Madame Blanchard nous accueille chez elle pour nous expliquer ce qu’elle fait réellement au quotidien. Famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! depuis 11 ans, elle a accueilli 7 pensionnaires dont actuellement André, Charlot et Dominique, handicapés à différents degrés, qui vivent avec elle depuis plusieurs années. Elle a un agrément pour trois personnes âgées ou handicapées.
"J’ai toujours aimé les personnes âgées. Je travaillais dans l’immobilier quand j’ai vu une annonce du Conseil Général parlant des familles d’accueil. Je me suis renseignée et je me suis lancée."
"En 11 ans, j’ai vraiment eu de belles histoires ! Quand vous êtes chaque jour avec quelqu’un depuis 5 ou 6 ans, ça crée un lien très fort. C’est vrai qu’on nous demande de garder une certaine distance vis à vis de nos pensionnaires et de ne pas trop nous impliquer sentimentalement, mais c’est impossible. Votre vie et la leur finissent par s’imbriquer. Vous êtes avec eux tous les jours, vous les accompagnez dans les moments difficiles, vous les soutenez lorsque leur état de santé se dégrade, vous vous faites du souci. Il m’arrive même parfois de les accompagner à des examens médicaux lorsqu’ils redoutent d’y aller seuls... On finit par se substituer à la "vraie" famille. Une dame m’a même dit un jour que j’étais à la fois sa mère et sa fille, ça m’a beaucoup touché."
Madame Blanchard recrée avec ses pensionnaires une ambiance familiale. "Chaque occasion est prétexte à une fête : les anniversaires, Noël, le jour de l’an... Nous nous réunissons et nous nous échangeons des cadeaux, comme dans une famille classique."
Cette "famille" s’agrandit régulièrement pendant les vacances avec la venue d’enfants du secours catholique ou les visites de la famille et des amis des pensionnaires. Sans oublier les animaux qui circulent dans la maison. "J’essaye de recréer un climat chaleureux pour qu’ils se sentent bien et pour les maintenir le plus longtemps possible en bonne santé.
Je m’intéresse d’ailleurs beaucoup à la nutrition pour donner à chacun ce dont il a besoin. Je cuisine des plats faciles à mastiquer ou riches en vitamines par exemple. J’adapte les menus en fonction des problèmes de santé."
La dégradation de l’état de santé et la perte d’autonomie de ses pensionnaires est d’ailleurs quelque chose à laquelle il faut se préparer. Et madame Blanchard travaille seule, même si le personnel médical vient régulièrement pour Charlot qui est en fauteuil roulant. "Le matin, j’assure la toilette de Charlot et je fais en même temps de la prévention d’escarres. Je le change également souvent en journée sans attendre le personnel soignant." Plusieurs fois par jour, elle utilise un lève malade pour le soulever de son lit et l’installer dans son fauteuil roulant. "Heureusement que j’ai du matériel, sinon ce serait difficile. Mais ça demande quand même une certaine force physique. Comme Charlot est très raide, même simplement lui soulever les jambes est difficile."
Pour éviter que ses pensionnaires ne se referment sur eux-même, elle les encourage à avoir une vie sociale. "André et Dominique, qui sont valides et autonomes, font des sorties, vont au club, participent à des lotos. Ils vont aussi se promener et rendre visite à notre voisin. Avec Charlot, nous allons parfois dans son ancien village où il retrouve des connaissances. Parfois, je les emmène aussi tous au restaurant ou chez les voisins pour un apéritif".
Tout en restant dans la même maison, madame Blanchard a aménagé une sorte de petit appartement pour eux. Ils ont chacun leur chambre et une pièce de vie commune où ils prennent les repas. "Cela permet à chacun d’entre nous de préserver une certaine intimité."
Chaque personne a un caractère, un passé et un état de santé différent. Madame Blanchard doit s’adapter à chaque nouvel arrivant. "Je vis une histoire différente avec chacun d’entre eux. Il n’y a pas de schéma type, on ne peut pas prévoir comment ça se passera. Charlot, par exemple, réclame beaucoup d’attention et d’affection. Il aime que je m’occupe de lui et fait difficilement confiance à quelqu’un d’autre. Il a vraiment besoin d’être sécurisé et n’aime pas beaucoup quand je m’en vais. Il me "tyrannise", dit-elle en plaisantant mais Charlot le fait avec beaucoup d’humour et ma complicité. Dominique est plus réservé. Quand il est arrivé chez moi, il était en très mauvaise santé psychologique et ne communiquait avec personne. Il a mis un an avant de parler. Aujourd’hui, il parle, sourit. Il va avec André se promener et va de temps en temps au club. André, quant à lui, participe aux travaux de la maison ; il apporte le bois à la maison, m’aide à éplucher les légumes, fait un peu le jardin... Et surtout, il va au club".
Madame Blanchard rencontre les personnes avant de les accueillir. "Il est très important de connaître ses limites et de refuser de continuer avec quelqu’un avec qui vous sentez que ça ne va pas. Il ne faut surtout pas culpabiliser, il faut penser à son bien-être et à celui des autres pensionnaires. Il faut qu’il y ait des atomes crochus avec la personne pour pouvoir vivre une belle histoire."
Madame Blanchard a fait le choix d’accompagner ses pensionnaires jusqu’à leur mort. "Lorsque l’on exerce ce métier, il faut se préparer à l’idée de la mort. On peut supporter un état de déchéance si on a eu une histoire avant avec la personne. Lorsque j’accueille quelqu’un, je sais que son état va finir par se dégrader, ce n’est pas comme un enfant qui va progresser et devenir plus autonome avec le temps. C’est important pour moi de les soutenir jusqu’au bout. Ça me procure un sentiment d’apaisement qui me permet de mieux faire mon travail de deuil. Je culpabiliserais si je les mettais en établissement. Et eux préfèrent mourir dans leur lit plutôt qu’à l’hôpital."
Etre famille d’accueil n’est pas facile tous les jours. "Au quotidien vous êtes seule. Ce n’est pas comme en institution, je ne suis pas entourée d’une équipe. D’ailleurs, si je devais décrire les qualités nécessaires à ce métier, je dirais qu’il faut avoir du bon sens, être solide physiquement et nerveusement et avoir du caractère".
Il faut aussi beaucoup de disponibilité, même si cela varie selon le degrés de dépendance des pensionnaires. "Charlot, par exemple, n’a aucune mobilité. Je ne le laisse donc jamais seul très longtemps. Pendant la journée, je fais souvent des va et vient entre leur logement et le mien. Je vais éplucher les légumes vers eux ou faire un peu de couture pour lui tenir compagnie."
"J’essaye aussi d’avoir un peu de temps pour moi en payant une personne pour me remplacer, mais je ne suis jamais bien loin. Cela doit faire des années que je n’ai pas pris de vacances."
Madame Blanchard se fait parfois du souci pour l’avenir. "Ce qui m’inquiète le plus, c’est d’être malade et de ne pas pouvoir me lever un matin. Je suis toute seule et André, Charlot et Dominique ont besoin de moi."
Elle clôt notre entretien en allant porter une bonne tarte maison à ses pensionnaires pour leur goûter... "ça les aide à garder le moral !"