Famidac.fr

Famidac, l'association des accueillants familiaux
et de leurs partenaires

Version imprimable de cet article Version imprimable

43 - Secret professionnel

Partage du secret et partage du pouvoir -
Secret de Polichinelle ou secret d’État ? -
Secret et discrétion dans la loi -
Petits et grands secrets : de la pertinence de la révélation

"Un secret a toujours la forme d’une oreille" (Jean Cocteau).

Le thème du secret agite périodiquement l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). , autant du fait des émois suscités par son partage que par la méconnaissance du nouveau code pénal entré en application le 1er mars 1994. Le nouveau statut des assistantes maternelles, élaboré en 1992, relance le débat en les positionnant comme de réelles partenaires de l’équipe éducative. Mais, même en l’absence d’un tel contexte, comme c’est le cas pour les accueillants d’adultes, la notion de secret professionnel reste prépondérante.

Dans le cadre des nouveaux partenariats, il n’est pas surprenant de voir les familles d’accueil s’interroger sur le partage des informations détenues et sur l’obligation de secret professionnel qui les lierait, sachant, comme le note Pierre Verdier, que cette obligation de secret vise moins à protéger l’intimité de la vie privée qu’à crédibiliser une fonction sociale.

On peut penser qu’accéder au secret, le partager, en être le garant, contribue dans un premier temps à légitimer une fonction, à la valoriser. Ce n’est que secondairement qu’apparaîtront les questions tenant au rapport à la loi et aux pénalités encourues en cas de non-respect de l’obligation professionnelle de secret.

Partage du secret et partage du pouvoir

"Un secret, ce n’est pas quelque chose qui ne se raconte pas. Mais c’est une chose qu’on se raconte à voix basse et séparément", faisait dire Pagnol à César.

Le secret, selon sa définition classique, est "un ensemble de connaissances, d’informations, qui doivent être réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas révéler". Cette définition a amené Pierre Verdier à dire que "le secret est un savoir protégé et partagé". Chacun de ces termes mérite d’être pesé pour comprendre les enjeux en présence.

Si le secret est un savoir plus ou moins constitué, une seule personne peut en être dépositaire ; il ne sera dès lors partagé qu’entre celle-ci et son "propriétaire". Le poids du secret est-il si lourd qu’il faille le partager encore ?

Les poètes ont tendance à le penser tel La Fontaine notant que "rien ne pèse tant qu’un secret", ou Proust qui constate "des secrets qu’il détient, il brûle de les divulguer". Ce savoir ne serait donc pas n’importe quel savoir, il ne serait pas anodin, mais concernerait des éléments intimes, indicibles sur la place publique. Il serait en outre une charge mentale, acceptée ou subie, supportable ou non pour le gardien du secret.

En fonction de ce qui vient d’être dit, on pourrait s’étonner de cette volonté, parfois farouche, "d’être dans le secret", de ne pas rester à la porte d’un savoir pressenti. La nature humaine supporte mal, semble-t-il, ce qui "fait secret". Entre le secret, savoir protégé, et le "mystère", les "cachotteries", le sentiment plus ou moins justifié que l’autre, celui qui sait, "agit en catimini"... le pas est vite franchi. Pour beaucoup, ne pas "être dans le secret", c’est ne pas être reconnu digne d’accéder à ce savoir, être exclu d’un certain nombre d’informations dispensées à d’autres, être tenu à l’écart de ce qui se dit d’important puisque caché.

La dimension du respect de l’intimité de l’usager n’est pas forcément comprise, seule la violence de l’exclusion du champ du savoir demeure. Les phrases, "nous ne sommes pas dans le secret des dieux", "nous sommes tenues à l’écart des décisions", "on ne nous dit jamais rien", ou pire "on ne nous dit pas la vérité"... ont été maintes fois entendues. Pour une bonne part, elles reflètent une impression invariablement ressentie par les familles d’accueil ; pour une autre part, elles peuvent être l’expression d’une attitude réfléchie des équipes amenées à dire, ou ne pas dire, afin de ne pas déformer les attentes des familles d’accueil.

Formulées par des familles d’accueil, ces phrases introduisent une nouvelle dimension, à savoir le fait que le secret est un savoir discrétionnairement partagé. Dans sa version positive, discrétionnaire veut dire "laissé à la discrétion, à la libre décision, voire à la sagesse" du détenteur du secret. Mais, dans sa version négative, discrétionnaire veut aussi dire "laissé à l’arbitraire, au bon vouloir" de celui qui sait. Être dans le secret, c’est donc aussi partager cette bribe de pouvoir lié à tout savoir indépendamment de son contenu, c’est être inclus, faire partie du groupe qui sait. La lutte pour connaître le secret est donc moins l’expression d’un voyeurisme qu’une lutte pour le pouvoir qui n’ose se nommer.

Secret de Polichinelle ou secret d’État ?

Dès lors qui va désigner les porteurs du secret ? Peut-on, par ricochets, transmettre tout ou partie de ce secret, et dans quelles proportions ? Ces questions ne trouvent qu’une réponse partielle dans les textes de loi ; la déontologie et l’éthique ont également leurs mots à dire.

Mais avant d’aborder ces aspects, il faut oser se poser les questions essentielles qui, aujourd’hui, traversent l’accueil familial : les familles d’accueil doivent-elles avoir connaissance des informations détenues par les professionnels ? Si oui, existe-t-il des limites à poser ? La connaissance de certaines données est-elle une aide ou une entrave au travail avec l’accueilli ? En quoi le secret protège-t-il ou quand peut-il avoir des effets néfastes ?

Si les interrogations sont multiples, les réponses le sont tout autant. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer la présence ou l’absence des assistantes maternelles lors des synthèses par exemple, en tant qu’elles retraduisent souvent fidèlement les idéologies sous-jacentes. Dans tel département, les assistantes maternelles seront écartées des temps de synthèse ; elles ne doivent pas savoir, "cela ne les regarde pas", "ce qui se dit pourrait les encombrer, les rendre moins spontanées".

Ailleurs, elles seront systématiquement conviées, avec des arguments rigoureusement inverses, mais aussi sur le constat que leur présence a modifié la teneur des réunions dans le sens d’une plus grande discrétion, d’une maîtrise plus réelle de ce qui peut ou non se transmettre.

La véritable problématique se situe peut-être sur ce plan : ce n’est pas tant l’intimité de l’usager qui est au cœur des discussions sur le secret, mais bien davantage la question des places de chacun dans le champ du social ainsi que la sélection des informations. Secret de Polichinelle ou secret d’État ? Ce sont sans doute les deux écueils à éviter, le premier pour ne pas mettre à mal l’intimité de l’usager, déjà bien malmenée par les interventions dont il fait l’objet ; le second pour permettre une complémentarité des points de vue et des compétences dans un processus d’aide.

Chaque situation familiale réinterroge donc le bien-fondé de la présence de tel ou tel intervenant, et de ce qu’il sera nécessaire de dire. La loi ne peut tout prévoir ; elle encadre, donne des lignes directrices. Aux acteurs ensuite à se positionner humainement.

Secret et discrétion dans la loi

L’article 378 dont la rédaction remontait à l’époque de la Libération (loi du 21 février 1944) dressait une liste des professions tenues au secret professionnel : "les médecins, chirurgiens, et autres officiers de santé, les pharmaciens ainsi que les sages-femmes". Le nouvel article 226-13 du code pénal rompt avec cette énumération, mais s’attache à affirmer que "la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, sera punie d’un an d’emprisonnement et de 100000 francs d’amende".

C’est à ce titre, dans le cadre des missions de l’aide sociale à l’enfance (article 80 du code de la famille et de l’aide sociale, issu de la loi du 6 janvier 1986 relative à la protection judiciaire de la jeunesse), que les assistantes maternelles sont soumises à ce que l’on peut appeler le "secret missionnel" : "toute personne participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance est tenue au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Elle est tenue de transmettre sans délai au président du Conseil Général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et la famille doivent bénéficier. L’article 226-13 du code pénal n’est pas applicable aux personnes qui transmettent dans les conditions prévues à l’alinéa précédent".

En d’autres termes, les assistantes maternelles échappent à la condamnation pénale d’emprisonnement d’un an et au paiement d’une amende de 100000 francs, si elles respectent la procédure prévue. Ceci ne préjuge en rien d’éventuelles sanctions disciplinaires.

Le texte est clair et répond parfaitement aux interrogations posées pour les assistantes maternelles. Leur présence aux synthèses n’est, sur le plan légal du secret à partager, nullement un problème. Elles sont, à l’identique des intervenants sociaux, soumises à l’obligation de ne pas divulguer ce qu’elles auront entendu, y compris aux membres de leur famille (ce qui d’ailleurs pose question) qui ne sont pas tenus aux mêmes règles.

Faut-il rappeler qu’avant d’être une obligation légale à laquelle sont soumis tous les fonctionnaires (article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juin 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires), la discrétion est une qualité humaine consistant à savoir garder les secrets d’autrui. Ainsi, détentrices d’informations, les assistantes maternelles devront en analyser l’importance ou la gravité, et les transmettre à leur hiérarchie si celles-ci mettent en danger l’enfant confié. C’est donc moins sur le plan légal que sur le plan de la pertinence des données transmises que se déplace aujourd’hui le débat.

Les accueillants d’adultes sont donc à priori astreints aux mêmes obligations en matière de secret et de discrétion professionnels. Ainsi, les familles d’accueil recrutées dans le cadre de l’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
"sont tenues à la discrétion au regard de la vie privée des malades et au secret professionnel" comme les familles accueillant des toxicomanes.

Ce point n’est pas précisé en ce qui concerne les accueillants de l’accueil familial social, mais on voit mal comment ils pourraient échapper à la définition de l’article 226-13 du code pénal pré-cité.

Petits et grands secrets : de la pertinence de la révélation

S’il existait une hiérarchie de la confidentialité, tout deviendrait simple, mais ce n’est nullement le cas. Notre société s’est au contraire habituée à une mise à nu de la vie privée, à un dévoilement toujours plus grand de l’intimité, comme si la frontière entre le privé et le public n’existait plus. Les populations défavorisées ont été de tous temps confrontées à la visibilité de leurs difficultés, au contrôle, "à la police des familles".

Il faudrait en fait différencier les espaces :

  • le premier est celui de l’intime, celui du secret, du droit au "jardin secret" ;
  • le second est celui du privé, de la famille, régi par les règles de la discrétion ;
  • le troisième est celui du public, de la visibilité, de la transparence.

Travailler en accueil familial, c’est bien souvent entrer "par effraction" douce ou violente dans les deux premiers espaces en principe protégés. L’accès à toute information de l’espace intime nécessite donc une protection maximale. L’article 226-13 du code pénal parle "d’information à caractère secret" (alors que l’article 378 visait les secrets), ce qui étend considérablement le champ des faits couverts par cette notion.

Le secret professionnel porte sur tout ce que le professionnel aura vu, entendu, ou compris, fut-ce à l’insu de l’usager, et qui touche à la sphère de l’intime. Ce secret professionnel ne pourra être rompu que dans les cas prévus par la loi, telle la maltraitance par exemple.

Mais ce secret professionnel peut être "partagé" avec les autres intervenants, dans le cadre de la même mission, à la condition que cela soit utile et nécessaire dans le processus d’aide proposé aux familles.

L’accès au second espace, celui du privé, mérite une identique considération et une totale discrétion. Et ceci, non seulement en direction des usagers, des accueillis et de leurs familles, mais aussi des familles d’accueil, qui ouvrant leur espace d’accueil, rendent par là même visible le fonctionnement de leur structure familiale.

bibliographie

Verdier P. "Le secret professionnel en travail social", Dunod, 1996

Tisseron S. "Tintin et les secrets de famille", Aubier, 1992

"La responsabilité pénale des travailleurs sociaux au regard du nouveau code pénal", in Revue de droit sanitaire et social, n° 4, 1993

AFIREM, "Secret maintenu, secret dévoilé", Karthala, 1994