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et de leurs partenaires

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2019 - Vivre en famille plutôt qu’à l’hôpital

Auteur : Pierre Bienvault, La Croix, 09 juillet 2019

À la fin du XIXe siècle, des malades mentaux furent sortis des asiles parisiens pour être envoyés dans des familles vivant en zone rurale. Aujourd’hui, l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique existe toujours à Dun-sur-Auron et à Ainay-le-Château, mais aussi un peu partout en France.

Cela fait longtemps qu’à Dun-sur-Auron et à Ainay-le-Château, on ne parle plus de « colonies pour aliénés ». Mais les deux communes ont conservé cette vocation née il y a un siècle : celle d’un accueil familial de patients ne pouvant pas vivre seuls mais n’ayant plus besoin d’être hospitalisés à temps plein. L’hôpital de Dun dispose ainsi d’environ 120 familles d’accueil et celui d’Ainay, 180. Mais l’activité « d’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
 »
est aussi pratiquée dans d’autres villes de France, toujours en lien avec un hôpital spécialisé.
Des patientes d'un hôpital psychiatrique dans leur famille d'accueil à Dun-sur-Auron, dans le Cher, dans les années 1950.

L’accueil était vraiment familial

Au départ, les familles sont reçues par l’équipe médicale et soignante et ensuite agréées et salariées de l’hôpital. Elles peuvent accueillir de un à trois patients et touchent en moyenne 1 250 € par mois par personne hébergée. « On assure le logement, les repas et on surveille la prise de médicaments », indique Étienne Frommelt, fondateur de la Famidac, association nationale des accueillants familiaux accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
et de leurs partenaires. Aujourd’hui retraité, cet Ardéchois a accueilli chez lui, avec sa femme et ses six enfants, des patients pendant vingt-deux ans.

« Des personnes atteintes de dépression Dépression Savez-vous vraiment ce que c’est que la dépression ? Ce chien noir va rendre les choses beaucoup plus claires pour vous... A voir ici en vidéo.

, de troubles bipolaires, de schizophrénie, des personnes avec des idées suicidaires… Ces patients étaient tous stabilisés sur le plan médical »
, explique-t‑il, en ajoutant que, dans son cas, l’accueil était vraiment familial. « Elles prenaient les repas avec nous et on partageait pas mal d’activités. Certaines personnes sont restées une semaine chez nous, mais d’autres jusqu’à cinq ans », indique-t‑il.

« C’est un premier pas vers l’autonomie »

Dans d’autres endroits, les patients sont certes logés chez l’habitant, mais dans des chambres indépendantes avec leur propre salle de bains-WC et une pièce commune. « La famille et les patients ne vivent pas toujours au même rythme, et c’est une bonne chose que ces derniers aient une certaine autonomie », explique le docteur Marcella Michel, qui gère cette activité à l’hôpital de Dun-sur-Auron. « Il faut y aller de manière progressive. Sortir de l’hôpital permet au patient de retrouver une certaine forme de liberté. C’est un premier pas vers l’autonomie. Mais la liberté angoisse parfois certains patients ayant pu être marqués par une institutionnalisation de plusieurs années », ajoute le docteur Philippe Paulino, psychiatre à l’hôpital d’Ainay-le-Château.

L’objectif est de favoriser la réadaptation du patient à la vie en dehors de l’hôpital. La durée de l’accueil peut donc être très variable. « C’est difficile de donner une durée moyenne. Parfois, cela ne dure que quelques mois, mais cela peut être cinq ans, voire davantage, pas forcément dans une même famille. On a aussi quelques patients “historiques” qui vivent au même endroit depuis vingt ou trente ans. Il y a même un patient qui est arrivé en 1954 à l’âge de 8 ans. Et qui est toujours là après être passé dans différentes familles. »


Enquête :

Des « aliénés tranquilles » à la campagne

À la fin du XIXe siècle, des malades mentaux furent sortis des asiles parisiens pour être envoyés dans des familles vivant en zone rurale. C’est cette histoire, toujours d’actualité, que raconte un livre sur la colonie familiale d’une petite commune du Cher.

Et si on faisait sortir les « fous » des murs de l’hôpital pour les envoyer à la campagne ? En cette fin du XIXe siècle, voilà l’idée qui germe dans l’esprit de plusieurs psychiatres parisiens désarmés devant la surpopulation des asiles de la capitale. Une idée forte, particulièrement audacieuse pour l’époque. Et qui finira par déboucher sur un épisode peu connu de l’histoire de la psychiatrie française : la création de « colonies familiales pour aliénés » à Dun-sur-Auron dans le Cher et à Ainay-le-Château dans l’Allier. Deux communes où, depuis plus d’un siècle, sont accueillies dans des familles des personnes atteintes de maladies mentales, bénéficiant ainsi d’une alternative à l’hospitalisation.

Un mouvement de « désaliénation »

C’est l’histoire d’une de ces « colonies », celle de Dun-sur-Auron, que raconte la journaliste Juliette Rigondet dans un livre passionnant, Un village pour aliénés tranquilles [1]. Un ouvrage qui retrace ce qui aura été l’une des premières pierres du mouvement de « désaliénation » qui bouleversera la psychiatrie une soixantaine d’années plus tard. « Beaucoup de psychiatres un peu âgés ont entendu parler de ces colonies dont l’histoire reste en revanche très méconnue dans les nouvelles générations », constate Juliette Rigondet.

Mais impossible de raconter cette histoire sans parler de la loi de 1838 qui imposait à chaque département de créer un établissement destiné à soigner les « aliénés ». Des hôpitaux psychiatriques qui, très vite, furent débordés par l’afflux de patients. En 1890, on recensait ainsi 60 000 personnes dans ces asiles contre 11 000 en 1838. Un « succès » lié en partie à la notion de « dangerosité » inscrite dans la loi et pouvant être associée aux « aliénés », aux « idiots », aux « déments », aux alcooliques ou toute personne susceptible de perturber la tranquillité publique. « La surpopulation des asiles, à la fin du XIXe siècle, venait essentiellement de la nature policière de la loi de 1838 », écrit Juliette Rigondet.

« L’idée était aussi que ces patients puissent profiter du bon air de la campagne »
Une patiente participant à la vie quotidienne, à Dun-sur-Auron.

Débordés, ces asiles étaient souvent dans l’incapacité de soigner correctement les malades. Et c’est d’ailleurs ce qui incita, avec d’autres, un jeune psychiatre parisien, Auguste Marie, à faire sortir des asiles un certain type de patients : les « chroniques » ou « incurables ». Pour désencombrer les hôpitaux et se donner une chance de mieux guérir les patients « curables » ou « aigus ». Convaincu par le docteur Marie, le conseil général de la Seine décida ainsi en 1890 d’envoyer des aliénés parisiens dans des familles, à la campagne. « L’idée était aussi que ces patients puissent quitter la ville et profiter du bon air de la campagne », indique le docteur Philippe Paulino, aujourd’hui responsable de l’accueil familial thérapeutique à l’hôpital d’Ainay-le-Château.

« Des vieillards séquestrés jusqu’ici comme aliénés »

La première commune à accepter le projet fut Dun-sur-Auron, alors bourgade rurale de 4 000 habitants, en crise économique après la fermeture des forges et des mines. Et c’est ainsi que le 15 décembre 1892 le docteur Marie débarqua à Dun avec 24 malades répartis dans une dizaine de familles volontaires. Dans les années suivantes, le nombre de patients ne cessa d’augmenter. En 1913, la colonie de Dun comptait environ un millier de malades. Et la dynamique fut sensiblement la même à Ainay-le-Château, qui ouvrit une colonie autonome en 1890.

Le recrutement de ces malades était fait avec soin. Et sous le regard prudent des autorités. Dans une lettre de 1892, le ministère de l’intérieur précisait que le choix des malades ne devait se faire que parmi « des vieillards séquestrés jusqu’ici comme aliénés, dont l’état de démence incurable mais tranquille et l’affaiblissement sénile des facultés ne justifient pas de façon absolue le maintien en asile ». Ces malades devaient donc être plutôt âgés, « non délirants » et inoffensifs. Pour rassurer les familles d’accueil et la population, des femmes furent d’abord envoyées à Dun. Souvent « gâteuses et impotentes », comme le constatait en 1897 le docteur Marie.

Car à l’époque, comme aujourd’hui, la maladie mentale suscitait des peurs, souvent irraisonnées. « La figure du ”fou”, c’est celle d’un individu dangereux, violent, incontrôlable. Et à Dun, il y eut bien sûr des inquiétudes dans la population », explique le docteur Marcella Michel, qui gère l’accueil familial thérapeutique à l’hôpital de Dun-sur-Auron. Dans les premiers mois, ces aliénés venus de Paris, qui ne devaient sortir que vêtus d’un uniforme, furent regardés comme des bêtes curieuses. « Au début, des attroupements se formaient sur leur passage », notait en 1894 le Journal du Cher. « Mais très vite, les habitants purent constater que ces malades ne posaient pas de problème », ajoute le docteur Michel.

Des « familles nourricières »

À Dun comme à Ainay, de nombreux foyers se portèrent candidats pour devenir « familles nourricières » et recevoir des malades. Ces familles devaient assurer les repas, l’entretien du linge, la distribution des médicaments. Et si les patients avaient besoin de soins ou de mener diverses activités, elles devaient les emmener à la « colonie », c’est-à-dire dans un centre médical installé dans la commune et où officiaient un psychiatre et des infirmiers. Pour ces missions, les accueillants touchaient des indemnités, ce qui incita de nombreuses familles modestes à se porter candidates.

Sans y être forcés, les malades étaient, eux, invités à « s’occuper » et donc à travailler. Pour leur bien et afin de gagner un peu d’autonomie et de socialisation. Ainsi, certains malades se mirent à faire de la cuisine, de la couture, du jardinage, du ménage, du tricot, employés par des particuliers ou des entreprises locales. Ce qui suscita parfois des tensions. « Nous avons le devoir d’encourager nos malades à travailler, mais par contre, les débouchés minimes qu’offre le pays nous obligent à veiller à ce qu’ils ne fassent pas concurrence aux ouvriers locaux », écrivait en 1933 le médecin-­directeur d’Ainay-le-­Château [2].

C’est d’ailleurs cette question du travail qui suscita parfois des critiques chez certains psychiatres de l’époque. « Ils pensaient que ce qui était fait dans ces colonies n’était pas de l’ordre du soin. Et que placer ces malades dans des familles revenait surtout à obtenir une main-d’œuvre à bas prix », constate le docteur Paulino. Mais, sans occulter certains aspects négatifs, le livre de Juliette Rigondet donne une image positive de cette aventure d’un siècle. De cette tentative empreinte d’humanisme pour faire vivre en dehors de l’hôpital des personnes atteintes de maladies mentales. « Et aussi pour déstigmatiser l’image de ces maladies dans l’espace public », dit le docteur Paulino. Un défi dont l’enjeu reste tout aussi crucial aujourd’hui.