pour ne rien faire, en se disant qu’il y aura toujours assez de Familles d’Accueil. Ce serait un mauvais calcul, et en même temps une injustice. Pour aider certaines personnes qui entendraient parler de Familles d’Accueil pour la première fois, et se demanderaient où je veux en venir, je voudrais simplement raconter l’histoire de ma propre famille.

Nous étions déjà sept à la maison. Ma mère, sans doute pas toute seule car il y avait déjà des assistantes sociales à l’époque, avait décidé d’en prendre un huitième. On l’appelait Jojo, il s’appelait Alfred. Nous n’étions pas très riches mais nous partagions, je ne sais pas si ma mère recevait de l’argent pour le garder. Puis un jour, pour des raisons que je ne connais pas et que je ne connaîtrais jamais, quelqu’un a décidé qu’il devait aller continuer sa vie ailleurs.

Je ne sais pas comment s’est passé le départ. J’ai entendu ma mère le raconter avec des larmes dans les yeux. Elle avait écrit et mis dans l’une de ses chaussettes cette phrase : "Madame, qui que vous soyez, donnez-moi des nouvelles de mon Jojo." Suivait bien sûr notre nom et notre adresse.

Il avait été placé dans une ferme à Yssingeaux, dans la Haute-Loire, à une petite cinquantaine de kilomètres de Firminy. En ce temps-là, les kilomètres étaient plus difficiles à franchir que de nos jours... Ce n’était pas le même département. Il y a bien eu un top-secret donné par quelqu’un et il a été tenu. C’était peut-être justifié, en tout cas ce n’était pas très humain. La suite de l’histoire pencherait plutôt dans ce sens.

Jojo a cherché à nous retrouver. Il n’a pas rencontré d’aide autour de lui. Il lui a fallu attendre son service militaire. Quelqu’un a pris sa requête au sérieux.

Il nous a retrouvés pour apprendre le décès de ma mère.

Je me souviens l’avoir revu à cette occasion. Je connais sa femme et ses enfants et réciproquement. Il est venu passer quelques jours chez moi à Landerneau. Nous sommes allés chez lui à Yssingeaux. Il entretient des relations avec tous mes frères et sœurs.

Je ne saurais dire ce qu’il est pour moi et ce que je suis pour lui. Je n’aime pas beaucoup l’expression frère de lait et pourtant elle dit bien ce qu’elle veut dire. Il a partagé avec nous, un peu de l’amour de ma mère. J’en suis très fier et très content pour lui. Je peux assurer qu’il reste très attaché à notre famille et il sait bien qu’il en fait un peu partie. II avait plus besoin de nous retrouver que nous. Il avait fait l’expérience d’une famille nombreuse, nous, nous sommes restés nombreux malgré son absence. Nous l’avons perdu de vue, lui s’était retrouvé tout à coup un peu seul.

Lorsque je suis devenu travailleur social professionnel, quelque trente ans plus tard, j’ai retrouvé ces Familles d’Accueil. Des histoires comme celle de Jojo, j’en ai vues et j’en ai entendues. Elles se ramassent à la pelle comme aurait dit le poète.

Dans la situation où il faut, décider de l’avenir de quelqu’un, les travailleurs sociaux sont confrontés à des problèmes difficiles. Le temps et les moyens de peser le pour et le contre, ne sont pas toujours donnés. Un enfant, un adolescent, un jeune, une personne handicapée, une personne âgée, tous ces gens susceptibles d’avoir besoin ou recours à une famille d’Accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! , sont des êtres à aimer, il y a des risques. En écrivant cela, je me donne des bâtons pour me faire battre. Ma formulation est ambiguë, à la rigueur elle est bien gentille et puis voilà. Je sais tout cela, et pourtant je persiste et signe.

Il me semble important de respecter le domaine dans lequel les familles d’Accueil excellent. Elles ont existé avant les travailleurs sociaux. Elles se situent dans un registre plus global que l’éducateur ou l’assistant social.

Si le mot amour fait peur et fait bondir certains adeptes d’un langage plus technique, employons d’autres mots comme chaleur, tendresse, compréhension, écoute, etc.

Dans un cadre familial, la vie ne se déroule pas comme dans un centre spécialisé. Des sentiments sont réveillés et s’expriment parfois d’une manière pas toujours contrôlée, souvent moins violente. Les personnes, même perturbées, perçoivent très bien l’ambiance qui règne et qui régit une Famille d’Accueil. Elles en éprouvent du respect, expriment plus calmement leurs troubles.

Ces mêmes personnes perçoivent vite les faiblesses d’une vie familiale apparemment bien organisée et expriment alors violemment leurs malaises.

Ce sont des phénomènes que tous les travailleurs sociaux connaissent. Cela a un rapport avec ce que les psychanalystes appellent un transfert. D’une manière plus facile à comprendre, ils revivent des situations qui ressemblent à d’autres, vécues antérieurement avec des personnes différentes. Il y a parfois confusion entre le présent et le passé. Ces phénomènes un peu conflictuels se produisent souvent dans les familles d’Accueil. Il faut même s’inquiéter quand rien ne se passe. Nous serions rendus à un stade où plus rien ne pourrait plus évoluer.

Je me suis toujours étonné de la faculté des familles d’Accueil à vivre ces passages difficiles et parfois longs. Elles ne faisaient pas à appel à des théories plus ou moins savantes, mais à un certain bon sens cordial ou fraternel, dans le sens où il va plus loin qu’une simple solidarité. Ces Familles d’Accueil demandent à comprendre ce qui se passe dans des situations comme celles que j’évoque d’une manière un peu théorique.

Solitude, formation, statut...

J’ai toujours été frappé par la solitude des Familles d’Accueil. Dans beaucoup de cas, elles doivent se débrouiller avec leurs difficultés. Les assistantes sociales, souvent au plus près des familles d’Accueil sur le terrain, ont en même temps d’autres tâches à accomplir. Il est étonnant que des assistants sociaux ou des éducateurs n’aient pas été formés à cette fonction. Cela existe un peu, mais c’est si rare. De même, j’ai quelques réserves sur la formation qui est proposée aux Familles d’Accueil actuellement. Je me demande si on ne leur propose pas une formation sous développée, de travailleurs sociaux de seconde zone.

Un peu partout, des éducateurs et des assistants sociaux décident de devenir Familles d’Accueil. C’est peut-être de là que viendront certaines solutions. Avoir été travailleur social, peut aider à être Famille d’Accueil. Pourtant, ces éducateurs découvriront très vite, qu’être Famille d’Accueil, est autre chose. J’ai failli dire, un autre métier, mais ce n’était qu’un rêve.

Pour que mon rêve devienne réalité, il suffirait d’abord que les Familles d’Accueil aient un statut digne de ce nom. Il faudrait, qu’elles cessent d’être "un peu" salariées : elles ont actuellement un fixe qui ressemble à une aumône, un petit revenu minimum d’insertion en travaillant. Pour le reste de leur rémunération, ce sont des bénévoles légalisés. Il y a beaucoup de demandes sans contrepartie. Cette partie de leur revenu est souvent un vrai casse-tête, qui varie d’un département à l’autre, d’une catégorie d’accueil à l’autre. L’arrivée de quelques travailleurs sociaux parmi les Familles d’Accueil, redonnera à celles-ci un peu de moral pour défendre leur profession. Il faudrait qu’elles se décident à sortir de leur isolement.

Cela est plus facile à dire qu’à faire. Il y a eu quelques avancées. Tout n’est pas tombé tout cuit du ciel Mitterrandien ou Chiraquien. Cependant je ne puis m’empêcher de constater certaines constantes avec d’autres professions, pour ne pas dire avec toutes. Chez les agriculteurs, il y a ceux qui font la betterave, la pomme de terre, ceux qui élèvent les vaches, les cochons ou encore des poulets. Tous ces gens-là ne sont jamais contents ou mécontents de leur sort, en même temps. Des différences, parfois de la zizanie, ont été créées entre les gens à l’intérieur d’une profession qui était au départ unique : l’agriculture. Depuis ce temps-là personne n’est content.

C’est diviser pour mieux régner. C’est aussi défaire des blocs, pour affaiblir des solidarités. Chacun y a trouvé, à un moment ou l’autre, son compte. Mais il y a peut-être des limites à ne pas dépasser.

Pour les Familles d’Accueil, c’est le même procédé, il y a celles qui accueillent des enfants normaux, celles qui accueillent des enfants difficiles. Il y a les spécialistes des adolescents, des drogués, des enfants ou adolescents handicapés mentaux. Depuis la Loi de juillet 89, existent les familles d’Accueil pour adultes handicapés adultes handicapés Pour avoir la qualité de personne handicapée au sens de la loi, celle-ci doit avoir soit un taux d’Incapacité permanente partielle (I.P.P.) égal ou supérieur à 80%, soit un taux d’I.P.P. compris entre 50 et 80 % ET une reconnaissance d’inaptitude au travail. et personnes âgées. La liste n’est pas exhaustive.

C’est dans tous les cas une fonction difficile et chacun défend son bout de gras dans sa catégorie. Pour ceux qui nous gouvernent, c’est du gâteau. Les catégories sont plus ou moins nombreuses, les revendications ainsi dispersées se perdent dans le ronron habituel des réclamations, dans le temps et l’espace. Pour les familles d’Accueil, aussi, elles peuvent avoir l’impression d’y avoir trouvé, à un moment donné leur compte. Je crains que ce ne soit une illusion.

Des redéfinitions sont inévitables. J’ai parlé des Familles d’Accueil que je connais un peu. Mais il y a une autre raison.

La tâche qu’accomplissent les Familles d’Accueil, c’est un travail oui ou non ?

(...)

Je citerai cette anecdote qui est une parabole. Je m’adressais un jour à un groupe d’enfants de 8 ans. Je racontais une émission de télévision. En Amérique des robots donnent à manger aux handicapés. Un jour les personnes handicapées ont cassé les robots. Je racontais cette histoire dans un contexte bien précis. Je n’avais pas l’intention de rajouter quoi que ce soit. Tous avaient bien compris le message.

Un enfant, se croyant à l’école, a levé la main :

  • "Monsieur, Monsieur, je sais pourquoi les handicapés ont cassé les robots".

Surpris, je lui ai dit alors :

  • "Dis-nous !
  • C’est parce que les robots n’aiment pas les handicapés."

Cette histoire est une parabole, elle en dit plus qu’il n’y paraît. Le progrès ne remplacera jamais l’homme, le seul vrai progrès sera celui qui fera une place de plus en plus grande à l’Homme."

Glossaire :

(...)

FAMILLE D’ACCUEIL : Voilà encore une expression qui contient une part de rêve humaniste et solidaire. Qui n’a pas envie de se croire et d’être accueillant ? L’accueil est même devenu une véritable profession. Il y a des techniciens de l’accueil. Il ne viendrait à personne l’idée de ne pas rémunérer correctement ces hôtes ou hôtesses du sourire, de la politesse et de l’information.

Pourquoi ne pas penser et envisager sérieusement de donner la même reconnaissance aux Familles d’Accueil ? Elles sont des "opératrices" de l’Action Sociale et non des auxiliaires subalternes, dont on pourrait à la rigueur se passer. Ce serait le signe que l’État et la société ont enfin vu le travail qu’elles accomplissent.

Pendant toute ma carrière de travailleur social, je me suis retrouvé, un peu comme dans un désert, à tenir ce discours... J’avais même parfois l’impression d’être un prophète de malheur. J’ai essayé de comprendre pourquoi, sans vraiment y parvenir.

Quand il m’arrivait de demander à certains travailleurs sociaux, s’ils accepteraient de travailler pour le même prix que les Familles d’Accueil, je les ai toujours vus s’en aller, en commençant par les plus hauts salaires. Je m’occupais sans doute de ce qui ne me regarde pas. Les travailleurs souvent férus de Loi, semblaient ignorer cette situation. Ce n’était pas leur affaire.

Finalement, je n’ai trouvé d’autres explications qu’une sorte de fantasme de l’argent sale. Reconnaître les Familles d’Accueil comme une profession, ce serait un peu comme supprimer le dernier halo idéaliste qui devrait absolument exister et, pourquoi pas, nourrir les Familles d’Accueil. Je me suis parfois demandé si, donner un salaire honnête et dû a Familles d’Accueil, ce n’était pas le voler à quelqu’un d’autre tellement cela semble difficile à réaliser.

Ce discours faussement idéaliste est peut-être entré dans la tête de certaines Familles d’Accueil. Elles ont parfois aussi le fantasme l’argent sale. Il est plus que temps qu’elles sortent de leur isolement, de leur silence et de la clandestinité. Oserais-je dire qu’il y a déjà assez de "travailleurs clandestins" ?

Fernand Heyraud