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Famidac, l'association des accueillants familiaux
et de leurs partenaires

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Comment ne pas perdre la tête

Jean Claude CEBULA, Psychologue Clinicien, Directeur de l’IFREP, Paris (75)

(...) La révolution sanitaire et sociale largement entamée aujourd’hui suppose un autre regard sur le travail et les compétences des accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
. Professionnels reconnus du fait de leur statut et de leur formation, ils participent à des projets d’accueil clairement définis dans le champ social, médico-social ou thérapeutique. L’ensemble des partenaires des dispositifs d’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). est largement informé des processus relationnels soignants, et soutient activement le travail de restauration d’un sujet partageant l’être familial qui lui est offert...

Faute d’être sûr que ces dernières propositions soient toujours réunies, il est bon de rappeler quelques repères relatifs aux cadres réglementaires et aux mécanismes en œuvre. Bref, autant ne pas perdre la tête afin de ne pas condamner accueillants ou accueillis à des parcours de vie sans espoirs ni avenir. Ces rappels portent exclusivement sur l’accueil familial des adultes. L’accueil familial des enfants est traversé par d’autres enjeux relatifs à l’autorité parentale, à la place des parents, aux enjeux de la parentalité, au statut des accueillants ainsi qu’au traitement des liens parents-enfants dans le cadre de la protection de l’enfance ou de la mise en place de processus de séparation.

Quelques repères réglementaires

Au moment où un nouveau texte (1) définit un peu moins mollement un statut des accueillants familiaux, il est bon de rappeler quelques étapes récentes de l’organisation de l’accueil familial.

La loi du 10 juillet 1989 est un texte fondateur. Il donne compétence aux départements dans le cadre de l’accueil familial social, et aux établissements de santé dans le cadre de l’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
, pour organiser l’accueil de personnes handicapées ou malades mentales chez des particuliers à titre onéreux. Évoquant l’agrément, la formation, le contrôle et le suivi, ce texte propose un ersatz de statut aux accueillants en définissant le cadre des rémunérations. Ces particuliers, qualifiés de familles d’accueil, travaillent et perçoivent un salaire mais ne bénéficient d’aucun des droits des salariés inscrits dans le Code du travail, sont indemnisés et perçoivent un loyer pour des prestations hôtelières. Ces registres d’activités fort différents permettent des disparités de considération, de rémunération ou de statut selon les départements ou les établissements de santé.
L’arrêté du 1er octobre 1990 relatif à l’accueil familial thérapeutique précise dans le détail l’organisation d’un tel dispositif. Ce texte clinico-pratique pèche par deux manques : le statut des patients et celui des accueillants familiaux, ce qui autorisera des dispositions disparates sur ces points. D’autre part, malgré sa clarté quant aux objectifs et à l’organisation de l’accueil familial thérapeutique, les mises en œuvre subiront des variations importantes selon l’histoire des secteurs psychiatriques, selon l’ancienneté de l’accueil familial dans l’établissement, selon que ce "mode de soins" est utilisé pour ses valeurs intrinsèques ou pour "vider" l’hôpital et fermer des lits, selon la possibilité ou non d’instaurer des dispositifs intersectoriels, et enfin selon les moyens financiers disponibles (2). Pour conclure quant à la pertinence de cet arrêté, remarquons qu’il a été oublié dans la nomenclature de textes accompagnant la fiche "famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! " du rapport présenté au comité consultatif de santé mentale du 11 avril 2002 (3).

L’évaluation de l’accueil familial dit "social" (4), menée par l’IFREP en 1998, à la demande de la Direction Générale de l’Action Sociale et pilotée par Jean-François Bauduret, avait pour objet de :

  • s’informer de l’importance du dispositif en nombre de personnes agréées et de personnes accueillies. Pour mémoire, nous comptions alors environ 9.000 personnes agréées, 12.000 accueillis dont deux tiers de personnes handicapées psychiques (souvent des enfants qui ont grandi et sont restés dans leur famille nourricière, ou des accueils anciens de malades stabilisés ou de handicapés mentaux placés par des établissements de santé) ;
  • évaluer les disparités des conditions de rémunération et de statut, pour ne pas dire de considération, offertes aux familles d’accueil, et enquêter sur les difficultés et les pratiques d’agrément, de suivi et de contrôle ;
  • proposer une amélioration et une harmonisation du statut et des rémunérations des accueillants familiaux.

L’article 51 de la loi de Modernisation sociale du 17 janvier 2002, est directement issu des travaux menés lors de cette évaluation. Sur le fond, les modifications sont de plusieurs ordres (5). Il est évident qu’il faudra attendre la parution des décrets pour s’assurer de ses avancées, le texte est d’avantage qu’un simple toilettage de la loi de 1989.

Tout d’abord, le terme de "particulier agréé" disparaît. La personne ou le couple agréés deviennent des "accueillants familiaux". Cette nouvelle terminologie avait été proposée par les acteurs de l’accueil familial. Certes, si les mots ne suffisent pas à faire évoluer les pratiques, ce terme a l’avantage de pouvoir se décliner au singulier ou au pluriel, et de désigner un métier "accueillant" et son caractère spécifique "familial".

En ce qui concerne l’agrément, retenons :

  • qu’il peut dorénavant être délivré à une personne ou à un couple ; est-ce un moyen de limiter le nombre d’agréments par "foyer" d’accueil ?
  • qu’il limite le nombre d’accueillis à trois ; le caractère dérogatoire pour le troisième accueilli a disparu. Le chiffre de trois accueillis permet de garder un certain caractère familial à ce mode d’accueil mais il peut paraître élevé lorsque les besoins relationnels et familiaux des personnes accueillies sont importants ;
  • qu’il est renouvelable. Ceci rapproche l’agrément pour accueillir des adultes de celui des assistantes maternelles ;
  • qu’il est unique, à savoir que disparaît la distinction entre agrément pour accueillir des personnes âgées et agrément pour accueillir des personnes handicapées ;
  • qu’il implique des engagements relatifs à la formation initiale et continue. La formation initiale était déjà prévue dans le texte de 1989 mais les modalités n’en ont jamais été précisées ;
  • qu’il a une validité nationale comme pour les assistantes maternelles ;
  • enfin, que le retrait d’agrément est lié aux différentes conditions qui ont permis l’agrément, ce qui n’était pas le cas dans les textes précédents ! De plus, une commission consultative de retrait d’agrément est créée, instance dont la composition reste à préciser. L’arbitraire, réel ou non, que dénonçaient les familles d’accueil quant aux retraits d’agrément semble vouloir être canalisé.

Concernant le contrat, on peut noter les points suivants :

  • il est basé sur un contrat type établi par voie réglementaire. Est ici réellement affirmé ce que l’ensemble du texte laisse entrevoir : une réduction des disparités constatées entre les départements et/ou les établissements ;
  • il n’est plus spécifié qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail. Le mode de calcul de la rémunération indexée sur le SMIC et non plus appréciée en minimum garanti (MG) permettra-t-il de s’orienter à terme vers un contrat de travail, d’autant qu’il est fait référence au Code du travail et au Code de la sécurité sociale ?
  • il prévoit des droits en matière de congés annuels des accueillants familiaux.

Ce texte ouvre la voie d’une professionnalisation et d’une meilleure reconnaissance des accueillants familiaux. Plusieurs des dispositions prévues étaient déjà mises en œuvre par des établissements de soins dans le cadre de l’accueil familial thérapeutique.

Sur un autre plan, ce nouveau texte (6) ouvre des perspectives attendues depuis longtemps quant à l’accueil familial des adultes handicapés adultes handicapés Pour avoir la qualité de personne handicapée au sens de la loi, celle-ci doit avoir

. Des structures publiques ou privées (établissements assurant l’hébergement de personnes âgées, handicapées, inadaptées...) pourront être employeurs d’accueillants familiaux. Voie royale pour créer de véritables services d’accueil familial pour des handicapés psychiques avec des familles d’accueil salariées d’un établissement en distinguant contrat de travail et contrat d’accueil. L’accueil familial thérapeutique est déjà organisé sur ce modèle. Cette ouverture crée un champ de complémentarité entre accueil familial thérapeutique et accueil familial médico-social. Les deux dispositifs s’adressent finalement à des populations, malades mentaux ou handicapés mentaux, très semblables. Il est possible de penser que les services de psychiatrie devront faire valoir leur spécificité thérapeutique afin de différencier leurs prestations.

À ce niveau, il est nécessaire de faire le point sur les deux seuls dispositifs, accueil familial thérapeutique et accueil familial social, reconnus jusqu’alors. Deux logiques différentes les organisent : dans un cas, les accueillants familiaux sont rémunérés par un établissement. Employés, ils participent à un programme soignant. Dans l’autre cas, les accueillants familiaux sont rémunérés par les accueillis eux-mêmes dans le cadre d’un contrat qui, de plus, définit les autres modalités de l’accueil.

Ces deux dispositifs opèrent parallèlement avec peu de points de rencontre alors que, le plus souvent, les populations bénéficiaires de l’un ou de l’autre sont très voisines quoique marquées par des parcours institutionnels différents. Par exemple, on trouve parfois en accueil familial social des accueillis suivis et des accueillants soutenus par des équipes de psychiatrie, mettant en œuvre des pratiques similaires à celles de l’accueil familial thérapeutique. Et, dans ce dernier dispositif, on rencontre aussi des accueillis placés à vie, sans qu’aucun projet de soins ne vienne scander les différentes étapes de l’accueil. Le quotidien des familles d’accueil reste le même que la personne soit qualifiée de malade ou de handicapée mentale au point que certains accueillants travaillent simultanément avec les deux dispositifs.

Ces aspects font entrevoir une grande proximité qui devrait permettre d’inventer une complémentarité des réponses et/ou une nécessaire distinction des objectifs. Certes, de plus en plus, les équipes de psychiatrie mettent en œuvre de véritables projets soignants avec des populations en souffrance.

La formation, une clinique de l’accueil familial à partager

Dans ces perspectives, il est important de se former et de réfléchir ensemble aux différents enjeux de l’accueil familial. Pour les accueillants familiaux la formation est bien prévue par le législateur.

Mais, se former à quoi ? S’agit-il d’informations relatives aux problématiques des différentes populations accueillies : vieillissement, handicaps, maladies mentales ? À qui va-t-on emprunter son savoir-faire : à l’aide soignant, l’aide ménagère, la travailleuse familiale, l’infirmier, l’éducateur, l’animateur, le gestionnaire d’établissement hôtelier ? Le cadre familial de l’accueil ne permet pas aisément de tels "transferts de technologies", sauf à transformer la famille d’accueil en sous-professionnel mal adapté et surchargé, écartant ce qui fonde sa spécificité : continuité relationnelle et intimité familiale partagée.

L’essentiel du projet formatif devrait résider dans un mouvement réflexif articulé aux pratiques personnelles d’accueil afin d’inventer des réponses et des positionnements de référence. L’enjeu est d’apporter aux accueillants, au-delà des connaissances indispensables à leur activité et à son cadre, les moyens d’élaborer leur travail et de penser leurs attitudes en rapport avec les comportements et les besoins des accueillis. En ce sens, certains dispositifs collectifs favorisant la parole, l’expression et la réflexion sur la pratique ont également un caractère formatif.

Pour les professionnels des champs sanitaires et sociaux, la formation ne se pose pas à priori. Grâce à leurs formations initiales, ne possèdent-ils pas les bagages nécessaires pour intervenir en accueil familial ? Mais, de quels bagages s’agit-il puisque l’accueil familial en tant qu’objet de connaissance propre est peu étudié et encore moins enseigné ? Alors qu’une connaissance approfondie de la dynamique et de la problématique à l’œuvre en accueil familial, acquise par l’expérience et l’analyse des pratiques, est nécessaire pour en organiser, de façon adéquate, les cadres et les modalités de fonctionnement.

Et la co-formation ? Pourquoi ne pas permettre aux différents professionnels de l’accueil familial de se former ensemble ? Un tant soit peu dégagée des enjeux du quotidien, la formation propose à chacun une élaboration libre et distanciée de son travail. La co-formation à l’accueil familial aurait pour objectif d’aborder les fonctions, les compétences et les positionnements de chacun dans un contexte relationnel fort où les engagements ne sont pas de même nature. En se formant ensemble, accueillants et accompagnants pourraient peut-être tordre le cou à cette bonne vieille image où l’on voit d’un côté l’accueillant peu sûr de son savoir-faire, et de l’autre l’accompagnant maître de son savoir universitaire.

L’accueil familial est un mode de soins à penser tant il est à la fois riche en potentialités et fragile dès lors que l’on en méconnaît les principes. Faute de pouvoir visiter l’ensemble clinique (7) que constitue l’accueil familial, intéressons-nous aux difficultés des personnes orientées en famille d’accueil et à la nature des réponses des accueillants. Les adultes orientés en accueil familial sont le plus souvent désinsérés ou en cours de désinsertion sociale du fait de leur histoire, de leur âge, de leur handicap ou de leurs troubles, et ont la particularité de ne pouvoir momentanément ou durablement se prendre en charge.

La famille d’accueil offre à leurs difficultés relationnelles empathie, stabilité, cadre permanent rassurant et structurant. Ces dynamiques agissent parfois au niveau de la structure psychique du sujet.

Dans un article (8) Winnicott commente ce type d’aide : "Notre théorie du développement d’un être humain doit comprendre l’idée qu’il est normal et sain qu’un individu soit capable de défendre le self contre une carence spécifique de l’environnement en gelant la situation de carence" ajoutant "Dans le cas extrême, il faudrait que le thérapeute aille vers le malade et lui offre activement un bon maternage..." "En d’autres termes, la psychose est étroitement liée à la santé, dans laquelle d’innombrables situations de défaillances de l’environnement sont gelées, mais on les atteint et on les dégèle grâce à divers phénomènes curatifs de la vie ordinaire : les amitiés, les soins au cours de maladies physiques, la poésie, etc."

Winnicott n’a pas ajouté les familles d’accueil, alors que ces éléments curatifs de la vie ordinaire sont largement distribués par des accueillants familiaux. En poète, elles partagent leur intimité familiale et font entrer les accueillis dans leur théorie du monde et des soucis de la vie. À ce titre, on peut penser que dans les théories du monde des familles d’accueil, il n’y a pas de malades mentaux. Les malades mentaux font partie de la théorie du monde des soignants. Pour les accueillants familiaux, il y a des personnes avec des comportements étranges, maladroits, des fainéants ou des malheureux au parcours de vie chaotique avec des parents absents ou maltraitants.

Les familles d’accueil, en poètes de l’ordinaire, faisant entrer leurs accueillis dans une autre théorie des rapports que celle construite par la relation soignant-soigné, deviennent de merveilleux appareils à penser, à décoder et à contextualiser, où opèrent des processus identitaires du fait que l’on vit ensemble.

Références

1) le régime de l’accueil familial des personnes âgées et handicapées est modifié par l’article 51 de la loi de modernisation sociale N° 2002-73 du 17 janvier 2002

2) pour plus de précisions, voir ["Succès et faiblesse de l’accueil familial thérapeutique", Éric AUGER, l’accueil familial en revue, n° 12, juin-septembre 2002->204]

3) ce rapport a été proposé par le groupe de travail mis en place par la Direction Générale de la Santé sur "l’évolution des métiers en santé mentale : recommandations relatives aux modalités de prise en charge de la souffrance psychique jusqu’au trouble mental caractérisé"

4) en 1992, l’IFREP avait mené une évaluation de l’accueil familial organisé par les établissements hospitaliers avec le soutien de la Direction des Hôpitaux

5) pour plus de détails, voir les commentaires dans l’accueil familial en revue n° 12, décembre 2001

6) articles L.441-3 et L. 443-12 du code de l’action sociale et des familles ; livre 4, titre IV, chapitre 1er sur les modalités d’agrément et disposition commune

7) voir le "Guide de l’accueil familial" sous la direction de Jean-Claude CÉBULA, Dunod, 2000

8) "les aspects métapsychologiques et cliniques de la régression au sein de la situation analytique" dans de la pédiatrie à la psychanalyse - Donald W Winnicot - Payot 1969