Le titre de la loi du 10 juillet 1989 concerne l’accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes. D’entrée de jeu, nous sommes confrontés à un problème d’appellation, ”particulier” désignant un individu, ”famille d’accueil” une entité plus large joignant le lieu et l’activité sous-tendue. ”Famille d’accueil”, terme employé dans le langage courant renvoie aussi à l’accueil d’enfants et donc aux ”assistantes maternelles” dont le vocable ne peut s’appliquer à l’accueil d’adultes. Si j’insiste sur la terminologie liée à cette activité nouvellement circonscrite par la loi, c’est qu’elle a à voir avec le statut. Le statut fait référence en effet à l’identité du sujet, mais aussi à son état et à sa capacité, si l’on en juge par la définition qu’en donne le dictionnaire Robert : ”ensemble des lois qui concernent l’état et la capacité d’une personne”, ”textes qui règlent la situation d’un groupe”.
Or, qui sont-elles ces ”accueillantes” (au féminin pour la plupart) d’un nouveau genre qui exercent leur activité à domicile ? Quel statut ont-elles ? Peut-on parler à leur sujet d’une nouvelle catégorie de professionnelles ? Du point de vue de leur statut, les accueillants évoluent aujourd’hui dans un monde relativement flou où je distingue trois cercles concentriques :
- Le premier cercle, le plus petit et de rayon fixe, contient le cadre légal de la loi du 10 juillet 1989. On peut parler de cadre minimum.
- Le deuxième cercle, un peu plus vaste et de dimension variable, englobe le premier et correspond aux dispositifs mis en place dans les départements.
- Le troisième cercle enfin contiendrait les améliorations susceptibles d’accorder aux particuliers agréés un véritable statut de travailleur, un contrat de travail. Il s’agit actuellement d’un but à atteindre, d’un idéal à poursuivre.
Premier cercle : un cadre légal minimum
La loi du 10 juillet 1989 est venue combler un vide juridique. Elle apporte des garanties aux personnes accueillies comme aux personnes accueillantes, formalisées par un contrat. Elle a délibérément opté pour un cadre souple, laissant une certaine latitude aux parties, fixant droits et devoirs de chacun. Ainsi, les candidats à l’accueil doivent être agréés par le président du conseil général. Ils doivent passer contrat avec la personne qu’ils accueillent. Ils sont suivis, épaulés et formés par un service départemental ou une institution ou association avec qui le département aura passé convention. Chaque département assure donc une mission d’agrément, de suivi, de contrôle et de formation.
Les accueillants perçoivent une rémunération pour les services rendus, une indemnité d’entretien et un loyer pour la chambre mise à disposition. Ils bénéficient d’une couverture sociale (sécurité sociale, retraite complémentaire, accident du travail), mais ne peuvent toucher d’allocation chômage, ni de congés payés, car le contrat-type n’est pas un contrat de travail. Ils devront être assurés pour leur responsabilité civile. C’est la personne accueillie qui est employeur du particulier agréé. Celui-ci ne perçoit donc des frais de pension que lorsqu’il a un pensionnaire, ce qui a pour conséquence une relative précarité de l’emploi.
Le grand mérite de la loi est d’avoir posé un cadre, chaque président de conseil général se trouvant maître d’œuvre du dispositif. Cette responsabilité des départements en matière d’agrément, de suivi et de formation est de première importance pour assurer la qualité de l’accueil.
Second cercle : le dispositif départemental
La latitude laissée aux présidents de conseils généraux pour définir les modalités de mise en application de la loi à l’échelon départemental conduit à une situation contrastée à ce niveau. À ce premier stade, les difficultés de mise en place du dispositif ont été davantage liées à la non reconnaissance des incidences psychologiques de l’accueil en tant que tel, et donc au mode de gestion choisi, qu’aux insuffisances de la loi. J’en veux pour preuve les départements pionniers qui avaient devancé la loi (Isère, Gironde, Tarn et Garonne...) et ceux qui ont saisi l’opportunité pour développer l’accueil, palliant ainsi le manque de structures pour personnes âgées ou handicapées, offrant un choix supplémentaire, et créant par là des emplois.
D’autres ont buté sur l’investissement de départ nécessaire à la mise en place d’une structure ou du personnel suffisant pour encadrer l’accueil, avec l’acceptation du coût correspondant pour le budget départemental.
La gestion interne suppose souvent une certaine dispersion des tâches. La délégation à une institution ou association centralisant les missions a d’autres avantages : envisager les étapes de l’accueil de bout en bout. Elle a permis, ici ou là, des améliorations sensibles du statut des accueillants grâce à un véritable travail de partenariat et de réflexion avec les services départementaux.
Il a été ainsi décidé en Essonne de développer l’information et la publicité autour de ce nouveau service, de fixer une fourchette de rémunération suffisamment attractive, de mettre en place une formation pour les accueillants avec remboursement par le département des frais de garde et de déplacement pendant ladite formation, de rémunérer les familles d’accueil qui prennent des congés un mois par an (prise en charge privée ou de l’aide sociale), d’aider les employeurs que constituent les personnes âgées et handicapées dans les tâches de rédaction des bulletins de salaire, déclaration à l’URSSAF et calcul des cotisations sociales. L’organisme qui assure le suivi effectue un véritable travail de mise en relation entre accueillants et accueillis, servant de référent. Il peut repérer les difficultés, les fragilités et assurer un accompagnement soutenu des personnes.
Ce deuxième cercle est à géométrie variable selon que l’accent aura été mis ou on sur l’amélioration de certains points importants du dispositif. Les choix des politiques départementales entraînent de grandes disparités d’un point à l’autre du territoire.
Troisième cercle : un véritable contrat d’activité
On peut s’interroger pour savoir si la dispersion des situations locales est acceptable à moyen et à long terme, et si le statut des accueillants peut rester indéfiniment en retrait par rapport aux dispositions minimales auxquelles aspire tout travailleur.
Le contrat de droit privé entre les personnes devrait évoluer un jour ou l’autre vers un contrat de travail, conférant aux accueillants toutes les garanties d’un véritable statut de travailleur, avec prise en compte de congés payés pendant la période normale de repos annuel, d’une indemnité d’attente en cas de rupture du contrat, après une certaine période et expérience d’accueil (ceci éviterait de voir perdurer des accueils comportant des difficultés d’ordre relationnel au seul motif de besoins d’ordre financier), de l’adoption d’une rémunération minimale suffisante des accueillants qui leur permettrait de ne pas exercer une activité au rabais, d’un suivi digne de ce nom, c’est à dire s’exerçant à un rythme soutenu et régulier, d’une obligation de formation comportant un nombre d’heures minimum.
Il en va de la crédibilité de l’accueil comme alternative et choix supplémentaire offert aux personnes âgées ou handicapées en tant que véritable travail de proximité. Il en va de la reconnaissance des accueillants et de leur place dans le maintien du tissu social intergénérationnel et la réalisation de solidarités concrètes.
D’autre part, un véritable statut aurait l’avantage de comptabiliser les emplois créés au plan national, non pris en compte actuellement en raison de leur précarité. Un tel dispositif viendrait alors utilement compléter les nouvelles dispositions en faveur des personnes dépendantes mises en œuvre par le gouvernement.