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> Extrait :
L’évolution, c’est un grand service public territorial de psychiatrie où l’hôpital aura une part moins importante que ce qui va se passer sur le territoire. C’est le sens des rapports que Éric Piel et moi-même avons rendus. Pour le moment, le Plan Santé Mentale n’est ni remis en cause, ni approuvé. Pour sa mise en place, à l’époque, le cabinet de Bernard Kouchner m’avait confié une deuxième mission afin de préciser la place des usagers dans le champ de la santé mentale et le rôle des réseaux, que j’ai traduit par place du partenariat.
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La philosophie de l’OMS est de dire partout dans le monde que les problèmes de psychiatrie doivent être reconnus. Ils touchent quatre cents millions de personnes, avec une inflation des troubles anxieux et dépressifs dans le monde entier, même dans les pays les plus pauvres. Chez nous, l’anxio-dépression est la première cause d’invalidité. Le problème dans le monde, c’est évidemment que la psychiatrie arrive en dernière roue du chariot, qu’elle n’est pas reconnue, qu’il n’y a pas de plan de santé mentale, pas d’organisation ni de politique de santé mentale, et qu’en plus, les droits des patients sont bafoués ou ne sont pas pris en compte. Il y a des pays où il n’y a ni psychiatres, ni infirmiers. Ici, nous avons accès à des traitements quasiment sans troubles secondaires ; les pays pauvres en sont encore à administrer en première intention de l’haldol et du nozinan. C’est comme pour le SIDA pour lequel les pays pauvres utilisent l’AZT alors que nous avons les tri-thérapies.
C’est un problème éthique mondial. Pour la santé mentale, il faut faire reconnaître le fardeau considérable que sont pour les sociétés la souffrance individuelle, familiale et sociale, et les troubles mentaux, deuxième cause d’invalidation dans le monde. Évidemment, on ne meurt pas de trouble mental, le suicide n’est pas obligatoirement considéré comme un trouble mental, et ce n’est pas énorme par rapport aux accidents cardio-vasculaires.
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À Armentières, les neuroleptiques sont arrivés en 1953, époque où il y avait 1000 lits. Le pavillon des « furieux » est devenu le pavillon des « baveux » du jour au lendemain. Mais les gens ne sont pas sortis puisqu’en 1978, il y avait 2550 lits. En France, il y avait 80 000 lits dans les hôpitaux dans les années 1950-1960, et 175 000 en 1978. Les neuroleptiques n’ont strictement rien changé. Ce qui a changé, qui a été l’origine de la décrue, ce sont les premières applications de la loi sur les handicapés, l’apparition de l’AAH, et la loi Besson sur le droit au logement. En fait, il s’agit de lois générales qui ne visent pas les personnes souffrant de troubles psychiques. Mais celles-ci ont peu de moyens financiers (sauf à être rentières, et c’est assez rare), et perdent leurs repères financiers et sociaux. Par le biais de lois générales en faveur de gens aux faibles ressources, on a commencé à faire sortir les personnes de l’hôpital en les intégrant, au nom de la citoyenneté pour tous.
Si je revendique une psychiatrie, c’est une psychiatrie citoyenne qui considère que toutes les personnes ont des droits inaliénables. Or ces droits ont été aliénés pour les gens qui avaient des troubles mentaux, pendant très longtemps. En fait, pour toutes les lois fondamentales, on se demande un jour ou l’autre si les gens qui ont des troubles psychiques sont concernés. À chaque fois, il faut mettre en place une commission particulière qui, en définitive, dit : « oui, ce sont des êtres humains comme les autres ». C’est extraordinaire cette résistance, cette stigmatisation, cette extraordinaire défiance vis-à-vis des personnes qui ont des troubles mentaux dont je rappelle qu’elles représentent 33% de la population dans le monde. Évidemment, il s’agit toujours de votre voisin, pas de vous.
Ce ne sont pas toujours des troubles très graves, mais dans 50% des cas ils se traduisent par une gêne extrêmement importante. Les gens ne disent pas que ce sont des troubles mentaux parce que, quand on est anxieux, stressé, qu’on a des malheurs qui entraînent des dépressions, on se sent malheureux et pas obligatoirement malade. Le problème réside dans la définition de la maladie : le malade, c’est toujours l’autre.
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La psychiatrie aurait intérêt à dire, un jour ou l’autre, ce qu’elle sait faire et ce qu’elle ne sait pas faire, à dire « ça c’est du soin ou ça n’en est pas ». Par exemple, pour les troubles sexuels, je dis clairement que je suis incompétent. Il y a des gens qu’on ne pourra pas soigner ; c’est comme si on nous envoyait tous les grands braqueurs de banque en psychiatrie en disant qu’ils sont vraiment malades. On peut les rencontrer et les soigner s’ils sont anxieux ou déprimés ou s’ils ont une psychose. Mais pour les braqueurs de banque, que voulez-vous qu’on fasse ? On ne va pas se transformer en juges ou en policiers. Le problème est que la psychiatrie a accepté énormément de choses qu’elle ne savait pas faire. Quand on est dans une logique santé mentale avec d’autres partenaires, on peut discuter et finalement faire en commun et selon les compétences. C’est ça la philosophie du réseau qui n’est qu’un des aspects du partenariat.
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On peut imaginer aussi de demander des placements familiaux dans tous les secteurs. Tout ça va dans le sens de la psychiatrie citoyenne, de la participation des usagers à l’intégration.
Au niveau communal et intercommunal, le rôle des élus est fondamental. Je le vois dans la « commission appartement » de notre secteur avec les élus locaux, les HLM, l’association des usagers, l’association des familles, l’association des curateurs, les responsables de foyers, l’équipe de psychiatrie et le demandeur. Une vingtaine de personnes discutent de son intégration, de sa demande de soins et de son insertion. Nous garantissons les soins, et nous présentons la personne.
On a ainsi obtenu cent vingt-cinq lits HLM. Le secteur est passé de trois cents lits à vingt lits aujourd’hui. J’espère qu’on passera à dix lits grâce aux familles d’accueil, et ce pour 90.000 habitants, sans autre offre de soins dans notre secteur. Il faut voir l’efficacité de ces systèmes quand la psychiatrie et la santé mentale deviennent populaires, citoyennes, et non pas excluantes et honteuses. Un beau défi pour une psychiatrie en marche vers l’avenir.
Les chiens aboient, la caravane passe.