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16 - Charente : Vieillir comme chez soi, ou presque

Auteur : France Berlioz ; extrait du livre DÉPENDANCE - (IN)DÉPENDANCES.

Vous pouvez accéder à la version intégrale de cet ouvrage, illustré de magnifiques photographies, [en cliquant ici->https://eseis-afris.centredoc.fr/index.php?lvl=notice_display&id=40767 (format PDF, 3,6 MO).

DÉPENDANCE - (IN)DÉPENDANCES

Extrait (pages 43 à 46, sans illustration).

La famille MITROPE

En Charente, les familles d’accueil sont considérées, en zone rurale, comme une réelle alternative à la prise en charge des personnes âgées. Sur la commune de Challignac, les Mitrope nous ont ouvert la porte de leur famille élargie. Rencontre avec Marie-Madeleine et Rémi, les hôtes de maison au grand coeur et avec leurs trois pensionnaires, Simone, Jacqueline et Alain.

Tic tac, tic tac… L’horloge égrène secondes et minutes. La lumière de la matinée est claire et douce, propice au calme, au temps pour soi. De la cuisine s’échappent les premières effluves du déjeuner. Simone, 98 ans, s’est assoupie dans un fauteuil moelleux. Jacqueline, 74 ans, déroule sa pelote de laine bleue et blanche et s’applique au point de jersey de son tricot. Et pour la énième fois depuis ce matin, Alain, 72 ans, se chausse et enfile son manteau pour une balade au bout du chemin. Tic tac, tic tac…

Simone, Jacqueline et Alain sont les trois pensionnaires de Marie-Madeleine et Rémi Mitrope, famille d’accueil, famille de coeur. « Tout a com- mencé par hasard en septembre 1985 » raconte la maîtresse de maison. « À l’époque, nous étions agriculteurs. Nous avions des bêtes et cultivions tabac, céréales et vignes. C’était très dur. Un jour, un de nos voisins, seul et âgé, nous a demandé de le prendre en charge. Sans réfléchir, on l’a pris chez nous. » Ainsi est née doucement au fil du temps, l’idée d’une reconversion possible. Depuis, trente-deux personnes âgées, rétives au rythme des foyers ou maisons de retraite, ont trouvé refuge chez les Mitrope devenus famille d’accueil. Dans la campagne de Charente, d’autres familles aux maisons assez grandes, ont ainsi ouvert leurs portes pour héberger des seniors en mal de solitude.

ALTERNATIVE ÉCONOMIQUE

« Il a fallu attendre 1989 pour que les familles d’accueil obtiennent un vrai statut. En 2005, nous avons obtenu les premiers congés payés et un salaire basé sur le Smic », explique Marie-Madeleine. Présidente de l’association AFA 16*, elle est aujourd’hui une interlocutrice privilégiée de la profession auprès du Conseil général de Charente. Sur le département, 480 personnes âgées ou handicapées sont ainsi réparties dans 238 familles d’accueil, chacune hébergeant une à trois personnes.

En zone rurale, accueillir à domicile des seniors serait-il devenu une alternative économique ? « Je sais que certains pensent qu’on s’en- graisse sur le dos des vieux. Je les invite à venir découvrir notre quotidien » répond sèchement Marie-Madeleine. « S’occuper de personnes âgées 24h/24, est un vrai métier qui exige une professionnalisation, formations à la clef. Nous avons un agrément du Conseil général avec un suivi régulier et des contrôles surprise. Cette vigi- lance administrative est tout à fait normale. Mais notre statut est encore précaire et il y a encore beaucoup à faire pour obtenir une vraie recon- naissance de cette prise en charge sociale. »

Marie-Madeleine, c’est une sacrée person- nalité. Une maîtresse femme, à la fois douce et ferme. À 60 ans, cette petite dame ronde au regard vif cumule les mandats de générosité. Croyante, elle l’est assurément, mais c’est aussi une battante qui ne se résigne jamais. Elle aime la vie et le genre humain. Son appétit solidaire est certes communicatif mais la grande petite dame n’enjolive pas le quotidien des familles d’accueil : « On peut être généreux et avoir des limites. On peut être professionnel sans générosité. Nous avons tous besoin de soutien moral, d’écoute de nos difficultés, de conseils… De relais aussi de temps à autre pour souffler, se retrouver. Or, il est très difficile de trouver des rempla- çants. » Mais chez les Mitrope, la relève est assurée sur le long terme. C’est Elodie, la seconde fille adoptive du couple, qui prendra le relais.

TERRAIN PROPICE À L’ÉCHANGE INTERGÉNÉRATIONNEL

Tic tac, tic tac… L’univers de la maison Mitrope ressemble un peu à une arche de Noé. Le joyeux capharnaüm du séjour raconte assez bien cet élan naturel à donner sa place à chacun : ici des poissons rouges, là bas dans leur cage des inséparables et partout des photos de moments heureux partagés, des fleurs et des plantes vertes, des napperons et dentelles, des cadres, un grand puzzle au mur, des cartes postales, papiers, journaux... Ce lieu commun de vie, où vont et viennent voisins, petits enfants, amis, professionnels de santé… est un terrain propice à l’échange inter- générationnel. La porte est ici ouverte à qui veut découvrir les palpitations d’une famille élargie.

Adaptée au fil des ans, la maison des Mitrope est grande juste ce qu’il faut. Chaque pensionnaire a, bien sûr, sa chambre. 16m 2 d’in- timité où se côtoient photos et petits objets sou- venirs. Comme la cuisine, la salle de bain est commune. Les hôtes de la maison sont logés à l’étage supérieur.

« MES PETITS VIEUX FONT PARTIE INTÉGRANTE DE MA FAMILLE »

Mitrope

Marie-Madeleine ouvre un album dans lequel chaque pensionnaire a sa photo et quelques lignes. Elle se souvient émue de Papy Fouchet, « un maçon qui a préservé jusqu’à sa mort l’art de la truelle. » D’Andrée, « gentille mamie qui s’était fait voler par sa fille. » D’Odette qui était aveugle. De Mamie Lucienne qui après s’être brisée le col du fémur, a décidé qu’elle avait assez marché dans sa vie…

« Mes petits vieux font partie intégrante de ma famille. On partage leurs peines, leurs joies, on les écoute, les nourrit, on veille sur eux, on les rassure... Certains sont autonomes, d’autres sont déjà dépendants. Cela veut dire alors qu’on les aide à la toilette, à l’habillage, à se déplacer. En lien avec médecins et infirmières, on leur donne leurs médicaments ; on les soigne quand ils sont malades. Enfin, on est là jusqu’au bout. Dernièrement, nous avons ainsi accompagné la fin de vie de Guy un vieux monsieur de 80 ans. Grabataire, il était en hospitalisation à domicile chez nous depuis quatre ans », raconte Marie-Madeleine.

Tic tac, tic tac… La porte s’ouvre. Josiane, 71 ans passe faire une bise à Simone, sa tante qui l’a élevée. Les yeux de la vieille dame pétillent. « Avec mon mari, nous l’avons gardée trois ans chez nous, mais ayant des problèmes de santé nous-mêmes, ce n’était plus possible. Alors on l’a placée en maison de retraite. Elle se laissait aller, n’était pas heureuse. Aujourd’hui, je suis tranquille, ici je sais qu’elle revit. » Josiane profite de sa visite pour régler la prise en charge de Simone, qui est nourrie, logée, blanchie et chouchoutée 24h sur 24 : 1409 euros sans compter l’Urssaf. La moitié de cette somme représente le salaire de la famille d’accueil. Signifié par contrat, le prix d’une prise en charge varie selon l’état de dépendance des personnes âgées et les aides perçues (APA et allocation logement).

L’heure tourne. Jacqueline, autonome et hyperactive, regarde l’horloge, abandonne son tricot et va en cuisine pour mettre la table. Elle est stoppée dans son élan par l’arrivée de Martine, l’infirmière qui vient lui faire l’une de ses trois piqûres d’insuline quotidiennes pour son diabète.

Tic tac, tic tac… La soupe est servie. Suivront coquille de poisson, viande rouge et petits pois, fromage, fruit… Nos trois pensionnaires ont un bon coup de fourchette. Jacqueline profite du repas pour faire un condensé de sa vie : « J’ai tout le temps travaillé dans les vignes. À 20 ans, je me suis mariée et j’ai eu deux enfants et aujourd’hui j’ai trois petits enfants. Ma petite-fille est maçon, j’en suis fière. Mon petit-fils a pris le relais dans les vignes. Mon mari est décédé en 2004 et l’année de ses 50 ans, mon fils est mort d’un cancer. »

Simone, elle aussi, a vécu le quotidien de l’agriculture locale. Et si ses jambes ont bien du mal à la porter aujourd’hui, elle n’a rien oublié de ses longues foulées dans la campagne charentaise. Alain sort de son silence. Il parle confusément de chiffres et de lettres, de ses parents, de la douleur de la déportation des siens pendant la guerre. Puis lève la tête et sourit en évoquant le temps où il était boulanger pâtissier et s’assombrit à nouveau : « après il y a eu l’Algérie où je n’ai pas vu de belles choses. Puis plus tard, j’ai eu un accident… ». Avant de se réfugier dans son monde, Alain évoque le souvenir d’une fille avec une robe noire. « J’ai voulu fréquenter, c’est ça qui m’a mis dans la malchance. »

Tic tac, tic tac… l’horloge sonne l’heure de la sieste. Marie-Madeleine file à une réunion près d’Angoulême. Rémi prend le relais de la veille des trois pensionnaires. Alain repart sur son chemin de campagne. Jacqueline reprend son tricot et Simone lit le journal. Ainsi va la vie au lieu-dit de l’Epine. Une vie tranquille où l’on peut vieillir comme chez soi, ou presque.