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L’agrément nominatif est illégal

Cour administrative d’Appel de Bordeaux, 13 novembre 2001

Extrait de la Revue du Droit Sanitaire et Social 38 (2), avril-juin 2002, pages 338 à 342.
Auteur : Jean-Louis REY, Commissaire du gouvernement

Conclusions sur Cour administrative d’appel de Bordeaux N° 98BX00599 13 novembre 2001, Madame Latour

L’agrément pour l’accueil à domicile de personnes âgées par un accueillant familial accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
, ne peut être limité à des personnes nommément désignées*

(*) NDLR : L’article 51 de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a modifié les articles L. 441-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles ; mais la question tranchée par le présent arrêt demeure d’actualité.


Par une décision du 23 février 1996, le président du conseil général de la Charente-Maritime a agréé Mme Latour pour l’accueil à son domicile, à titre onéreux de deux personnes âgées nommément désignées. L’une de ces deux personnes étant partie, Mme Latour a demandé par lettre du 29 octobre 1996 à être définitivement agréée pour deux personnes. Mais par une décision en date du 19 février 1997 remplaçant la précédente, le président du conseil général a accordé l’agrément pour une seule personne.

Le Tribunal administratif de Poitiers a, par un jugement rendu le 5 février 1998 annulé cette décision pour défaut de motivation, mais rejeté les conclusions indemnitaires pour défaut de préjudice certain. Mme Latour fait appel de ce refus d’indemnisation et le département de la Charente-Maritime forme un appel incident portant sur l’annulation de la décision. (...)

Mme Latour critique à bon droit ce motif de rejet. Elle établit qu’elle avait bien la possibilité d’accueillir une autre personne (cela avait été d’ailleurs admis par l’administration lors de la première décision) et qu’elle a dû refuser des demandes pour défaut d’agrément.

La censure de ce motif va vous conduire à examiner le bien fondé de la restriction d’agrément de deux à une personne de façon à pouvoir mesurer le droit à indemnisation du préjudice causé par la décision illégale (V. votre arrêt préc. Mme Godard).

Pour justifier sa décision, le département se fonde sur deux griefs, I’accueil d’une personne âgée en remplacement de celle nommément désignée et des suspicions de violence. Le deuxième grief ; qui repose pour l’essentiel sur les déclarations de la personne accueillie dont la santé mentale semble sujette à caution, n’est en rien établi par les pièces du dossier.

En revanche Mme Latour admet avoir accueilli pendant un mois un nouveau pensionnaire après le départ de celui figurant sur l’agrément, mais elle soutient que l’agrément délivré par le président du conseil général ne peut revêtir un caractère nominatif et qu’ainsi l’accueil d’une deuxième personne âgée en remplacement de celle qui était partie est régulier.

Nous pensons qu’elle a raison. En effet, aucune disposition ne nous paraît permettre, que ce soit dans la loi du 10 juillet 1989 relative à l’accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes ou son décret d’application du 22 juin 1990, de n’accorder l’agrément que pour une personne nommément désignée. En particulier, ni l’article 3 de la loi, ni l’article 4 du décret relatif aux conditions d’agrément, qui prévoit le contenu des décisions d’agrément ne font référence à la possibilité de désigner la personne pour laquelle l’agrément serait accordé. Ainsi, aucun des griefs invoqués n’étant fondé, il convient d’indemniser l’entier préjudice causé à la requérante par la décision litigieuse.

Celle-ci demande d’abord la réparation de son préjudice matériel pour la période de 12 mois allant de la date de la restriction d’agrément à son annulation par les premiers juges. Elle réclame 4 005 F par mois correspondant au loyer du local et au salaire net lui revenant, en excluant les frais d’entretien du pensionnaire. Le département soutient qu’elle a accueilli un deuxième pensionnaire, mais ce n’est établi que pour la période antérieure à la décision litigieuse. Les pertes de revenu sont justifiées et non critiquées dans leur montant. Dès lors il sera accordé la somme de 48.062 F réclamée à ce titre

Mme Latour demande en outre 100.000 F en réparation du préjudice moral. La Cour administrative d’appel de Nantes a pu accorder 20.000 F à ce titre pour un retrait d’agrément d’assistant maternel (17 déc. 1998, Département d’lndre-et-Loire, n° 98 NA 0051). S’agissant seulement d’une restriction d’agrément, une somme de 10.000 F pourrait être accordée.

Les intérêts sont demandés pour le préjudice matériel. Ils ne peuvent être accordés à la date de la décision mais seulement à compter de la réception de la demande préalable, soit le 8 avril 1997, mais comme il s’agit d’une indemnité mensuelle, pour les seuls mois échus ; pour les mois suivants, ils seront dus aux dates d’échéance.

Si vous nous suivez, vous rejetterez la demande présentée par le département au titre des frais irrépétibles et pourrez accorder à Mme Latour 6.000 F à ce titre...

J.-L. REY

DÉCISION

La Cour administrative d’appel de Bordeaux (2ème chambre)...

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 6 avril 1998, présentée pour Mme Latour domiciliée... (Charente-Maritime) ;

Mme Latour demande à la cour :

  • d’annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 février 1998 en tant qu’il a rejeté sa demande à fin d’indemnité dirigée contre le département de la Charente-Maritime, en réparation des préjudices que lui a causés la décision du président du conseil général de ce département, en date du 19 février 1997, jugée illégale ;
  • de condamner le département de la Charente-Maritime à lui verser une somme de 48 062,64 F, avec intérêts au taux légal à compter du 19 février 1997, au titre de son préjudice matériel, et une somme de 100.000 F au titre de son préjudice moral ;
  • de condamner le département de la Charente-Maritime à lui payer 10.000 F sur le fondement de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; [...]

Vu le code de justice administrative, ensemble le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 16 octobre 2001 :

  • le rapport de Mlle Roca ;
  • et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement (...)

Sur la demande d’indemnité de Mme Latour :

(...) Considérant

  • qu’il résulte de l’instruction qu’avant l’intervention de la décision du 19 février 1997, Mme Latour était titulaire d’un agrément pour l’accueil à son domicile, à titre permanent et onéreux, de deux personnes âgées nommément désignées, délivré le 23 février 1996 ;
  • que la décision précitée a restreint son agrément à l’accueil d’une seule personne âgée ;
  • qu’il ressort des attestations fournies en appel par Mme Latour qu’au cours de l’année 1997 quatre personnes au moins se sont manifestées auprès d’elle pour le placement à son domicile d’une personne âgée ;
  • que Mme Latour, qui hébergeait à cette époque une personne âgée, n’a pu donner une suite favorable à ces demandes en raison de la limitation de son agrément ;
  • qu’il n’est pas allégué qu’à compter du 19 février 1997 l’intéressée aurait accueilli officieusement une deuxième personne âgée ;
  • qu’ainsi, contrairement à ce qu’ont déclaré les premiers juges, la requérante établit que la décision du 19 février 1997 lui a fait perdre une chance d’accueillir à son domicile une deuxième personne âgée, à l’origine d’un manque à gagner ;
  • que les motifs invoqués par l’administration pour justifier cette décision ont entraîné pour elle un préjudice moral certain ;

Considérant, toutefois, que si le vice de procédure qui a entraîné l’annulation de la décision de restriction de l’agrément, tenant à l’absence de motivation, est constitutif d’une faute, cette faute ne peut donner lieu à réparation que dans le cas où ladite décision ne serait pas justifiée au fond ;

Considérant

  • qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1989 susvisée : "L’agrément ne peut être accordé que si la continuité de l’accueil est assurée, si les conditions d’accueil garantissent la protection de la santé, de la sécurité et le bien-être physique et moral des personnes accueillies" ;
  • qu’en vertu des articles 4 et 5 du décret n° 90-504 du 24 juin 1990 pris pour l’application de cette loi, I’agrément peut faire l’objet de modifications ou être retiré à tout moment lorsque les conditions auxquelles son octroi est subordonné ne sont plus réunies ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction

  • que l’accueil non autorisé au domicile de Mme Latour d’une deuxième personne âgée autre que celle nommément mentionnée dans l’agrément du 23 février 1996 n’a duré qu’un mois au cours du dernier trimestre l996 ;
  • qu’en outre Mme Latour soutient sans être contredite que l’agrément ne pouvait être délivré pour l’accueil de personnes nommément désignées ;
  • que si le département de la Charente-Maritime invoque à l’encontre de la requérante des suspicions de violence, il résulte de l’instruction que ce grief repose sur les seules affirmations, rapportées par le centre hospitalier régional de Royan, de la personne âgée accueillie pendant le mois susmentionné, à propos de laquelle le médecin qui l’a examinée au domicile de Mme Latour a fait état d’un état psychique perturbé ;
  • qu’aucune enquête approfondie n’a été diligentée par le département pour vérifier le bien-fondé des accusations portées ;
  • que Mme Latour a produit aux débats plusieurs attestations émanant de parents des personnes hébergées, des infirmières et des médecins qui leur dispensent les soins, lesquelles font toutes état de la qualité des prestations qu’elle fournit à ses pensionnaires ;
  • qu’il suit de là que la restriction de son agrément n’apparaît pas justifiée ;
  • que Mme Latour est, dès lors, fondée à solliciter une réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de la décision, jugée illégale, du 19 février 1997 ;

Considérant

  • que Mme Latour demande, avec justificatifs à l’appui, pour la période courant de l’intervention de la décision du 19 février 1997 jusqu’à la date de son annulation par le tribunal administratif, soit pendant douze mois, une somme mensuelle de 4.005,22 F en réparation de son manque à gagner ;
  • que le montant de cette somme, qui correspond au loyer du local et au salaire de Mme Latour, à l’exception des frais d’entretien du pensionnaire, n’étant pas contesté par le département de la Charente-Maritime, il y a lieu de condamner celui-ci à verser à la requérante la somme de 48.062,64 F à ce titre ;
  • qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l’intéressée du fait de l’attitude de l’administration en lui allouant la somme de 10.000 F ;

Considérant que Mme Latour a droit à compter du 8 avril 1997, date de réception par le département de la Charente-Maritime de sa demande préalable d’indemnisation, aux intérêts au taux légal de la somme correspondant au montant des loyers et salaires échus antérieurement à cette date ; que le montant des loyers et salaires échus postérieurement à cette date doivent porter intérêts au fur et à mesure de leurs échéances respectives ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce, de condamner le département de la Charente-Maritime à payer à Mme Latour 6.000 F au titre des frais qu’elle a engagés non compris dans les dépens ; que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que Mme Latour, qui n’est pas partie perdante, soit condamnée à verser au département une somme au titre de tels frais ;

Décide :

Article 1er : Le département de la Charente-Maritime est condamné à verser à Mme Latour la somme de 58.062,64 F, augmentée d’une somme de 6.000 F en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La somme correspondant au montant des loyers et salaires échus à la date du 8 avril 1997 portera intérêts à compter de cette date ; le montant des loyers et salaires échus postérieurement à cette date portera intérêts au taux légal au fur et à mesure de leurs échéances respectives jusqu’au jour du paiement.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 février 1998 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus de la requête de Mme Latour, l’appel incident du département de la Charente-Maritime et ses conclusions tendant au bénéfice de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés. [...]

(M. BARROS, président ; Melle ROCA, rapporteur ; M. REY, commissaire du gouvernement)