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L’accueil familial en toxicomanie : des réseaux de familles d’accueil

Auteur : Serge ESCOTS est thérapeute familial et responsable d’un service d’appartements thérapeutiques pour toxicomanes.

Il a travaillé pendant plusieurs années dans le service d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). pour toxicomanes de l’association Clémence Isaure, et collabore à des activités de formation et de recherche en accueil familial.

Le soin aux toxicomanes en France : un dispositif original

En France, le dernier rapport concernant les problèmes de toxicomanie [1] propose de situer le nombre de toxicomanes dépendants d’une substance psychoactive telle que l’héroïne entre 50 000 et 200 000. 90% d’entre eux ont moins de 30 ans, et 7 sur 10 sont de sexe masculin. Autre chiffre significatif, 21% des toxicomanes qui ont été pris en charge au cours du second trimestre 1993 dans une structure de soin avec hébergement sont porteur du VIH (ils étaient 41% pour la même période en 1989). Voilà pour quelques données succinctes de la situation actuelle.

Les phénomènes de toxicomanie tels que nous les connaissons aujourd’hui sont le fruit d’une évolution sur 25 ans. C’est dans un contexte socioculturel de contre-culture où les drogues pouvaient sembler emblématiques pour la jeunesse, et à la suite d’une période marquée par la contestation estudiantine, que la France s’est dotée, le 31 décembre 1970, d’une loi de lutte contre la toxicomanie.

Sa double structure judiciaire et sanitaire fait encore, dans le concert législatif européen, preuve d’originalité. L’essentiel de cette loi tient dans l’articulation entre un volet répressif et un volet soignant. D’une part, fait nouveau dans le droit français, elle interdit et punit d’emprisonnement l’usage de substance stupéfiante, d’autre part l’usager incriminé peut se soustraire aux poursuites en se faisant soigner de sa propre initiative, ou sous l’injonction de la justice (injonction thérapeutique).

Ce cadre législatif sera le point de départ d’un dispositif sanitaire unique, fondé sur l’anonymat, la gratuité des soins et le volontariat de la demande. Consultation ambulatoire, sevrage physique, soutien de la position d’arrêt de la drogue pendant un temps dit de postcure et réinsertion sociale constituent schématiquement des propositions où les familles d’accueil ont toujours été présentes.

Les réseaux de familles d’accueil pour toxicomanes : 20 ans pour un cadre légal

Depuis une vingtaine d’années, des toxicomanes essayant de choisir l’abstinence sont accueillis dans des familles. Ce mode de prise en charge constitue une réponse à part entière au sein du dispositif sanitaire de lutte contre les toxicomanies. Il a d’ailleurs connu ces dernières années un engouement avec la création de services, qui se serait poursuivie si les priorités budgétaires ne s’étaient radicalement modifiées en 1994 et 1995. En 1989, le Guide-Répertoire des placements familiaux [2] faisait état de 11 services pour l’ensemble du territoire, au début 1995 le ministère de la santé répertoriait 31 centres spécialisés de soins qui gèrent une section familles d’accueil.

Dans l’intervalle, parait, le 18 août 1993, le premier arrêté officiel relatif aux réseaux de familles d’accueil pour toxicomanes. Ce texte, confirmant l’importance du développement de cette pratique d’accueil familial (triplement des services en trois ans), fixe le règlement intérieur type d’un placement familial pour toxicomanes et inscrit l’activité d’accueil familial dans la globalité du projet thérapeutique d’un centre de soin (consultation, postcure, réinsertion...).

Un seul cadre : une pluralité de projets, de pratiques et de familles d’accueil

L’objectif de l’accueil familial de toxicomanes est peu défini dans l’arrêté de 1993. Cette absence de définition rigoureuse autorise une grande diversité des projets : accueil en famille relais à l’issue d’une cure de sevrage physique, accueil thérapeutique de moyen séjour, famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! de réinsertion sociale...

Les familles d’accueil doivent, pour des raisons tenant à l’accompagnement, résider à une distance ne pouvant excéder deux heures de trajet du centre de soin. Le choix des familles est garanti par le responsable du centre, qui doit également veiller à leur formation.

Cependant, ni les critères pouvant orienter ces choix, ni les axes ou contenus de formation ne sont précisés par l’arrêté. Les obligations portent sur une visite du responsable du centre ou de son représentant, dans les 15 jours qui suivent l’arrivée d’un toxicomane dans une famille, et sur la réunion une fois l’an, au minimum, de l’ensemble du réseau de familles d’accueil. Un suivi régulier doit être organisé, mais l’arrêté ne définit pas pour autant l’objet de ce suivi (la famille d’accueil, le toxicomane, l’accueil ?), ni sa nature (éducatif, social, psychologique, médical ?).

L’accueil de toxicomanes en famille se pense dans une dimension familiale de l’accueil. Ainsi, pas plus de deux toxicomanes ne peuvent être accueillis en même temps dans la même famille. Dans le même sens, si une famille est agréée pour d’autres populations (malades mentaux, enfants...), il appartient au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de vérifier le caractère strictement familial de la démarche. L’accueil de personnes avec leurs enfants mineurs est possible dans la mesure où cette personne est titulaire de l’autorité parentale et où elle peut assumer la charge financière de l’enfant. Si le toxicomane est lui-même mineur, son admission se trouve conditionnée par une autorisation du titulaire de l’autorité parentale, sauf en cas de décision judiciaire.

Le statut des familles d’accueil est ambigu. Ainsi, l’article 14 de l’arrêté de 1993 stipule que ”les familles ne sont pas salariées”, sans dire pour autant ce qu’elles sont. Le statut de bénévole n’est jamais nommé dans cet article qui précise que ”en contrepartie des prestations fournies, il leur est alloué par le centre spécialisé de soin, une indemnité journalière fixée par le préfet de département où se situe le centre”. Cette indemnité, qui varie de 70 et 130 F en fonction des départements, n’est pas soumise à l’impôt ni aux cotisations sociales. Il est malgré tout demandé aux accueillants discrétion à l’égard des personnes accueillies. En retour, les personnels des réseaux de familles d’accueil sont tenus à la confidentialité vis à vis d’informations concernant les familles d’accueil.

Familles d’accueil en toxicomanie : quelques repères

L’étude de l’un des principaux réseaux de familles d’accueil de toxicomanes [3] permet de dégager quelques repères concernant ces accueillants. Ce sont plutôt des ”quadras” : 61% ont entre 35 et 45 ans, et 88,5% entre 35 et 50 ans. 54% ont des enfants, dont 82% ont moins de 18 ans (40% de 0 à 10 ans et 42% de 10 à 18 ans).

Ces familles vivent à 90% en milieu rural, et leur mode d’activités économiques se caractérise par deux critères : soit l’indépendance dans l’organisation de la production économique, soit la simultanéité du lieu de production et du lieu de vie. Sont ainsi représentés : secteur agricole (27%), secteur sanitaire, social et enseignement dont assistantes maternelles (27%), commerçants et artisans (20%), professions libérales (15,5%).

L’accueil représente un engagement à long terme. Ils ont, à 80%, des expériences antérieures d’accueil et pratiquent parfois l’accueil d’autres populations. Au-delà de l’enjeu économique de plus en plus présent (développement de la crise économique en milieu rural), l’accueil constitue une démarche, un projet de vie à part entière, qui mobilise l’ensemble de la famille.

Notes

[1Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie sous la présidence du Pr R. Henrion, mars 1994

[2Cébula Jean-Claude, Guide Répertoire Le placement familial en France, enquête nationale 1989 In Formation et Recherche en Placement Familial

[3Escots Serge, enquête auprès des familles d’accueil du réseau Clémence Isaure, 1992, à paraître